KING GEORGE’S SOUND

Cet établissement colonial est situé à l’angle sud-ouest du continent australien : la contrée entière est granitique et les minéraux constitutifs de la roche sont parfois irrégulièrement disposés en zones droites ou courbes. De Humboldt aurait donné le nom de granite gneissique à la roche présentant cette particularité. Il est intéressant de constater que les collines dénudées et coniques, qui paraissent être formées par des couches à grands plis, ressemblent en petit d’une manière frappante aux collines de granite gneissique de Rio-de-Janeiro, et à celles du Venezuela qui ont été décrites par de Humboldt. Ces roches plutoniques sont coupées, en un grand nombre d’endroits, par des dikes de trapp, j’ai trouvé en un même point dix dikes parallèles s’étendant de l’est à l’ouest, et non loin de là un système de huit dikes, formés d’une autre variété de trapp et disposés dans une direction perpendiculaire à celle des premiers. J’ai observé en plusieurs régions formées de roches primaires des systèmes de dikes parallèles et rapprochés les uns des autres.

Bancs ferrugineux superficiels. – Les parties basses de la contrée sont uniformément recouvertes d’un banc de grès qui suit les inégalités de la surface, à structure cloisonnée comme un rayon de miel, et où abondent les oxydes de fer. Je crois que des bancs d’une composition à peu près semblable se rencontrent communément le long de toute la côte ouest de l’Australie et dans plusieurs des îles des Indes Orientales. Au cap de Bonne-Espérance, à la base des montagnes de granite surmontées de grès, le sol est recouvert partout soit d’une masse ocreuse formée de petits fragments à grain fin comme celle de King George’s Sound, soit d’un grès plus grossier avec fragments de quartz, qu’une forte proportion d’hydrate de fer rend dur et lourd, et dont la cassure fraîche présente un éclat métallique. Dans ces deux variétés la roche possède une texture fort irrégulière et renferme des cavités arrondies ou anguleuses remplies de sable, de sorte que la surface est toujours cloisonnée. L’oxyde de fer est surtout abondant sur les parois des cavités, et c’est là seulement qu’il offre une cassure métallique. Il est évident que dans cette formation, comme dans un grand nombre de dépôts sédimentaires véritables le fer tend à se concrétionner, soit en affectant une structure géodique, soit en prenant une disposition rétiforme. Bien qu’elle soit fort obscure, l’origine de ces bancs superficiels paraît due à une action alluviale s’exerçant sur des détritus riches en fer.

Dépôt calcareux superficiel. – Un dépôt calcaire qui se trouve au sommet de Bald-Head et qui contient des corps ramifiés considérés par certains auteurs comme des coraux, est devenu célèbre par les descriptions de plusieurs explorateurs distingués. Ce dépôt entoure et recouvre de petites éminences irrégulières de granite, à l’altitude de 600 pieds au-dessus du niveau de la mer. Son épaisseur est fort variable ; là où il est stratifié, les bancs sont souvent fortement inclinés, et leur angle atteint parfois 30° ; ils plongent dans toutes les directions. Ces bancs sont coupés quelquefois par des feuillets obliques à faces planes. Le dépôt consiste soit en une poudre calcareuse blanche et fine où l’on ne discerne aucune trace de structure, soit en grains arrondis excessivement petits, de couleur brune, jaunâtre ou pourprée ; les deux variétés sont généralement, sinon toujours, mêlées de petites particules de quartz, et cimentées de manière à constituer une pierre plus ou moins compacte. Les grains calcareux arrondis perdent instantanément leurs couleurs quand on les chauffe légèrement ; sous ce rapport comme sous tous les autres ils ressemblent beaucoup aux petits fragments réguliers de coquilles et de coraux qui ont été transportés sur les flancs des montagnes à Sainte-Hélène, et ont été ainsi débarrassés par vannage de tout fragment plus grossier. Je ne doute pas que les particules calcaires colorées aient eu ici une origine semblable. La poussière impalpable provient probablement de la destruction des particules arrondies, et cette interprétation est plausible, car sur la côte du Pérou j’ai suivi le passage graduel de grandes coquilles non brisées à une substance aussi fine que de la craie réduite en poudre. Les deux variétés de grès calcareux mentionnées plus haut alternent fréquemment avec des couches minces d’une roche substalagmitique et se fondent avec elle ; cette substance est entièrement dépourvue de quartz, même lorsque la roche qui se trouve en contact avec chacune de ses faces contient des particules de ce minéral ; nous devons en conclure que ces couches, comme certaines masses en forme de veines, sont dues à l’action de la pluie qui a dissous la matière calcaire et l’a déposée ensuite, ainsi que cela s’est produit à Sainte-Hélène. Chaque couche marque probablement une surface fraîchement mise à nu à l’époque où les particules aujourd’hui solidement cimentées étaient à l’état de sable incohérent. La roche de ces couches est parfois bréchiforme avec fragments recimentés, comme si elle avait été brisée par suite de la disparition du sable à un moment où elle était encore tendre. Je n’ai pas trouvé un seul fragment de coquille marine, mais les coquilles blanchies d’Hélix mélo, espèce terrestre vivante, abondent dans toutes les couches, et j’ai trouvé aussi un autre Hélix et un Oniscus.

La forme des branches est absolument semblable à celle des tiges brisées et droites d’un buisson ; leurs racines sont souvent à découvert et l’on voit qu’elles divergent dans tous les sens ; ça et là une branche gît abattue. Les branches sont généralement formées de grès plus dur que la matière environnante, et leur partie centrale est remplie de matière calcaire friable ou d’une variété substalagmitique de cette roche ; cette partie centrale est souvent aussi pénétrée de crevasses linéaires contenant parfois, mais rarement, une trace de matière ligneuse. Ces corps calcareux ramifiés paraissent avoir été formés par une matière calcaire fine entraînée par l’eau dans les moules ou cavités produits par la destruction de branches et de racines de buissons qui ont été ensevelis sous le sable accumulé par le vent. La surface entière de la colline se désagrège aujourd’hui, et il en résulte que les moules, qui sont durs et compacts, résistent mieux et font saillie au dehors. Au cap de Bonne-Espérance j’ai trouvé dans le sable calcareux les moules décrits par Abel entièrement semblables à ceux de Bald-Head ; mais leur partie centrale est souvent remplie d’une matière charbonneuse noire non encore éliminée. Il n’est pas étonnant que la matière ligneuse ait été presque entièrement éliminée des moules de Bald-Head, car plusieurs siècles doivent certainement s’être écoulés depuis l’époque où les buissons ont été ensevelis. Par suite de la forme et de la hauteur de cet étroit promontoire il ne s’y accumule pas de sable actuellement, et la surface entière subit une érosion active comme je l’ai fait observer. Nous devons donc rapporter à une époque où l’altitude de la contrée était plus faible, l’amoncellement des sables calcareux et quartzeux au sommet de Bald-Head et l’ensevelissement des débris végétaux qui en a été la suite. Les naturalistes français ont établi la réalité de ce fait par des coquilles soulevées appartenant à des espèces récentes. Une seule circonstance m’avait d’abord inspiré des doutes sur l’origine des moules, c’est que les racines les plus fines appartenant à des souches différentes s’unissaient parfois pour former des feuillets ou des veines verticales ; mais cette circonstance ne constitue pas une objection sérieuse, si l’on se rappelle la manière dont ces radicelles remplissent souvent les crevasses formées dans une terre dure, et si l’on considère que ces racines se détruiront et laisseront des cavités aux endroits qu’elles occupaient, tout comme les souches. Outre les branches calcareuses du cap de Bonne-Espérance, j’ai vu des moules présentant des formes identiques et provenant de Madère et des Bermudes ; dans ces dernières îles, à en juger d’après les spécimens rassemblés par le lieutenant Nelson, les roches calcaires environnantes sont analogues à celles du Cap et d’origine subaérienne. Si l’on tient compte de la stratification des dépôts de Bald-Head, – des couches de roche substalagmitique qui alternent irrégulièrement, – des particules arrondies et de dimension uniforme provenant probablement de coquilles marines et de coraux, – de l’abondance des coquilles terrestres dans toute la masse, – et enfin de la ressemblance absolue des moules calcaires avec les souches, les racines et les branches des végétaux qui peuvent croître sur des collines de sable, je crois, malgré l’opinion différente de certains auteurs, que l’on ne peut mettre raisonnablement en doute la vérité de la théorie que je viens d’exposer sur leur origine.

Des dépôts calcaires semblables à ceux de King George’s Sound occupent une vaste surface sur les côtes de l’Australie. Le Dr Fitton fait remarquer que « pendant le voyage de Baudin on a trouvé une brèche calcaire récente (terme par lequel il désigne tous ces dépôts) sur un espace qui ne mesure pas moins de 25° en latitude et une largeur égale en longitude, sur les côtes sud, ouest et nord-ouest ». Suivant M. Péron, dont les observations et les opinions sur l’origine de la matière calcaire et des moules ramifiés concordent parfaitement avec les miennes, il paraît que le dépôt est généralement beaucoup plus continu qu’aux environs de King George’s Sound. L’archidiacre Scott rapporte qu’à Swan River le dépôt s’étend, en un point, à 10 milles dans l’intérieur des terres. En outre, le capitaine Winckham m’a raconté que, pendant sa dernière inspection de la côte occidentale, il a observé qu’en tous les points où le navire jetait l’ancre le fond de la mer était formé d’une matière calcaire blanche, ainsi qu’il s’en est assuré en faisant descendre au fond des pinces en fer. Il semble donc que le long de cette côte, comme aux Bermudes et à l’Atoll Keeling, il se forme simultanément des dépôts sous-marins et subaériens qui se produisent par la désintégration d’organismes marins. L’étendue de ces dépôts est très remarquable en égard à leur origine, et on ne peut les comparer sous ce rapport qu’aux grands récifs coralliens de l’océan Indien et du Pacifique. Dans d’autres parties du monde, dans l’Amérique du Sud par exemple, il existe des dépôts calcareux superficiels d’une grande étendue, dans lesquels on ne peut découvrir aucune trace de structure organique. Ces observations stimuleront peut-être les recherches quant à savoir si les dépôts de cette nature ne pourraient pas être formés aussi par des débris de coquilles et de coraux.

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