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— Monsieur Delœil ! lui criai-je, un soir, en grimpant l’échelle qui menait au pont des embarcations où le gros homme se tenait, effondré dans un fauteuil, suant, déboutonné. Monsieur Delœil ! Enlevez vos lunettes, prenez une photo, grouillez-vous, vous allez rater le rayon vert !

C’était le crépuscule. La journée avait été épatante de lumière et de chaleur. Devant nous, le disque du soleil, énorme et congestionné, tournait maintenant rapidement de l’œil. Derrière nous l’horizon se brouillait d’encre. Déjà la nuit montait de la mer, envahissant le ciel de l’est au zénith, lui passant une couche d’un bleu plus sombre, tirant sur le noir, mais restant transparent comme l’outremer. Du cuivre en fusion se répandait à la surface, se mêlait au violet tragique des eaux, dont les creux, les moires, les remous avaient l’éclat précieux du lapis-lazuli, mais dont la masse agitée était criblée, pétrie, compénétrée de reflets vieil or et vert-de-grisés. L’autre pan du ciel, du zénith à l’ouest, à l’extrême-ouest, rosissait, rougeoyait, devenait cramoisi, zinzolin, orangé, vert indien, jaune, et le soleil, dont une moitié flambait de l’autre côté du monde et dont ce qui restait du disque fondait à vue d’œil dans la cuve d’indigo, lançait des mèches, des langues, des jets de feu, des fuseaux d’or, d’antimoine et d’argent, des braises, de la lave incandescente, des rayons en platine, un cône vert.

— C’est admirable ! s’écria le commandant Delœil, qui, penché à côté de moi sur le bastingage n’avait rien perdu du spectacle, mais avait oublié de faire une photographie. C’est admirable,… c’est encore plus beau que dans Jules Verne !

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