IVÀ l'Arc de Triomphe

Toi dont la courbe au loin, par le couchant dorée,

S’emplit d’azur céleste, arche démesurée ;

Toi qui lèves si haut ton front large et serein,

Fait pour changer sous lui la campagne en abîme,

Et pour servir de base à quelque aigle sublime

Qui viendra s’y poser et qui sera d’airain !

Ô vaste entassement ciselé par l’histoire !

Monceau de pierre assis sur un monceau de gloire !

Édifice inouï !

Toi que l’homme par qui notre siècle commence,

De loin, dans les rayons de l’avenir immense,

Voyait, tout ébloui !

Non, tu n’es pas fini quoique tu sois superbe !

Non ! puisque aucun passant, dans l’ombre assis sur l’herbe,

Tandis que triviale, errante et vagabonde,

Entre tes quatre pieds toute la ville abonde

Comme une fourmilière aux pieds d’un éléphant !

À ta beauté royale il manque quelque chose.

Les siècles vont venir pour ton apothéose

Qui te l’apporteront.

Il manque sur ta tête un sombre amas d’années

Qui pendent pêle-mêle et toutes ruinées

Aux brèches de ton front !

Il te manque la ride et l’antiquité fière,

Le passé, pyramide où tout siècle a sa pierre,

Les chapiteaux brisés, l’herbe sur les vieux fûts ;

Il manque sous ta voûte où notre orgueil s’élance

Ce bruit mystérieux qui se mêle au silence,

Le sourd chuchotement des souvenirs confus !

La vieillesse couronne et la ruine achève.

Il faut à l’édifice un passé dont on rêve,

Deuil, triomphe ou remords.

Nous voulons, en foulant son enceinte pavée,

Sentir dans la poussière à nos pieds soulevée

De la cendre des morts !

Il faut que le fronton s’effeuille comme un arbre.

Il faut que le lichen, cette rouille du marbre,

De sa lèpre dorée, au loin couvre le mur ;

Et que la vétusté par qui tout art s’efface,

Prenne chaque sculpture et la ronge à la face,

Comme un avide oiseau qui dévore un fruit mûr.

Il faut qu’un vieux dallage ondule sous les portes,

Que le lierre vivant grimpe aux acanthes mortes,

Que l’eau dorme aux fossés,

Que la cariatide, en sa lente révolte,

Se refuse, enfin lasse, à porter l’archivolte,

Et dise : C’est assez !

Ce n’est pas, ce n’est pas entre des pierres neuves

Que la bise et la nuit pleurent comme des veuves.

Hélas ! d’un beau palais le débris est plus beau.

Pour que la lune émousse à travers la nuit sombre

L’ombre par le rayon et le rayon par l’ombre,

Il lui faut la ruine à défaut d’un tombeau !

Voulez-vous qu’une tour, voulez-vous qu’une église

Soient de ces monuments dont l’âme idéalise

La forme et la hauteur,

Attendez que de mousse elles soient revêtues,

Et laissez travailler à toutes les statues

Le temps, ce grand sculpteur !

Il faut que le vieillard, chargé de jours sans nombre,

Menant son jeune fils sous l’arche pleine d’ombre,

Nomme Napoléon comme on nomme Cyrus,

Et dise en la montrant de ses mains décharnées :

— Vois cette porte énorme ! elle a trois mille années.

C’est par là qu’on passé des hommes disparus ! –

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