Catherine se courba en une profonde révérence. Le dauphin François s’en allait lentement vers l’appartement qui lui était assigné. Catherine et Henri passèrent dans leur chambre : Montecuculi s’y trouvait…
Montecuculi était livide, Henri, blafard, Catherine flamboyante. Catherine parla. Montecuculi figé, raidi, les yeux exorbités, demeurait immobile. Catherine disait :
– Voici une autre histoire ! Montecuculi qui était décidé, ne veut plus à cette heure ! Ou du moins, il ne veut plus si vous ne lui donnez pas un ordre précis. Parlez, Henri…
Henri poussa un soupir et secoua la tête avec violence.
– Quoi ! Vous ne voulez pas ?…
Henri, de nouveau, secoua la tête. Montecuculi respira. Catherine posa sur le bras d’Henri une main fine.
– Non ! gronda Henri.
– Non ? murmura Catherine. Vous ne voulez pas régner ? Vous serez donc toute la vie le vassal de votre frère. Quand il régnera, il saura parler en maître, et vous saurez obéir. On doit obéir aux rois. Le dauphin le disait tout à l’heure. Montecuculi, tout cela n’était qu’un jeu. Retirez-vous, mon brave, et surtout n’en dites mot à personne. Plus tard, quand son frère aura exilé ou fait égorger Henri pour se débarrasser de lui, alors vous pourrez dire qu’un soir d’été la fortune s’est montrée à Henri, qu’Henri n’avait qu’un mot à dire, et que ce mot, il ne l’a pas dit. Allez.
Montecuculi se dirigea vers la porte. Henri haletait.
– Lâche ! murmura Catherine.
– Restez ! gronda Henri.
– CAÏN ! tonna une voix.
Le prince eut un effrayant tressaut de tout son être. Il n’y avait dans la pièce que Catherine et Montecuculi. Et pourtant, une voix avait hurlé : Caïn ! Un être était là, invisible… Catherine n’avait pas remué. Montecuculi revenait vers le prince. Donc ils n’avaient pas entendu :
– Seul j’ai entendu, se raisonna Henri. Illusion, peut-être. Quoi ! François régnerait, et je serais son vassal ! Son jouet ! Son valet ! Qu’il meure donc, je…
– CAÏN ! cria la voix inconnue, mais cette fois estompée.
– Soit ! grinça Henri. Caïn ! c’est un titre !…
Il ajouta tout haut, en claquant des dents :
– Vous avez lu le livre qui vous a été remis hier ?
– Oui… à la page marquée d’une croix rouge…
– Vous avez composé… la… boisson ?
– Oui, monseigneur !…
– Vous êtes décidé à la faire boire… à qui vous savez ?
– Oui, monseigneur, aux conditions promises.
– Je les connais : si vous êtes accusé, je vous couvrirai. Vous serez plus tard échanson du roi. C’est cela ?
Montecuculi s’inclina. Il était à bout de forces. Catherine était impassible. Le visage d’Henri se décomposait à vue d’œil. Un instant, il parut prêter l’oreille. Qu’écoutait-il ?… Puis, il prononça ces mots :
– Eh bien, monsieur, agissez !…
– Caïn ! répéta pour la troisième fois la voix – mais si faible, si lointaine que c’était le dernier souffle d’une agonie.
– Maintenant, dit Catherine d’un ton enjoué, vous pouvez vous endormir tranquille. Adieu, sire !…
Lorsqu’Henri redressa la tête, il vit que Catherine était sortie, mais il n’y prit pas garde. Il vit que Montecuculi était sorti. Il voulut lui crier de revenir. Mais sa langue se paralysa. Alors, la voix qui avait crié Caïn se fit entendre. Elle semblait revenir de très loin. Et plus elle approchait, plus elle devenait puissante. Enfin, elle gronda comme le tonnerre :
– Caïn ! CAÏN, CAÏN !…
Alors, d’autres voix vinrent se mêler à cette voix. Puis des cloches, des glas, des tocsins. Et ce fut une clameur d’enfer. Henri, en titubant, alla tomber en travers de son lit.
Montecuculi, à ce moment, pénétrait dans la chambre du dauphin François. Il portait un plateau sur lequel reposait une coupe de cristal. Le prince était assis, la tête dans la main. À l’entrée de Montecuculi, il releva la tête.
– Tu es le bienvenu, dit-il, je meurs de soif.
– C’est la fièvre, parvint à murmurer Montecuculi.
François saisit la coupe en disant :
– C’est la boisson que tu me donnes tous les soirs ?
– La même ! balbutia Montecuculi.
– Qu’as-tu donc ? Tu es pâle comme la mort.
Et François vida la coupe jusqu’à la dernière goutte.
– Excellent, dit-il en reposant le cristal dans le plateau. Envoie-moi mon valet de chambre. Je veux essayer de dormir.
Montecuculi sortit, emportant le plateau.
– Il va de travers, murmura François. Il est ivre. Où est le temps où moi aussi je m’enivrais joyeusement ? Mais comment oublier jamais cet infernal amour !… Tuée par moi, Marie est toujours vivante en mon cœur !… Oh ! comment oublier la nuit terrible où je la suivis pas à pas depuis sa sortie du Temple, et où je l’abattis à mes pieds !… Comment oublier surtout, que Marie a cédé à mon frère Henri dans le temps qu’elle me résistait !… Et qu’elle en a eu un fils !…
Ainsi, ce n’était pas le remords qui assombrissait le dauphin ! C’était la même fureur jalouse qu’autrefois ! L’enfant que Marie avait mis au monde dans son cachot, c’était le fils d’Henri ! Ce soupçon était né dans son esprit – et maintenant, le dauphin se mourait de haine et de jalousie.