Le moine avait pâli. Rapidement, il glissa quelques mots à l’oreille de maître Pézenac. Le chef de la police royale de Tournon fit un signe aux gardes. Au moment où Renaud, s’arrachant à l’enthousiasme de la foule, regagnait l’auberge, il fut empoigné, soulevé, emporté par une douzaine de robustes gaillards. Un bruit parmi la foule qui fuyait de toutes parts :
– C’est un démon ou un sorcier qui a fait un pacte…
Dix minutes après, Renaud se vit enfermé dans une salle basse du château de Mgr de Tournon ; on enchaîna ses chevilles à deux gros anneaux. Alors, le moine entra dans le cachot, et, tout le monde sortit, même maître Pézenac. Le moine fit le signe de croix, puis il dit :
– Jeune homme, si vous voulez être franc et m’expliquer le genre de sortilège que vous avez employé, je vous promets d’employer en votre faveur tout mon crédit, et il est grand.
Renaud étudiait l’homme qui était devant lui. Tout le problème de sa vie, en cette minute, tenait dans ces mots : sortir de cette prison, non pas demain, non pas ce soir, mais tout de suite.
– Messire, dit-il, voulez-vous me faire la grâce de me dire qui vous êtes ?
– J’y consens, dit le moine. Je suis un Loyola, Loyola tout court, et si je pouvais trouver une dénomination plus humble, je la prendrais. Mais j’ai été autrefois gentilhomme, et on m’appelait le sire de Loyola.
– J’ai entendu parler d’Ignace de Loyola, dit Renaud. Je bénis le ciel d’avoir affaire à vous plutôt qu’à quelque moine ignorant. Maintenant, je vous prie, de quelle manière s’exercerait votre crédit en ma faveur ?
Il parlait avec calme. Loyola songea : « Seul l’enfer peut donner une force pareille, car moi je ne l’ai jamais obtenue du ciel. »
– Si vous voulez être franc, dit-il, je parlerai pour vous au roi, je vous éviterai le bûcher, la torture, j’obtiendrai que vous soyez seulement décapité ou pendu.
– Rendre la vie à une pauvre enfant, le bonheur à une vieille mère, la joie à une foule, est-ce mal ? demanda Renaud.
– Non, si ce bonheur vient du ciel. Oui, s’il vient de l’enfer. Dites-moi le maléfice que vous avez employé pour faire un miracle.
– Messire, il n’y a pas eu miracle : cette jeune fille n’était pas paralytique. Au premier coup d’œil, j’ai reconnu en elle une nature dominée par l’imagination, et capable d’imiter une maladie. Je n’ai eu qu’à lui inspirer assez de confiance en soi-même et en moi ; et lorsque je lui ai commandé de marcher, les liens factices qui l’enchaînaient, se sont rompus d’eux-mêmes.
Il semblait paisible. Loyola hocha la tête.
– Vous ne pensez pas, dit-il, que je tiendrai pour vraie une seule des impostures de votre réponse ?… Ainsi donc, vous refusez de me dire le sortilège que vous avez dû employer ?…
Renaud, dans la question du moine, dans son attitude, lisait la foi forcenée de cet homme, la foi qui lui bandait les yeux de l’intelligence. Ce fut horrible. Une lueur, tout à coup, le pénétra :
– L’intelligence de cet homme est inaccessible ; peut-être trouverais-je le chemin de son cœur ?
Il se mit à genoux. Son pied droit fut tordu par l’anneau de fer ; ce fut une souffrance qu’il ne sentit pas. Sa figure était décomposée. Il parla. Et sa voix contenait une telle intensité de douleur que Loyola gronda :
– L’enfer cherche à me prendre par le cœur après avoir tenté de me prendre par l’esprit.
– Messire, disait Renaud. J’ai un père, un pauvre vieillard qui n’a plus que moi au monde. Un danger mortel le menace. Avez-vous un père ? Supposez qu’il vous suffise de lever la main pour sauver votre père d’une mort horrible. Laissez-moi libre pour huit jours, et sur Dieu, je vous jure de revenir ici dès que j’aurai sauvé mon père…
– Montrez-moi le pacte que vous avez signé avec Satan et qui vous permet de faire marcher les paralytiques.
Renaud se tordit les mains. Il râla :
– Messire. J’ai une femme, une jeune femme. Avez-vous jamais aimé ? Soyez plus que Dieu, soyez homme !
Loyola, quand il vit cet homme jeune, robuste, se rouler sur les dalles, essayer de ramper vers lui, quand il entendit cette voix brisée de sanglots, Loyola pleura !… Mais Loyola se signa et franchit la porte en murmurant :
– Ruse de Satan, c’est en vain que tu donnes l’assaut à ma faiblesse humaine !
Et comme il s’éloignait du fond du cachot dont on refermait la porte, il entendit venir jusqu’à lui, cette imprécation :
– Maudit ! Je vivrai pour te faire souffrir ce que je souffre !…