Anne de Montmorency précipita sa marche à travers la France ; son plan initial était d’attaquer Charles-Quint sur les Alpes. Aidé de son lieutenant général, le cardinal de Tournon, il choisit une troupe de cavalerie et d’infanterie légère et se porta en avant avec la rapidité de la foudre. François Ier demeura avec le gros de l’armée et l’artillerie.
Enfin, une arrière-garde était commandée par François. Il avait sous ses ordres son frère Henri d’Orléans. Quant au troisième fils du roi, Charles, il était resté à Paris.
L’arrière-garde était entrée à Vienne dans les premiers jours d’août. Elle comprenait de nombreuses dames de la cour, et, parmi elles, Catherine de Médicis, la toute jeune femme d’Henri. Diane de Poitiers, qui exerçait sur le prince une grande influence, n’avait pas voulu quitter Paris. Catherine régnait donc sur cette sorte de cour guerrière.
La ville de Vienne, en Dauphiné, offrit à François (dauphin viennois) des fêtes magnifiques. Mais François demeura sombre. Un soir, après un dîner, auquel assistèrent les deux princes, les dames d’honneur et les gentilshommes de la maison, Catherine jeta un profond regard sur Henri, qui pâlit ; puis ce regard rejaillit sur François, qui écoutait sans mot dire.
– Monseigneur, fit Catherine, je sais une recette de vins mélangés qui rendrait gaieté et oubli au plus malheureux.
– L’oubli ! murmura sourdement François.
– Oui, mon cher Seigneur, l’oubli !… Adieu tristesse, et vive la joie, dès qu’on a bu de mon mélange.
– Dites votre recette, madame, gronda François.
– Je la donnerai à votre gentilhomme des vins.
– Montecuculi ! appela le prince.
Montecuculi était dans la maison de François une sorte de majordome chargé des vivres et des vins. C’était un jeune homme d’une trentaine d’années qui entra dès qu’on l’eut appelé, et que Catherine n’eut aucunement l’air de connaître.
– Vous êtes, demanda-t-elle, le gentilhomme des caves de monseigneur le duc de Bretagne ?
– J’ai cet honneur, madame, répondit Montecuculi.
– Eh bien ! vous trouverez là de merveilleuses recettes.
Elle tendit à Montecuculi un mignon petit livre. Montecuculi, sur un regard de Catherine, sortit en titubant, mais nul ne remarqua cette émotion. Lorsque l’échanson fut hors de la salle, le regard qu’Henri jeta sur sa jeune femme était chargé d’épouvante. À ce moment, le dauphin se levait en disant :
– Messieurs, demain nous partons. J’ai hâte de rejoindre le roi et le connétable… dût un des boulets impériaux me fracasser la poitrine ou m’emporter la tête…
– Ce boulet serait le bienvenu ! ajouta-t-il plus bas.
Henri et Catherine, entendant ces mots, se regardèrent.
Montecuculi, une fois rentré dans sa chambre, ferma sa porte à triple tour, boucha la serrure, et, alors seulement, il ouvrit le petit livre que Catherine de Médicis lui avait remis… Il y avait un titre à ce livre. Et ce titre, c’était :
– De l’usance des poisons.
Alors l’épouvante fit irruption dans l’âme de Montecuculi. Il tourna autour de lui des yeux hagards, et, d’un geste fou, cacha le livre sous l’oreiller du lit…
*
* *
Le lendemain matin, après avoir entendu la messe, les princes et leur cour franchirent le Rhône, et gagnèrent Tournon. Les gentilshommes occupèrent les maisons de noblesse ou de riche bourgeoise. Le dauphin et son frère Henri furent installés au palais du cardinal archevêque d’Embrun, par maître Pézenac.
On devait dès le lendemain, à la pointe du jour, se remettre en route. Le soir vint. On soupa en commun. Comme d’habitude, François demeura sombre et silencieux…, Seulement, vers la fin du souper, il dit tout haut :
– Je ne sais ce qui me retient de monter à cheval et de m’en aller tout courant rejoindre M. le connétable.
Dans le même instant, il dit à son écuyer de bataille :
– Mon destrier, tout de suite !
Catherine pâlit. Debout, elle aussi, dès l’instant où le Dauphin s’était levé, elle se sentit chanceler. D’un flamboyant regard, elle jeta un ordre à son mari. Mais Henri détourna la tête. Une flamme de joie était montée au front de Montecuculi. Il n’y aurait pas d’empoisonnement ! François resterait dauphin de France ! Jamais une autre occasion ne se présenterait si belle, si facile !… Catherine sentit sa tête s’égarer. Elle s’avança vers François.
– Monseigneur, dit-elle, que dira le roi quand il saura que vous avez quitté le poste qui vous était assigné ?
– Le roi ! fit François, qui parut s’arracher à quelque rêve.
– Vous connaissez sa colère, lorsqu’il est désobéi…
– Vous avez raison ! Il faut qu’un roi soit obéi. Et moi qui serai roi, je dois donner l’exemple. Écuyer, rentre mon destrier à l’écurie ! Nous partirons demain !…