III AU RAPPORT

Lorsque tout le monde eut quitté la salle du conseil, la tenture qui masquait une des fenêtres se souleva, et Lagarde parut. Il se dirigea vers les appartements de la reine, auprès de laquelle il fut admis dès qu’il se présenta.

– Madame, dit Lagarde, il s’agit de l’arrestation du sorcier, du sire de Notredame.

Catherine tressaillit :

– Et ce rebelle ? Ce Beaurevers ? fit-elle d’une voix dure. Depuis quelques jours vous jouez de malheur, Lagarde…

– Je sais ce qu’il advint à mon prédécesseur, madame, lorsqu’il cessa de vous plaire. Vous le priâtes un jour de vous accompagner. En passant dans un couloir souterrain, une trappe s’ouvrit sous ses pas, et depuis on ne l’a plus revu. Vous m’avez montré la trappe, madame. Je suis prêt à y passer. En attendant, je fais de mon mieux.

Il y avait une sorte de grandeur sauvage dans cette attitude. Catherine l’admira un instant, puis plus doucement :

– Je le sais. Ce n’est pas ta faute si la fatalité a voulu que… Nous trouverons une autre occasion. Dis-moi… le roi…

– Depuis le soir, fit Lagarde, il n’est jamais sorti du Louvre.

– Tiens, mon bon Lagarde, prends ce diamant. Il me fut donné par le municipe de Florence. Je sais que tu es prêt pour une autre fois. Il vaut bien quarante mille livres. Sans doute, tu es fidèle, brave, adroit. Ne parlons plus de l’affaire de la grande-prévôté, Lagarde. Une autre occasion viendra. Mais ce Beaurevers !… Là, pourtant, tu marches à visage découvert, pour le compte du roi… Tu l’as perdu, dis ?

Lagarde se redressa.

– Madame, dit-il, on connaît son métier, je pense. Suivre à la piste une bête traquée, ne pas lâcher un instant le fil conducteur, voilà le délicat de la profession. Je tiens le Beaurevers, madame. Je ne l’ai pas perdu une minute. Il sera arrêté demain ; arrêté ou poignardé, comme vous voudrez. Car il a pris gîte chez Nostradamus, et il paraît que je fais partie de l’expédition contre le sorcier.

Catherine murmura ces mots que Lagarde n’entendit pas :

– Beaurevers chez Nostradamus !… Que peut-il y avoir entre ces deux hommes ?

Elle reprit d’une voix lente :

– Veux-tu savoir mon idée ? Eh bien, Nostradamus ne sera pas arrêté. Beaurevers ne sera pas arrêté.

– Pourquoi ? Ce sorcier vient-il au nom du diable ?

– Peut-être ! À moins qu’il ne vienne au nom de Dieu. Quoi qu’il en soit, il me faut ce Beaurevers. Il sait des choses, Lagarde. Je vois maintenant comment il les sait. As-tu réorganisé ton escadron décimé par lui ?

– Sur douze, qui est le chiffre réglementaire, nous avons huit cœurs solides, huit dagues de première force. Il nous en manque quatre, et les vides seront comblés.

– Cherche-les Lagarde, hâte-toi. Trouve-les. Je ne peux plus attendre. Ces hommes portent ma fortune. Es-tu sûr des huit que tu as ?

– Comme de moi-même, madame. Quant aux quatre qui manquent, peut-être les aurais-je bientôt… Je les étudie depuis quelques jours… qui sait ?… mais non ! impossible.

– Qui sont-ils ? fit Catherine avec un regard perçant.

– Madame, avez-vous entendu parler de la mort du baron Gerfaut, seigneur de Croixmart, sous le règne du feu roi ?

Le sire de Croixmart était grand juge. Un matin d’exécution publique, il fut saisi, en place de Grève, et mis en morceaux. Eh bien, madame, le grand juge fut saisi et tué par les quatre dont je vous parle. Avez-vous entendu parler de Brabant-le-Brabançon ? On l’appelait le poignard du duc d’Orléans. Il était à l’époque dont je vous parle, pour votre époux, ce que j’ai l’honneur d’être pour vous. Après l’affaire de la place de Grève, les quatre disparurent. Brabant-le-Brabançon disparut aussi. En Flandre, en Italie, en France, Brabant conquit la réputation d’un diable. Il sema l’épouvante. Eh bien, les quatre dont je vous parle étaient les quatre épées de Brabant. Plus près de nous, madame, ce sont ces quatre-là qui, conduits par Beaurevers, sont tombés sur nous sous les murs de la grande prévôté. Ce sont ces quatre qui ont gardé le roi prisonnier dans le logis de la rue Calandre. Voilà les quatre que je voudrais vous offrir. Malheureusement, ils sont corps et âme à celui qu’il faut supprimer : à Beaurevers. Et je vais être obligé de les supprimer eux-mêmes !

– Où sont ces hommes ? fit la reine après un silence.

– Dans un cabaret de la rue Froidmantel, où ils surveillent et guettent, prêts à mourir pour leur chef.

– Quels hommes sont-ils ?

– Insoucieux, sans scrupules, ne connaissant d’autre Dieu que leur Beaurevers, bons à prendre ou à pendre.

Catherine retomba dans sa méditation. Enfin, elle dit :

– Tu ne toucheras pas à ces hommes. Dans deux jours, tu leur feras tes propositions. Ils accepteront. Va maintenant.

Lagarde s’inclina et sortit sans demander d’autres explications. Alors Catherine se redressa, s’approcha d’un miroir et regarda attentivement son front.

– La trace a disparu, murmura-t-elle. La trace du doigt de François. Sire, trouvez-vous toujours que Catherine de Médicis sent la mort ?… Prenez garde ! Plus que jamais la mort est là qui vous touche… Que mes braves filles réussissent, et ce Beaurevers succombe. Après lui, Nostradamus ! Après lui, Montgomery ! Tous ceux qui savent ! Et après lui, le roi !… Et alors, je suis la reine ! Et je prépare à mon fils un trône digne de lui…

Elle frappa sur un timbre. Une suivante apparut.

– Envoyez-moi Mlles de L…, de B…, de M… et d’O…

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