IX

Sorti du pot-au-noir le vieux cargo progressait sans hâte dans une cuve d’indigo aux lentes ondulations et sous un dôme d’azur.

Le ciel, la surface de l’océan miroitaient à l’infini et l’immensité, où le soleil faisait la roue, était éblouissante.

Les objets n’avaient plus d’ombre.

Tout ce qui, à l’échelle des yeux, avait forme, la rambarde, la dunette, la cheminée, le grand mât, avait l’air d’être en fusion et de trembler, de mollir, de se dissoudre dans la chaleur ; seul l’espace qui s’éloignait du bord durcissait à mesure qu’il se rapprochait de la ligne de l’horizon, où il avait l’apparence et l’éclat d’une vitre frigide donnant sur l’au-delà.

Jamais encore je n’avais été aussi heureux de ne rien faire. Et si j’étendais une jambe ou y posais la main, le pont me brûlait.

Et quand je voyais passer, dans un halo de couleurs qui le faisait ressembler, tellement la lumière était crue, à un arc-en-ciel allant se décomposant, l’inspecteur qui se morfondait à bord et qui ne savait que faire de son fusil et de son kodak dans cette immensité qui lui semblait vide, et où il se sentait perdu, j’avais pitié de mon ennemi, mais néanmoins envie de l’interpeller pour me moquer du pauvre homme ; et d’autant plus envie que depuis que nous naviguions entre deux miroirs et qu’il n’avait plus, ni oiseaux, ni nuages à tirer pour tuer le temps, l’intrus avait chaussé son nez d’épaisses lunettes noires.

Share on Twitter Share on Facebook