Myrta, le jour de la passe d’armes, se dirigea vers la lice de la rue Saint-Antoine. Au fond, elle avait l’espoir d’y rencontrer Le Royal de Beaurevers. Qu’était-il devenu ?
Myrta regardait de tous ses yeux. Or, tout à coup, il se fit un silence dans la foule. Le roi, les reines, les princes et les princesses, tous les grands premiers rôles étaient passés déjà : on ne voyait plus défiler que le menu fretin des hobereaux. Qu’était-ce ?…
Une rumeur traduisit la naïve stupeur de la foule.
– Ho ! Qui sont ceux-là ? – Sainte-Vierge, les beaux mignons que voilà ! – Leurs rapières pèsent bien dix livres ! Et leurs moustaches ! – Ce sont les envoyés de la reine de Saba ! – Hourra !
Ils étaient quatre qui se redressaient, fiers, majestueux et enflés d’un exorbitant orgueil. Il est certain qu’ils étaient superbes, tout neufs, trop neufs, empêtrés de plumes, de rubans, de galons. Ils se dandinaient, frisaient leurs moustaches énormes avec impertinence.
– Attention ! disait Trinquemaille. Nous sommes à la cour !
– Il n’y a pas de tapis ! observa Bouracan.
– Tiens-toi ! fit Corpodibale. Le peuple nous admire !
– Ah ! milodious, dit Strapafar, c’est pour nous le succès !
Tout à coup, le même Strapafar cria :
– Outre ! Parfandious !…
– Té ! Vé ! C’est Myrta !… Et adieu donc, la pitchoune !
Les quatre avaient tressailli. Ils écartèrent les hallebardiers, s’accoudèrent à la barrière de bois avec cette pensée qu’ils allaient avoir des nouvelles de Beaurevers. Myrta ouvrait des yeux effarés. Le peuple applaudissait ces gentilshommes familiers. On écoutait. Myrta disait :
– Vous ! sous ces costumes ! dans la suite du roi !
– De la reine ! rectifia Trinquemaille. Ma chère. On a fait son chemin, nous sommes gentilshommes de la reine…
– Et nous habitons au Louvre ! fit Corpodibale.
– Dans les appartements de la reine ! dit Strapafar.
– Ya ! ponctua Bouracan, majestueux.
En quelques mots, Myrta fut mise au courant de la nouvelle fortune des quatre compères, et elle frémit :
– À quelle besogne sont-ils destinés ? songea-t-elle.
Eux énuméraient les repas somptueux, décrivaient leur logement et, enfin, la même question fut posée :
– Et lui ?…
Hélas ! Myrta ignorait. Et les quatre ne savaient rien. Bref, on se sépara, non sans promesses de se revoir.
Le passe d’armes eut lieu comme on a vu. Le drame se déroula, selon les péripéties arrangées par ce mystérieux metteur en scène qu’est le Destin – représenté par Nostradamus.
Myrta ne vit rien de la tragique péripétie. Elle était trop loin et elle songeait à Beaurevers. Elle fût partie si sa rencontre avec les estafiers n’eût surexcité sa curiosité. Soudain, la grande clameur qui venait des lices. Puis, dans le peuple, de sourds murmures :
– Le roi est blessé mortellement. Le roi va mourir.
Et, par groupes hâtifs, la multitude s’écoula… Bientôt les lices furent vides. La fête était terminée.
Et ce fut alors que Myrta aperçut au loin, près d’une tente, les quatre compères immobiles, vers lesquels elle se dirigea. Et, comme elle approchait, elle vit qu’ils pleuraient.
Qui pleuraient-ils ? Il n’y avait qu’un homme au monde que ces quatre-là étaient capables de pleurer. Elle courut à eux, avec la certitude d’un malheur.
– Que lui est-il arrivé ?
– Il est arrêté !
Les estafiers ne se trompèrent pas plus à la demande que Myrta ne se trompa à la réponse : lui… il… cela ne pouvait signifier que : Le Royal de Beaurevers. Elle devint très pâle.
– Arrêté !… Par qui ?…
– Roncherolles ! dit Corpodibale.
Il sembla à Myrta qu’elle allait mourir. Mais elle avait l’âme forte. Elle dompta sa douleur.
– Pourquoi l’a-t-on arrêté ?…
– C’est lui qui l’a voulu ! dit Trinquemaille. Pourquoi ?
– Il n’a pas voulu tuer Roncherolles, dit Bouracan.
Myrta frissonna de jalousie. Le Royal s’était laissé arrêter plutôt que de frapper le père de Florise !…
– Comme il l’aime ! songea-t-elle, désespérée.
Mais, dans le même moment, cet élan de jalousie s’affaissa. Sa douleur se concentra en une pensée unique :
– Il faut que je le sauve !…
Elle se fit raconter l’arrestation dans tous les détails. Ils ne pleuraient plus. Et elle leur donna ses ordres.
– Vous allez rentrer au Louvre, puisque vous y logez, Y a-t-il un moyen de parvenir jusqu’à vous, de jour ou de nuit ?
– C’est facile. Il y a un mot spécial pour nous : Pierrefonds.
– C’est bien. Rentrez. Et attendez. Tenez-vous prêts à agir quoi que je vous fasse savoir. C’est pour lui !… Est-ce dit ?
Déjà Myrta s’éloignait en courant. À leur tour, les estafiers partirent empressés, se disant entre eux :
– Elle le sauvera !…