IV

Le soleil se levait, lorsque Clérian acheva le récit de son rêve. Un son de trompette qu’apportait le vent du matin, se faisait entendre vers le nord. C’était le signal qui rassemblait auteur du drapeau les soldats épars dans la plaine.

Les trois compagnons se levèrent et prirent leurs armes. Ils s’éloignaient, jetant un dernier regard sur le foyer éteint, lorsqu’ils virent Flem venir à eux en courant dans les hautes herbes. Ses pieds étaient blancs de poussière.

– Amis, dit-il, je ne sais d’où je viens, tant ma course a été rapide. Pendant de longues heures, j’ai vu la ronde échevelée des arbres fuir derrière moi. Le bruit de mes pas qui me berçait m’a fait clore les paupières, et, toujours courant, sans que mon élan se ralentit, j’ai dormi d’un sommeil étrange.

Je me suis trouvé sur une colline désolée. Un soleil ardent frappait les grands rocs. Mes pieds ne pouvaient se poser sans que la chair en fût brûlée. J’avais hâte d’atteindre la cime.

Et, comme je me précipitais dans mes bonds, je vis monter un homme qui marchait lentement. Il était couronné d’épines ; un lourd fardeau pesait sur ses épaules, une sueur de sang inondait sa face. Il allait péniblement, chancelant à chaque pas.

Le sol brûlait, je ne pus subir son supplice ; je montai l’attendre sous un arbre, au sommet de la colline. Alors je reconnus qu’il portait une croix. À sa couronne, à sa robe pourpre tachée de boue, je crus comprendre que c’était là un roi, et j’eus grande joie de sa souffrance.

Des soldats le suivaient, pressant sa marche du fer de leur lance. Arrivés sur la roche la plus élevée, ils le dépouillèrent de ses vêtements, ils le couchèrent sur l’arbre sinistre.

L’homme souriait tristement. Il tendit les mains grandes ouvertes aux bourreaux ; les clous y firent deux trous sanglants. Puis, rapprochant ses pieds l’un de l’autre, il les croisa, et un seul clou suffit.

Couché sur le dos, il se taisait en regardant le ciel. Deux larmes coulaient lentement sur ses joues, larmes qu’il ne sentait pas, et qui se perdaient dans le sourire résigné de ses lèvres.

La croix fut dressée, le poids du corps agrandit horriblement les blessures, et j’entendis les os se briser. Le crucifié eut un long frisson. Puis, il se remit à regarder le ciel.

Moi, je le contemplais. Voyant sa grandeur dans la mort, je disais : « Cet homme n’est pas un roi. » Alors j’eus pitié, je criai aux soldats de le frapper au cœur.

Une fauvette chantait sur la croix. Son chant était triste et parlait à mes oreilles comme la voix d’une vierge en pleurs.

« – Le sang colore la flamme, disait-elle, le sang empourpre la fleur, le sang rougit la nue. Je me suis posée sur le sable, mes pattes étaient sanglantes ; j’ai effleuré les branches du chêne, mes ailes étaient rouges.

« J’ai rencontré un juste, je l’ai suivi. Je venais de me baigner dans la source, et ma robe était pure. Mon chant disait : Réjouissez-vous, mes plumes : sur l’épaule de cet homme, vous ne serez plus souillées de la pluie du meurtre.

« Mon chant dit aujourd’hui : Pleure, fauvette du Golgotha, pleure ta robe tachée par le sang de celui qui te gardait l’asile de son sein. Il est venu pour rendre la blancheur aux fauvettes, hélas ! et les hommes le forcent à me mouiller de la rosée de ses plaies.

« Je doute, et je pleure ma robe tachée. Où trouverai-je ton frère, ô Jésus ! pour qu’il m’ouvre son vêtement de lin ? Ah ! pauvre maître, quel fils né de toi lavera mes plumes que tu rougis de ton sang ? »

Le crucifié écoutait la fauvette. Le vent de la mort faisait battre ses paupières ; l’agonie tordait ses lèvres. Son regard se leva vers l’oiseau, plein d’un doux reproche ; son sourire brilla, serein comme l’espérance.

Alors, il poussa un grand cri. Sa tête se pencha sur sa poitrine, et la fauvette s’enfuit, emportée dans un sanglot. Le ciel devint noir, la terre frémit dans l’ombre.

Je courais toujours et je dormais. L’aurore était venue, les vallées s’éveillaient, rieuses dans les brouillards du matin. L’orage de la nuit avait donné plus de sérénité au ciel, plus de vigueur aux feuilles vertes. Mais le sentier se trouvait bordé des mêmes épines qui me déchiraient la veille ; les mêmes cailloux durs et tranchants roulaient sous mes pieds ; les mêmes serpents rampaient dans les buissons et me menaçaient au passage. Le sang du juste avait coulé dans les veines du vieux monde, sans lui rendre l’innocence de sa jeunesse.

La fauvette passa sur ma tête, et me cria :

– Va, va, je suis bien triste. Je ne puis trouver une source assez pure où me baigner. Regarde, la terre est méchante comme hier. Jésus est mort, et l’herbe n’a pas fleuri. Va, va, ce n’est qu’un meurtre de plus.

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