IV

À cause des cancrelats, je passais également la nuit aux abords de la piscine, étendu sur le panneau, la tête sur un cordage, et ne descendais presque jamais dans ma cabine. Alors j’étais rejoint par le bosco et le charpentier qui avaient édifié pour moi et sur mes indications cette piscine sur la plage arrière, par le cuisinier, par le garçon, par le barman dont j’étais l’unique client, et je leur payais à boire, à tous les cinq, mais sans jamais arriver à leur faire desserrer les dents.

Ces types avaient l’ivresse morose. Le barman roulait des cigarettes qu’il m’envoyait d’une chiquenaude. Le bosco suçait une longue pipe de porcelaine. Le coq croquait un cigare qu’il débitait en petites rondelles à l’aide d’un grand coutelas de cuisine qui fonctionnait d’un coup sec comme la guillotine. Le garçon et le charpentier chiquaient.

Nuit après nuit, des étoiles familières disparaissaient. D’autres, des nouvelles, apparaissaient. Le ciel bougeait d’un cran. La Petite Ourse déclinait derrière nous pour autant que nous nous rapprochions de la Croix du Sud qui allait surgir d’un moment à l’autre entre deux ondulations. Mais notre nuit se passait à vider des bouteilles de bière sans souffler mot car, pas plus que moi de la guerre, ces navigateurs n’avaient envie de parler de leur vie, et personne de nous n’avait rien à dire.

Mais nous étions bien.

À l’aube, chacun d’eux s’en retournait à son boulot, pesamment, voire titubant, et, moi, je me replongeais allègrement dans ma piscine, où je nageais, seul, comme un phoque dans un zoo.

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