IV OÙ ÉTAIT BEAUREVERS

En cette nuit qui venait de s’écouler, Nostradamus avait dit à Beaurevers : « Vous la trouverez à Pierrefonds… » Beaurevers s’était élancé, bousculant Trinquemaille, Strapafar, Bouracan et Corpodibale, gardes du corps de la reine, passant près de Lagarde et de ses huit hommes. Lagarde s’était jeté à la poursuite de Beaurevers et l’avait atteint, comme on a vu.

Le Royal de Beaurevers compta les rapières dégainées contre lui. Neuf ! C’était bonne mesure.

Le chef vit que ses hommes n’attendaient que son signal.

– Prenez-le, dit-il, mais je veux son foie.

– Voici du fouet ! rugit Beaurevers, dont l’épée en effet siffla et fouetta la joue de Lagarde.

Lagarde poussa un hurlement, auquel répondit un gémissement. Un des hommes tombait ! C’était le coup de Beaurevers ! La rapière, en cinglant, avait décrit un demi-cercle, et, après avoir souffleté Lagarde, avait éraflé ici un nez, là un menton, et s’était plantée dans une gorge.

– Et d’un ! vociféra Le Royal. Mon poignet se dérouille !

Huit épées furieuses pointèrent. Il y eut un rugissement :

– Nous aurons tes tripes pour les mettre à la chaudière !

Les huit rapières ne trouvèrent que le vide. Beaurevers s’était jeté à plat ventre. L’instant d’après, il se relevait, non sans porter un coup. Un ventre fut ouvert.

– Prenez celles-ci pour votre chaudière ! Et de deux !…

Ils étaient sept : ils reculèrent. Un étonnement mêlé d’admiration et de rage les paralysait.

Cela dura deux ou trois secondes. Et comme ils étaient là, attendant le moment favorable, un cri rauque :

– Une sortie ! Une sortie par tous les enfers !

Le Royal surgit, jaillit de son encoignure, puis s’y renfonça. Mais la sortie avait abattu un homme encore.

– En avant ! tonna Lagarde.

Les six, ensemble, foncèrent… Il y eut, dans les ténèbres de cette encoignure, un cliquetis de fers, des grognements, des imprécations, puis, un recul de la bande réduite à cinq !… Un cri retentit :

– Le chef est mort !…

Lagarde gisait sans mouvement, la poitrine trouée. Beaurevers haletait. Ses deux épaules saignaient. Mais il était vivant, et sa voix vibrait :

– Qui veut apprendre le coup de Beaurevers !

– En avant ! En avant !…

Ils s’élancèrent à cinq : mais ils n’arrivèrent qu’à deux ; trois firent semblant de se jeter sur lui, et s’enfuirent. Les deux s’arrêtèrent stupides.

Alors, Beaurevers prit leurs épées et les brisa. Il les eût souffletés sans qu’ils eussent pensé à se défendre. Ils se disaient : C’est Beaurevers ! Il va nous achever.

Il les acheva, en effet : il les saisit par la tignasse, et se mit à cogner leurs crânes l’un contre l’autre, en hurlant :

– Mais allez-vous en donc, puisque je vous fais grâce.

Ils partirent comme des flèches. Et de cette aventure, demeurèrent à moitié idiots. Le Royal se pencha sur Lagarde, et vit que la mort avait achevé son œuvre.

– Pauvre diable ! murmura-t-il.

Alors seulement, Le Royal de Beaurevers s’aperçut qu’il ne tenait plus qu’un tronçon d’épée. Il l’examina quelques instants, puis, pensif, murmura :

– Tiens ! ce n’était pas ma rapière !…

C’était vrai. Ce n’était pas sa rapière : elle était restée dans l’hôtel de la rue Froidmantel. C’est avec l’épée de Montgomery que Le Royal avait combattu… l’épée apportée par Catherine de Médicis à Nostradamus parce que le Destin voulait que le roi tombât sous, le fer de Montgomery !

– Pourquoi me suis-je trompé de rapière ?

Il haussa les épaules, et se mit en route. Il se rendit à ce cabaret mal famé où, un soir, après leur sortie des caves de la grande prévôté ses quatre acolytes et lui avaient cherché refuge. Il fit panser ses blessures. Il avait de l’argent : Nostradamus avait garni sa ceinture. Il acheta un manteau, remplaça son pourpoint déchiqueté, et choisit une rapière longue, forte, souple : un véritable estramaçon de guerre. Après quoi, il se munit d’un bon cheval. Tout cela le conduisit à peu près jusqu’à l’heure de l’ouverture des portes.

Il se présenta à cheval à la porte Saint-Denis.

Il allait en tempête. Et sa pensée rugissait, tonnait, galopait, furieuse, frénétique, devançant l’effroyable galop du cheval…

Lorsqu’il sortit de la forêt, lorsqu’il vit se profiler sur le ciel éclatant le sombre colosse qui semblait l’attendre. Beaurevers eut un long rugissement de triomphe. Il hurla :

– À nous deux !…

Le cheval emporté par l’élan, piqua droit sur l’auberge, à un tourniquet de laquelle hennissait un autre cheval.

– Bon ! dit Beaurevers tout haut, sans savoir, j’aurai ici des renseignements sur ce nid de larrons !

Il sauta à terre. À ce moment son cheval s’abattit…

Beaurevers poussa violemment la porte d’entrée et pénétra dans une salle déserte, silencieuse. Un étrange bruit de lutte s’entendait en haut. Des pas pesants firent crier un escalier. Beaurevers écoutait, palpitant… et alors une clameur s’éleva, une voix affolée, qu’il reconnut :

– Beaurevers ! À moi ! À moi ! Beaurevers !…

– Me voici ! dit Le Royal.

Une porte, au fond de la salle, battit, poussée d’un coup de genou. Roland de Saint-André entra, serrant dans ses bras Florise, à demi-morte. Il ne vit rien. Il n’entendit rien. Mais dans l’instant même où il mettait le pied dans la salle, il tourna trois fois sur lui-même, et alla rouler à dix pas… Quand il se releva, il vit Beaurevers qui, doucement, déposait sur le plancher Florise évanouie de joie.

Debout Roland, marcha sur Le Royal l’épée à la main.

Brusquement, les deux fers se trouvèrent engagés, les deux hommes en garde, et Roland débuta par un coup droit terrible : le coup de parade releva l’épée qui érafla le menton de Beaurevers. D’un bond, Roland évita la riposte.

Roland, à trois pas de Beaurevers, tournait lentement. Tout à coup, il engagea. Pendant une minute, ce fut une frénétique succession d’attaques, de parades, de ripostes, de coups de fouet – et comme Roland se mettait à rompre, la rapière de Beaurevers s’allongea, et entra dans la poitrine d’où le sang jaillit à flots.

Le Royal vit Florise qui s’enveloppait de son manteau.

– Fuyons, fit-elle.

– Ne craignez plus rien, dit-il doucement. Elle le regarda, et sous ce regard il pâlit.

– Je ne crains rien, mais il faut fuir, et vite… Fuyons.

– Venez donc, reprit-il. Où faut-il vous, conduire ?

– À Paris, chez mon père, dit-elle avec fermeté.

Il fit oui de la tête. Il ne savait plus de quoi il était question. Il ne savait qu’une chose, c’est qu’il était près de Florise, que cette voix c’était la voix de Florise. Elle, étrangement calme, sortit la première.

– Mon cheval est mort, Bégaya Beaurevers.

– En voici un, dit-elle en désignant le cheval de Roland.

Légèrement, elle prit place en avant de la selle. Beaurevers se mit en selle. En avant ! Il était ivre. Il se sentait mourir à sentir palpiter sur son bras ce corps gracieux. Était-ce lui qui galopait, emportant Florise conquise de haute lutte !… En avant !…

– Halte-là ! hurlèrent des voix rauques.

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