Remarquez-vous, reprit la Hyène un peu plus loin, remarquez-vous ces portes épaisses et ces énormes serrures ? Les hommes mettent du fer et du bois entre eux, pour éviter le désagrément de s’entre-dévorer. Et il y a, à chaque coin de rue, des gens avec des épées, qui maintiennent la politesse publique. Quels animaux farouches !
À ce moment, un fiacre qui passait écrasa un enfant et le sang jaillit jusque sur la face du Lion.
– Mais c’est écœurant ! s’écria-t-il en s’essuyant avec sa patte ; on ne peut pas faire deux pas tranquille. Il pleut du sang dans cette cage.
– Parbleu, ajouta la Hyène, ils ont inventé ces machines roulantes pour en obtenir le plus possible, et ce sont là les pressoirs de leur ignoble vendange. Depuis un instant, je remarque, à chaque pas, des cavernes empestées au fond desquelles les hommes boivent de grands verres pleins d’une liqueur rougeâtre qui ne peut être autre chose que du sang. Et ils boivent beaucoup de cette liqueur pour se donner la folie du meurtre, car, dans plusieurs cavernes, j’ai vu les buveurs s’assommer à coups de poing.
– Je comprends maintenant, reprit le Lion, la nécessité du grand ruisseau qui traverse la cage. Il en lave des impuretés et emporte tout le sang répandu. Ce sont les hommes qui ont dû l’amener ainsi chez eux, par crainte de la peste. Ils y jettent les gens qu’ils assassinent.
– Nous ne passerons plus sur les ponts, interrompit la Hyène en frémissant... N’êtes-vous pas fatigué ? Il serait peut-être prudent de rentrer.