Chapitre premier Situation Générale

De 1821 à 1828, les deux principautés roumaines de Moldavie et de Valachie traversent une époque, que l’on considère généralement comme une époque de transition, mais à laquelle l'épithète contraire d'« exceptionnelle » conviendrait peut-être davantage. Car toute véritable transition s'opère naturellement et insensiblement. Un mouvement brusque (la Révolution de 1821) sépare, au contraire, et différencie cette époque de tout ce qui la précède dans l’histoire ; un autre mouvement, non moins brusque (la guerre russo-turque de 1828-1829) la sépare et la distingue des époques ultérieures. Ainsi, rien ne fait moins songer au passé et à l’avenir que les règnes des deux „premiers princes indigènes » Jean Sturdza et Grégoire Ghica. Avant 1821, les Roumains vivent sous la domination turque et sous l’influence directe des idées de leurs princes phanariotes, — après 1828, ils connaîtront la double autorité des Russes et des Turcs et tâcheront de vivre d’une vie intellectuelle occidentale : pendant cette courte période de sept ans qui se place entre ces deux dates, ils sont livrés, pour ainsi dire, à eux-mêmes et font, bon gré mal gré, l’expérience d’une vie plutôt nationale. Le prince phanariote aura quitté définitivement le territoire roumain, le consul russe n’y fera guère d’apparition ; une armée turque « maintient », il est vrai, « l’ordre » dans les deux principautés, mais elle n’a aucune prise sur l’esprit des habitants, elle ne lui impose aucune tendance politique, sociale, ou autre, — c’est une force physique et nullement une force intellectuelle ou morale. Que l’on s’attende donc, pour commencer, à des personnages, à des événements et à des productions de l’esprit ayant une physionomie toute particulière. On ne pourra s’empêcher, en considérant cette époque, de se poser cette question insoluble qui revient néanmoins assez souvent dans l’histoire : Que serait-il arrivé si les choses avaient suivi tout bonnement leur marche naturelle ? Si rien d’extérieur ou de violent n'était venu troubler le cours des événements ?... On entrevoit une Roumanie toute différente de ce qu’elle est aujourd’hui : une Roumanie qui aurait moins souffert, qui aurait moins usé du concours des autres peuples pour se relever, qui aurait connu les tendances de l’Occident par elle-même et non par l’intermédiaire de ses maîtres les Russes, qui aurait été moins civilisée qu’elle ne l’est actuellement, mais qui déjà aurait eu en elle les germes d’une civilisation plus profonde et plus durable, parce que plus personnelle.

Avant d’esquisser le tableau, il est bon d’en tracer le cadre ; et avant de voir ce que la Moldavie et la Valachie peuvent avoir de particulier, il convient d’établir ce qu’elles présentent de traits communs. Ces deux provinces destinées à constituer plus tard le royaume de Roumanie sont, à ce moment de leur histoire, aussi différentes que possible l’une de l’autre; elles ne se ressemblent, à cette époque, qu’au seul point de vue dé leurs malheurs.

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