CHAPITRE VII NOUVELLE-GALLES DU SUD, TERRE VAN DIEMEN, KING GEORGE’S SOUND, CAP DE BONNE-ESPÉRANCE

Nouvelle-Galles du Sud. – Formation de grès. – Pseudo-fragments de schiste empâtés. – Stratification. – Stratification entrecroisée. – Grandes vallées. – Terre Van Diemen. – Formation paléozoïque. – Formations plus récentes avec roches volcaniques. – Travertin avec feuilles de végétaux éteints. – Soulèvement de la contrée. – Nouvelle-Zélande. – King George’s Sound. – Bancs ferrugineux superficiels. – Dépôts calcaires superficiels avec moules de branches. – Leur origine due à des particules de coquilles et de coraux amoncelées par le vent. – Leur extension. – Cap de Bonne- Espérance. – Contact du granite et du phyllade argileux. – Formation de grès.

Durant la seconde partie de son voyage, le Beagle toucha à la Nouvelle-Zélande, en Australie, à la Terre Van Diemen, et au cap de Bonne-Espérance. Désireux de consacrer la troisième partie de ces Observations Géologiques à l’Amérique méridionale seule, je décrirai brièvement ici tous les faits dignes de fixer l’attention des géologues, que j’ai observés dans les contrées que je viens de citer.

Nouvelle-Galles du Sud. – Mon champ d’observations se bornait au trajet de 90 milles géographiques que j’ai fait pour me rendre à Bathurst, à l’W.-N.-W. de Sidney. À partir de la côte, les trente premiers milles traversent une région de grès, coupée en plusieurs endroits par des rochers de trapp, et séparée du grand plateau de grès des Blue Mountains par un escarpement très élevé qui surplombe la rivière Nepean. Ce plateau supérieur mesure 1.000 pieds d’altitude au bord de l’escarpement, et à une distance de 26 milles de ce bord il s’élève jusqu’à 3.000 à 4.000 pieds au-dessus du niveau de la mer. De ce point la route descend vers une contrée moins élevée, et principalement formée de roches primitives. On y rencontre beaucoup de granite qui passe en un endroit à du porphyre rouge avec cristaux octogonaux de quartz, et qui est coupé ailleurs par des dikes de trapp. Près des Downs de Bathurst je traversai une grande étendue de pays constituée par des phyllades argileux luisants et d’un brun pâle, dont les feuillets altérés couraient du nord au sud. Je mentionne ce fait parce que le capitaine King m’a rapporté qu’aux environs du lac Georges, à une centaine de milles au sud, les micaschistes s’étendent du nord au sud d’une manière si constante que les habitants utilisent cette particularité pour se guider dans les forêts.

Le grès des Blue Mountains offre une puissance d’au moins 1.200 pieds, qui semble plus forte encore en certains endroits ; il est formé de petits grains de quartz cimentés par une matière terreuse blanche, et traversé d’un grand nombre de veines ferrugineuses. Les couches inférieures alternent quelquefois avec des schistes et de la houille ; à Wolgan j’ai trouvé dans le schiste des feuilles de Glossopteris Brownii, fougère qui est très abondante dans la houille d’Australie. Le grès contient des cailloux de quartz dont le nombre et la dimension s’accroissent généralement dans les couches supérieures (ils ont rarement, cependant, plus d’un ou deux pouces de diamètre) ; j’ai observé un fait semblable dans la grande formation de grès du Cap de Bonne-Espérance. Sur la côte de l’Amérique du Sud où des couches tertiaires ont été soulevées sur une grande étendue, j’ai remarqué à plusieurs reprises que les couches supérieures étaient formées d’éléments plus grossiers que les couches inférieures ; cela semble indiquer que la puissance des vagues ou des courants augmentait à mesure que la mer devenait moins profonde. Pourtant, sur la plate-forme inférieure, entre les Blue Mountains et la côte, j’ai observé que les couches supérieures de grès passaient souvent au schiste, ce qui provient probablement de ce que cette région moins élevée a été protégée contre les forts courants pendant son soulèvement. Le grès de Blue Mountains étant évidemment d’origine élastique et n’ayant subi aucune action métamorphique, j’ai observé avec surprise que dans certains spécimens presque tous les grains de quartz offraient des facettes brillantes et qu’ils étaient cristallisés d’une manière si parfaite qu’ils n’avaient certainement pu être empâtés sous leur forme présente dans une roche préexistante. Il est difficile d’imaginer comment ces cristaux ont pu se former ; on peut à peine croire qu’ils aient cristallisé isolément au fond de la mer dans leur état actuel de cristallisation. Est-il possible que des grains de quartz arrondis aient pu être attaqués par un liquide qui a corrodé leur surface et y a déposé de la silice fraîche ? Je dois faire observer que pour le grès du cap de Bonne-Espérance il est évident que de la silice a été déposée en abondance d’une solution aqueuse.

En plusieurs points du grès j’ai observé des enclaves de schiste qu’on aurait pu prendre, à première vue, pour des fragments étrangers ; cependant leurs feuillets horizontaux parallèles à ceux du grès montraient que ces enclaves étaient les restes de lits minces continus. L’un de ces fragments (constitué probablement par la coupe transversale d’une bande longue et étroite) et qui se montrait sur la paroi d’un rocher, présentait une épaisseur verticale plus grande que sa largeur, ce qui prouve que ce lit de schiste doit s’être légèrement consolidé après son dépôt et avant d’avoir été entamé par les courants. Chaque enclave de schiste montre ainsi avec quelle lenteur un grand nombre des couches de grès se sont déposées. Ces pseudo-fragments de schiste expliqueront peut-être, dans certains cas, l’origine de fragments étrangers en apparence, empâtés dans des roches cristallines métamorphiques. Je mentionne ce fait parce que j’ai trouvé près de Rio-de-Janeiro un fragment anguleux nettement terminé, long de 7 yards et large de 2, constitué par du gneiss contenant des grenats et du mica disposés en couches, et empâté dans le gneiss porphyrique stratifié commun dans cette contrée. Les feuillets de ce fragment et ceux de la masse englobante suivaient exactement la même direction, mais ils plongeaient sous des angles différents. Je ne veux pas affirmer que ce fragment (constituant un cas isolé, à ma connaissance au moins) ait été originairement déposé à l’état de couche, comme le schiste des Blue Mountains, entre les strates du gneiss porphyrique, avant qu’elles aient subi le métamorphisme ; mais il existe entre les deux cas une analogie suffisante pour rendre cette explication plausible.

Stratification de l’escarpement. – Les couches des Blue Mountains paraissent horizontales à première vue, mais elles ont probablement un plongement semblable à celui de la surface du plateau qui s’incline de l’ouest vers l’escarpement bordant la rivière Nepean, sous un angle de 1° ou de 100 pieds par mille. Les strates de l’escarpement plongent presque exactement comme sa surface inclinée en pente rapide, et avec tant de régularité qu’elles semblent n’avoir jamais eu d’autre position ; mais on voit, à un examen plus attentif, qu’elles s’épaississent d’un côté, et s’amincissent de l’autre au point de disparaître, et qu’à leur partie supérieure elles sont surmontées et pour ainsi dire coiffées par des bancs horizontaux. Il est probable, d’après cela, que nous sommes ici en présence d’un escarpement original qui n’est pas formé par l’érosion marine, mais par le fait qu’à l’origine les strates ne se sont pas étendues au-delà de ce point. Ceux qui ont l’habitude de consulter des cartes détaillées de côtes sur lesquelles s’accumulent des sédiments sauront que la surface des bancs ainsi formés s’incline, en général, fort lentement de la côte vers une certaine ligne du large au-delà de laquelle la profondeur devient brusquement très grande dans la plupart des cas. Je puis citer comme exemple les grands bancs de sédiments de l’archipel des Antilles qui se terminent en pentes sous-marines inclinées de 30 à 40° et parfois même de plus de 40° ; chacun sait combien une pente semblable paraîtrait escarpée sur terre. Si des bancs de ce genre étaient soulevés, ils auraient probablement la même forme extérieure, à peu près, que le plateau des Blue Mountains à l’endroit où il se termine brusquement au bord de la rivière Nepean.

Stratification entrecroisée. – Dans la région côtière basse et dans les Blue Mountains, les couches de grès sont souvent coupées par de petits lits obliques à leur direction, qui s’inclinent en divers sens souvent sous un angle de 45°. La plupart des auteurs ont attribué ces couches entrecroisées à de petites accumulations successives sur une surface inclinée ; mais à la suite d’un examen minutieux que j’ai fait de quelques points du nouveau grès rouge d’Angleterre, je crois que les couches de ce genre font généralement partie d’une série de courbes, semblables à des vagues gigantesques, dont les sommets ont été arasés ultérieurement et remplacés, soit par des couches à peu près horizontales, soit par une autre série de grandes rides dont les plis ne coïncident pas exactement avec ceux des premières. Il est bien connu de ceux qui s’occupent du service hydrographique que, pendant les tempêtes, la vase et le sable sont bouleversés, au fond de la mer, à des profondeurs considérables, atteignant au moins 300 à 450 pieds, de sorte que la nature du sol y est même modifiée temporairement ; on a observé aussi qu’à une profondeur de 60 à 70 pieds le fond de la mer est couvert de larges rides. D’après les observations que j’ai faites relativement à la structure du nouveau grès rouge, et que je viens de mentionner, il est donc permis de croire qu’à des profondeurs plus considérables le fond de l’océan se recouvre pendant les tempêtes de crêtes et de dépressions semblables à de grandes rides, qui sont nivelées ensuite par les courants pendant les périodes plus tranquilles, et qui se reforment pendant les tempêtes.

Vallées dans les plateaux de grès. – Les grandes vallées qui coupent les Blue Mountains et les autres plateaux de grès de cette partie de l’Australie, et qui ont offert longtemps un obstacle insurmontable aux tentatives des colons les plus hardis pour atteindre l’intérieur de la contrée, constituent le trait principal de la géologie de la Nouvelle-Galles du Sud. Ces vallées sont très vastes et bordées par des lignes ininterrompues de hautes falaises. Il est difficile d’imaginer un spectacle plus majestueux que celui qui s’offre aux regards lorsqu’en s’avançant sur le plateau on arrive tout à coup au bord d’une de ces falaises dont la verticalité est telle qu’on peut atteindre d’un coup de pierre les arbres croissant à 1.000 et 1.500 pieds au-dessous de soi, comme j’en ai fait l’expérience. À droite et à gauche on aperçoit des promontoires se succédant à perte de vue sur la ligne fuyante de la falaise ; et sur le versant opposé de la vallée, souvent éloigné de plusieurs milles, on voit une autre ligne s’élevant à la même hauteur que celle sur laquelle on se trouve, et formée des mêmes couches horizontales de grès pâle. Le fond de ces vallées est peu incliné, et, d’après sir T. Mitchell, la pente des rivières qui les parcourent est faible. Souvent les vallées principales envoient vers l’intérieur du plateau de grandes ramifications en forme de golfes, qui s’élargissent à leur extrémité supérieure ; et, d’autre part, le plateau projette souvent des promontoires dans la vallée et y abandonne même de grandes masses presque entièrement détachées. Les lignes de falaises qui bordent les vallées sont si parfaitement continues que, pour descendre dans certaines d’entre elles, il est nécessaire de faire des détours de 20 milles, et ce n’est même que dernièrement que les officiers du service topographique ont pénétré dans quelques-unes de ces vallées, où les colons ne sont pas encore parvenus à faire entrer leur bétail. Mais le trait le plus remarquable de la structure de ces vallées, c’est que, malgré la largeur de plusieurs milles qu’elles présentent dans leur région supérieure, elles se rétrécissent ordinairement vers leur extrémité inférieure, à tel point qu’elles deviennent impraticables. Le Surveyor-general, Sir T. Mitchell, a tenté vainement de remonter la gorge par laquelle la rivière Grose rejoint le Nepean, en marchant d’abord, et en rampant ensuite entre les grands blocs de grès écroulés ; la vallée de la Grose forme cependant vers sa partie supérieure, ainsi que je l’ai constaté de visu, un bassin magnifique large de plusieurs milles, et elle est entourée de tous côtés par des falaises dont les sommets atteignent, à ce que l’on croit, une altitude qui n’est pas inférieure à 3.000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Lorsqu’on conduit des bestiaux dans la vallée de la Wolgan, par un sentier que j’ai descendu et qui a été, en partie, entaillé dans le roc par les colons, ils ne peuvent pas s’échapper, car cette vallée est entourée complètement par des falaises verticales, et à 8 milles plus bas elle se resserre au point que sa largeur, qui est d’un demi-mille en moyenne, se réduit à celle d’une simple fente dans laquelle ni homme ni bête ne saurait passer. Sir T. Mitchell rapporte que la grande vallée où coule la rivière Cox avec toutes ses ramifications se resserre à son confluent avec le Nepean en une gorge large de 2.200 yards et profonde de 1.000 pieds environ. On pourrait citer encore d’autres exemples semblables.

La première impression qu’on éprouve en constatant la correspondance des couches horizontales sur les deux côtés de ces vallées et de ces grandes dépressions en amphithéâtre, c’est qu’elles ont été creusées principalement, comme les autres vallées, par l’action érosive des eaux ; mais, quand on songe à la quantité énorme de roches qui, dans cette théorie, devraient avoir été transportées au travers de simples gorges, ou même de fentes, lors du creusement de la plupart des vallées dont nous venons de parler, on est porté à se demander si ces dépressions n’ont pas été formées par affaissement ; pourtant, si nous considérons la forme des vallées avec leurs ramifications irrégulières et celle des promontoires étroits qui, partant des plateaux, s’avancent dans les vallées, nous sommes obligés d’abandonner cette manière de voir. Il serait absurde d’attribuer la formation de ces dépressions à l’action alluviale, et les eaux qui ruissellent du plateau ne descendent pas toujours dans la vallée au niveau le plus élevé, mais sur un des côtés de ses flancs en forme de golfe, comme je l’ai observé près de Weatherboard. Des habitants m’ont dit qu’ils ne voient jamais une de ces falaises dont l’allure rappelle celle d’une baie, avec leurs promontoires fuyant à droite et à gauche, sans être frappés de leur ressemblance avec une côte marine élevée. Il en est incontestablement ainsi ; en outre, les beaux et nombreux ports de la côte actuelle de la Nouvelle-Galles du Sud avec leurs bras largement ramifiés, et qui sont ordinairement reliés à la mer par un étroit goulet large de 1 mille à un quart de mille traversant des falaises de grès, ressemblent aux grandes vallées de l’intérieur, en miniature il est vrai. Mais alors se présente immédiatement une grave difficulté : pourquoi la mer a-t-elle creusé ces dépressions si étendues quoique circonscrites, dans un vaste plateau et a-t-elle laissé intactes de simples gorges au travers desquelles l’énorme masse des matériaux broyés doit avoir été transportée tout entière ? La seule lumière que je puisse apporter à la solution de cette énigme, c’est de faire observer que dans certaines mers il s’édifie des bancs affectant les formes les plus irrégulières, et que leurs bords sont si escarpés (comme nous l’avons vu plus haut) qu’il suffirait d’une érosion relativement faible pour les transformer en falaises. J’ai observé en plusieurs points de l’Amérique méridionale que les vagues peuvent former des falaises à pic, même dans les ports entourés de tous côtés par les terres. Dans la mer Rouge des bancs d’un contour extrêmement irrégulier, et formés de sédiments sont coupés par des criques aux formes les plus singulières et à embouchure étroite ; le même cas se présente, mais sur une plus grande échelle, pour les bancs de Bahama. J’ai été amené à croire que ces bancs ont été formés par des courants qui accumulaient des sédiments sur un fond de mer inégal. Quand on a étudié les cartes marines des Antilles, on est forcé de reconnaître que la mer accumule parfois des sédiments autour de rochers sous-marins et de certaines îles, au lieu de les étendre en une nappe uniforme. Appliquant ces théories aux plateaux de grès de la Nouvelle-Galles du Sud, je suppose que les strates peuvent avoir été accumulées sur un fond marin inégal par l’action de courants puissants et des vagues d’une mer largement ouverte, et que les flancs escarpés des espaces en forme de vallées demeurés vides peuvent avoir été transformées en falaises par l’érosion produite durant le soulèvement lent de la contrée ; le grès enlevé par les flots a été emporté, soit au moment où la mer a creusé les gorges étroites en se retirant, soit plus tard par action alluviale.

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