Conclusion

Nous annoncions au début de cet ouvrage que la religion dont nous entreprenions l’étude contenait en elle les éléments les plus caractéristiques de la vie religieuse. On peut vérifier maintenant l’exactitude de cette proposition. Si simple que soit le système que nous avons étudié, nous y avons retrouvé toutes les grandes idées et toutes les principales attitudes rituelles qui sont à la base des religions même les plus avancées : distinction des choses en sacrées et en profanes, notion d’âme, d’esprit, de personnalité mythique, de divinité nationale et même internationale, culte négatif avec les pratiques ascétiques qui en sont la forme exaspérée, rites d’oblation et de communion, rites imitatifs, rites commémoratifs, rites piaculaires, rien n’y manque d’essentiel. Nous sommes donc fondé à espérer que les résultats auxquels nous sommes parvenu ne sont pas particuliers au seul totémisme, mais peuvent nous aider à comprendre ce qu’est la religion en général.

On objectera qu’une seule religion, quelle que puisse être son aire d’extension, constitue une base étroite pour une telle induction. Nous ne songeons pas à méconnaître ce qu’une vérification étendue peut ajouter d’autorité à une théorie. Mais il n’est pas moins vrai que, quand une loi a été prouvée par une expérience bien faite, cette preuve est valable universellement. Si, dans un cas même unique, un savant parvenait à surprendre le secret de la vie, ce cas fût-il celui de l’être protoplasmique le plus simple qu’on pût concevoir, les vérités ainsi obtenues seraient applicables à tous les vivants, même aux plus élevés. Si donc, dans les très humbles sociétés qui viennent d’être étudiées, nous avons réellement réussi à apercevoir quelques-uns des éléments dont sont faites les notions religieuses les plus fondamentales, il n’y a pas de raison pour ne pas étendre aux autres religions les résultats les plus généraux de notre recherche. Il n’est pas concevable, en effet, que, suivant les circonstances, un même effet puisse être dû tantôt à une cause, tantôt à une autre, à moins que, au fond, les deux causes n’en fassent qu’une. Une même idée ne peut pas exprimer ici une réalité, et là une réalité différente, à moins que cette dualité soit simplement apparente. Si, chez certains peuples, les idées de sacré, d’âme, de dieux s’expliquent sociologiquement, on doit scientifiquement présumer que, en principe, la même explication vaut pour tous les peuples où les mêmes idées se retrouvent avec les mêmes caractères essentiels. À supposer donc que nous ne nous soyons pas trompé, certaines, tout au moins, de nos conclusions peuvent légitimement être généralisées. Le moment est venu de les dégager. Et une induction de cette nature, ayant pour base une expérience bien définie, est moins téméraire que tant de généralisations sommaires qui, en essayant d’atteindre d’un coup l’essence de la religion sans s’appuyer sur l’analyse d’aucune religion en particulier, risquent fort de se perdre dans le vide.

Share on Twitter Share on Facebook