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Quand vous présentez un effet de commerce pour en obtenir le paiement, ne lâchez pas l’effet, c’est une maxime générale.

En 18…, un négociant prit un billet, se retourna vers sa caisse, et, après avoir avalé l’effet, nia qu’on le lui eut présenté.

Cette scène se passa en Angleterre. La somme était considérable. Le négociant dirigeait la maison Saint-Hubert et Will. Le jeune homme qui présentait le billet, venait pour la maison Mac-Fin. Ces deux banquiers étaient riches, honorables et jouissaient d’une grande réputation de loyauté.

L’affaire fut portée en référé, attendu l’urgence.

Le tribunal ordonna sur-le-champ qu’un apothicaire serait tenu de prêter serment et de diriger une colonne d’eau vers le billet, par les voies ordinaires.

L’inculpé s’opposa au jugement ; et ses conclusions établissaient : que le tribunal n’avait appuyé sa décision sur aucune partie de la législation ; que l’introduction d’un objet quelconque par les voies ordinaires était un supplice ; que lui, Saint-Hubert, se portait fort d’établir que l’usage du pal n’avait jamais été adopté en Angleterre ; que d’ailleurs il était affligé d’une maladie hémorroïdale et que c’était risquer d’attenter à ses jours et de lui causer une affection fistuline ; que le tribunal enfin n’avait pas un tel droit sur les sujets de Sa Majesté Britannique.

On en référa d’urgence à un autre tribunal, qui, faisant droit aux plaintes du prévenu, ordonna que l’apothicaire ne remplirait pas sa charge, mais que M. Saint-Hubert serait enfermé, nourri jusqu’à ce que l’évacuation du billet eût eu lieu.

La maison Mac-Fin fournit aussitôt une consultation de médecins qui prouvaient que le papier, ne se digérant pas, restait en nature comme quelques autres substances, et pouvait demeurer longtemps dans le corps.

L’inculpé, de son côté, s’opposa au jugement, prétendant qu’on n’avait aucune qualité pour le détenir, que cette détention causerait du tort à son commerce ; que, d’ailleurs, il était très constipé, et qu’il était possible qu’on le détînt quinze ou seize jours, et que ce ne fût qu’au bout d’un mois qu’on acquît la preuve de son innocence. Il demandait des dommages-intérêts en cas de détention.

Le tribunal maintint son jugement.

Autre opposition au jugement de la part de Saint-Hubert et Will, demandant qu’on fixât le temps de la détention.

La maison Mac-Fin présenta requête pour demander trois selles au moins.

Jugement qui octroya deux selles.

On ne s’accorda pas sur les experts ; il y eut deux jugements, l’un pour admettre deux chimistes pour décomposer les matières, deux médecins pour apprécier l’état des intestins ; et l’autre qui admit deux écrivains experts afin de vérifier les signatures.

L’inculpé demanda qu’on lui laissât voir sa femme.

Lady Saint-Hubert forma en même temps une demande tendant à ce qu’on ne lui ravît pas la société de son mari.

La partie adverse s’y opposa. Un jugement fut rendu conforme aux conclusions de la maison Mac-Fin.

Lady Saint-Hubert attaqua les juges devant une cour souveraine, attendu qu’aucune loi ne lui conférait le droit de dissoudre un mariage. Arrêt souverain qui donna gain de cause, mais sur la cohabitation seulement à l’inculpé et à sa femme.

Là, il y avait pour 300 livres sterling de frais de part et d’autre.

Les adversaires formèrent une demande pour qu’on administrât un vomitif.

L’inculpé prétendit qu’on détruirait sa santé ; que le vomitif serait de nul effet parce que depuis longtemps ses digestions étaient faites.

Sir Saint-Hubert appela enfin sur tous les chefs de la procédure. Alors, attendu l’irrégularité, la cour rendit un jugement conforme à ses conclusions c’est-à-dire lui donna deux gardes pendant un mois, lesquels devaient le suivre partout et examiner l’état de ses vêtements.

Cet arrêt prévoyait tous les cas ; il formait trente-huit pages de minutes seulement. On ne parlait que de cela dans Londres.

La maison de banque Mac-Fin et compagnie souhaitait une diarrhée : mais M. Saint-Hubert resta constipé.

Après dix-sept jours de plaidoiries et de garde auprès de la personne du banquier, il eut une selle abondante. Analyse faite des matières ; le billet ne s’y trouva pas.

Londres attendit avec impatience la seconde : le billet n’y fut pas davantage.

La maison Mac-Fin et compagnie demanda l’apport des registres et produisit les siens. Le billet était porté comme échéant tel jour et négocié tel autre. M. Saint-Hubert, tenu de représenter ses livres, montra que le billet devait venir le jour indiqué ; mais qu’il avait été payé.

On lui demanda de le représenter ; il allégua que l’usage de sa maison était de brûler les effets acquittés.

Cette affaire occupa Londres pendant deux mois ; si bien que les liseurs de gazettes affirmèrent que c’était un tour de M. Pitt, qui détournait ainsi l’attention publique de certaine opération financière qui lui valut dix millions. La maison Mac-Fin perdit le billet, qui était de deux mille livres sterling, et les frais qui s’élevèrent à trente mille francs.

La maison Mac-Fin prétendit que Lady Saint-Hubert avait par dévouement, dérobé une selle aux yeux des gardes ; et le public de Londres s’amusa quinze jours des moyens présumés employés par Lady Saint-Hubert.

Y avait-il simple ou double escroquerie ?

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