IV

Arche ! alors tu seras éternelle et complète,

Quand tout ce que la Seine en son onde reflète

Aura fui pour jamais,

Quand de cette cité qui fut égale à Rome

Il ne restera plus qu’un ange, un aigle, un homme,

Debout sur trois sommets !

C’est alors que le roi, le sage, le poëte,

Tous ceux dont le passé presse l’âme inquiète,

T’admireront vivante auprès de Paris mort ;

Et, pour mieux voir ta face où flotte un sombre rêve,

Lèveront à demi ton lierre, ainsi qu’on lève

Un voile sur le front d’une aïeule qui dort !

Sur ton mur qui pour eux n’aura rien de vulgaire,

Ils chercheront nos mœurs, nos héros, notre guerre,

Tout pensifs à tes pieds ;

Ils croiront voir, le long de ta frise animée,

Revivre le grand peuple avec la grande armée !

« Oh ! diront-ils, voyez !

« Là, c’est le régiment, ce serpent des batailles,

Traînant sur mille pieds ses luisantes écailles

Qui tantôt, furieux, se roule au pied des tours,

Tantôt, d’un mouvement formidable et tranquille,

Troue un rempart de pierre et traverse une ville

Avec son front sonore où battent vingt tambours !

« Là-haut, c’est l’empereur avec ses capitaines,

Qui songe s’il ira vers ces terres lointaines

Où se tourne son char,

Et s’il doit préférer pour vaincre ou se défendre

La courbe d’Annibal ou l’angle d’Alexandre

Au carré de César.

« Là, c’est l’artillerie aux cent gueules de fonte,

D’où la fumée à flot monte, tombe et remonte,

Qui broie une cité, détruit les garnisons

Ruine par la brèche incessamment accrue

Tours, dômes, ponts, clochers, et, comme une charrue,

Creuse une horrible rue à travers les maisons ! »

Et tous les souvenirs qu’à ton front taciturne

Chaque siècle en passant versera de son urne

Leur reviendront au cœur.

Ils feront de ton mur jaillir ta vieille histoire,

Sur ton cimier vainqueur ;

« Oh ! que tout était grand dans cette époque antique !

Si les ans n’avaient pas dévasté ce portique,

Sous en retrouverions encor bien des lambeaux !

Mais le temps, grand semeur de la ronce et du lierre,

Touche les monuments d’une main familière,

Et déchire le livre aux endroits les plus beaux ! »