II

Aux ravages des brigands, il faut ajouter ceux de la peste. Ce fléau est plus rare dans l'histoire que les violences ou les incendies et sert beaucoup moins à caractériser une période historique.

Pourtant la peste est endémique dans les deux principautés, sous les premiers princes indigènes. Elle fut l’effet de l'occupation turque de 1821-1826, comme le choléra sera l’effet de l'occupation russe de 1828 à 1834.

D’abord, ce ne furent que bruits vagues. On prétendit vers la fin de novembre 1822 qu’une maladie contagieuse avait éclaté dans plusieurs cantons de la Valachie... On démentait bientôt la nouvelle : « C’était de l’angine. » La vérité fut étouffée ou ignorée pendant un an, puis, en novembre 1833, il y eut positivement sept maisons contaminées à Galatz et l’on dut établir un petit lazaret à Focşani... Mais on conseilla surtout de tremper la monnaie dans du vinaigre...

Le fléau se propagea pendant toute l’année 1824. Son foyer était la forteresse turque d’Ibraïla où il y avait, en mai, de quinze à vingt morts par jour, en juin jusqu’à quarante. Les habitants prennent la fuite, la panique est générale. Mais les lieux infectés ne peuvent pas être isolés, à cause des Turcs qui n’observent jamais les mesures prises, et brisent tout sur leur passage. Ils incendient les quarantaines de Focşani et de Buzeu que l’on avait spécialement destinées à empêcher le mal de gagner la capitale.

A Bucarest, tout le monde ferma les cours et, personne n’ayant encore obtenu le droit de quitter la ville, on enfuma toutes les chambres. Puis, on promena, en grande pompe, dans les rues, les reliques de Saint-Démètre, patron de la ville, souveraines, pensait-on, contrôles atteintes de la peste. Le Prince présidait lui-même la cérémonie, ce qui amena le Consul de Prusse Kreuchely à écrire quelques jours plus tard à son gouvernement : « On promena Saint-Démètre en procession le 13 et le 20 du courant (juin) pour qu’il voulût bien écarter le fléau du lieu de sa résidence. Il paraît mieux disposé qu’en 1812, car c’est précisément après une pareille procession que se répandit, à cette époque, le fléau qui ravagea la ville. » Et le Consul de France Hugot, plus perspicace encore, écrivait : « Cette fête attirera à Bucarest des milliers d’habitants étrangers, dont la dixième partie vient peut-être des lieux infectés. »

Saint-Démètre n’eut garde de préserver sa ville de la contagion. La peste, qui était à Rîmnic en juillet, passa, en août, à Focşani, où cinq mille centtreize Turcs furent atteints — d'autres disent : en tout sept mille cent treize personnes, dont quatre mille cinq cents Turcs ; — puis, en septembre, elle fit sa première apparition dans la capitale : le 15, ce fut un simple bruit; le 16, elle avait fait des victimes dans cinq maisons ; un jour plus tard, on comptait treize maisons pestiférées... le 18, on avait déjà permis aux boyars de se retirer dans leurs terres et tous les marchés furent désertés. Puis, ce fut le tour des écoles, des tribunaux, de tous les bureaux administratifs... Le Consul Hugot supplie son gouvernement de lui accorder la permission de s'établir en Transylvanie, tandis que Madame Hackenau, femme du Consul d’Autriche, et ses enfants font continuellement la navette de Bucarest à Hermannstadt. Le Prince Ghica ne sortit plus, pendant toute la durée de son règne, qu'en calèche sans coussins, toute goudronnée, et chez lui, il se retirait tout au fond de son appartement où il restait accroupi pendant des heures entières sur le coin d’un divan recouvert de toile cirée.

On parla encore de la peste en 1825, à Giurgiu, près de Bucarest, à Focşani, ville située sur la frontière des deux principautés, à Jassy, où le prince Moldave Jean Sturdza fit défendre, par son crieur public, tout bal public et tout rassemblement... En juillet 1826, l'Autriche établit un nouveau cordon du côté de la Valachie, à cause des produits et des gens arrivant de Giurgiu ou de Rusciuk... Vers la fin de ce même mois, le mal atteignit encore Bucarest, qu’il ne quitta plus jusqu'à la fin de l’été... Environ un quart de la population de cette ville s’enfuit dans les campagnes... Faut-il croire le bruit que les mauvaises langues répandirent, deux mois plus tard, que ce mal n’avait jamais existé, qu’il avait été inventé, à dessein, par les fonctionnaires de la « Maison de la surveillance », qui remplissaient leur devoir à peu près comme ceux de la « Maison des recherches »? Le président de cette « maison » aurait touché dans les quatre mille piastres par mois pour combattre un mal imaginaire ; les appointements des employée et les frais de ses lazarets se seraient élevés à la somme de vingt-cinq mille piastres par an....

La maladie fit cependant une dernière et plus brève apparition à Bucarest, en 1837, au mois de novembre...

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