À Monsieur Pinaud.

Paris, le 11 décembre 1822.

Monsieur et bien cher confrère,

Pardon, mille fois pardon si je n’ai point encore répondu à cette aimable lettre qui est venue m’apporter quelque chose de votre amitié au milieu de ma félicité nouvelle, et m’a fait sentir qu’un des plus doux bonheurs du bonheur, si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est de le voir partagé par nos amis.

Aujourd’hui, monsieur, ma bonne étoile veut qu’au plaisir de vous remercier d’une charmante lettre, il se joigne pour moi le plaisir de réclamer de vous un service. Vous avez peut-être oublié que vous avez un confrère conscrit ; ne riez pas de cette alliance de mots, je vais la justifier. Né au commencement de l’année 1802, je me trouve faire réellement partie de la levée annuelle des quarante mille hommes.

J’ai, à la vérité, de victorieux moyens d’exemption à présenter, et vous les devinez sans doute, mon cher et excellent confrère, mais d’insipides formalités dont je vous demande bien pardon pour ceux qui les ont établies, me forcent à remonter jusqu’à vous pour me servir en quelque sorte d’avocat.

La loi du recrutement accorde l’exemption du service militaire à tous ceux qui auront remporté l’un des grands prix de l’Institut, voire même le prix d’honneur de l’Université. L’oubli fait par le législateur des prix de la seconde Académie du royaume est ici réparé par l’esprit de la loi, et, d’après les informations que j’ai prises, j’ai acquis la certitude que cet article avait été interprété favorablement jusqu’ici, sur la réclamation des secrétaires perpétuels, pour des palmes décernées par des académies bien moins importantes que celle des Jeux Floraux. J’ose donc attendre de cette extrême obligeance dont vous m’avez donné tant de témoignages, que vous voudrez bien faire valoir le droit d’exemption que me donnent les trois couronnes dont l’indulgence de l’Académie m’a honoré, couronnes précieuses auxquelles je dois la gloire, si étrangère à mon âge et à ma faiblesse, de siéger dans son sein ; c’est la cause de l’Académie que vous plaiderez plus encore que la mienne, mon respectable confrère, ce sont ses prérogatives que vous défendrez, car la loi ne peut accorder plus de privilèges à un simple lauréat de l’Institut ou même de l’Université qu’à un membre du plus ancien et de l’un des plus illustres corps littéraires de toute l’Europe. Voilà le service que j’aurai à ajouter à toutes les reconnaissances que je vous dois déjà. Il faudrait que la réclamation que vous voudrez bien faire, en votre qualité de secrétaire perpétuel de l’Académie, fût adressée à M. le ministre de l’Intérieur (bureau des Académies) ; elle serait renvoyée au ministère de la Guerre (bureau du recrutement) et j’ai l’assurance qu’elle y serait couronnée d’un plein succès.

En vous demandant pardon d’avance de tous les soins que je vais vous donner, je vous prierai de me donner de vos nouvelles. Eh bien, Toulouse a-t-elle été bien fière de son Soumet ? Rességuier, qui est aussi aimable dans sa personne que dans ses lettres, vous en parlera plus au long selon votre désir. Je vais, moi, faire envoyer à l’Académie un exemplaire de ce recueil que vous avez jugé avec tant d’indulgence ; je vous prie de m’excuser, près de nos confrères, de l’incurable négligence de mon libraire. Je prépare une seconde édition où il y aura des changements et des corrections. Il n’y a en moi qu’une chose qui ne puisse être changée, c’est mon tendre attachement pour ceux que j’aime et en particulier pour vous, mon cher et excellent confrère.

Le plus dévoué de vos amis et de vos serviteurs,

Victor-M. Hugo.

Ma femme a été on ne peut plus sensible à vos aimables compliments et me charge de vous en remercier.

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