Ce ne sont pas des joyeux.
Ce ne sont pas davantage d’ex-joyeux.
Ce ne sont pas non plus des pègres.
Ce sont des « Exclus ».
Être exclu n’est pas une peine, c’est la conséquence d’une peine.
L’« Exclu » a payé sa dette à la société. Il paye maintenant sa dette à la patrie.
Aux « Exclus », on rencontre l’homme qui, avant son service militaire, fut condamné par une cour d’assises.
Il fait son temps de réclusion et, quand on le libère : « Maintenant, à Collioure, lui dit-on ». De Collioure, on le mène à Port-Vendres et de Port-Vendres dans un bateau. Le bateau file sur Oran. De là, l’exclu gagne Mers-el-Kébir. Il lève les yeux et voit un fort. Il aura le temps d’apprendre que c’est un ancien fort espagnol. C’est là qu’il va.
Exclu signifie : exclu de l’armée, indigne de porter les armes. Il ne convenait pas que cette indignité lui conférât le privilège de couper au service militaire. Il ne portera pas d’armes, mais, en revanche, toutes sortes d’instruments à manche, allant du balai à la pioche, de la pioche à la pelle et de la pelle au porte-plume. Aujourd’hui, on sert dix-huit mois ; il servira dix-huit mois.
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* *
J’aurais mieux fait, ce matin, de rester au lit que de me présenter à la place d’Oran. Que Monsieur le général commandant la division n’aime pas les exclus, c’est une opinion honorable ; qu’il n’ait aucune tendresse pour le voyageur qui vient voir les exclus, c’est de la méchanceté.
— Vous n’avez donc rien à faire ?
— Rien du tout, mon général.
— Alors, vous êtes riche ?
— À milliard ! mon général.
Au lieu de prendre la mouche, je pris le tram électrique pour Mers-el-Kébir.
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Mers-el-Kébir.
— Petit gars, où habite le maire ?
Quand le militaire ne « rend » pas, on se rabat sur le civil.
— Là, m’sieu, où est la dame qu’a un corsage rouge.
Le maire faisait la sieste. On le réveilla. Je pensai : « Qu’est-ce que je vais encore prendre ? » Il apparut, un œil ouvert, l’autre toujours clos. Je lui dis que j’avais besoin de lui, au sujet des exclus. « Mais avec plaisir », fit-il en ouvrant son second œil. Voilà un homme ! Je l’aurais embrassé…
— Comme maire, qu’en pensez-vous ? Dévastent-ils votre commune ?
— Ils sont dans le fort, ils ne me gênent pas.
— Ils n’en sortent jamais ?
— Tous les dimanches, comme des soldats ordinaires. Voilà peu de temps, ils vous auraient édifié. Aucun ne manquait la messe. On les voyait traverser sagement le village, entrer à l’église, prendre de l’eau bénite à la porte, chanter, s’agenouiller et communier.
— C’était pour gagner une indulgence ?
— Justement ! Mais pas celle du pape, celle de leur commandant, un dévot.
Nous partîmes pour le fort.
Les exclus ne sont guère plus de cent. Tous ne sont pas à Mers-el-Kébir, une soixantaine triment dans les mines, à Kenatza, au fin fond du Sud, et sans ménagement : ce sont les tout derniers chevaux de fiacre de l’armée. Ils tirent la langue, mais ils monteront la côte. Ils minent la terre, la terre les mine, la société est quitte !
Trois officiers, marchant de front, descendaient du fort. Ils dirent : « Bonjour, monsieur le maire ! »
— Je vais montrer les exclus à ce monsieur ! fit mon compagnon.
Alors, un capitaine à qui je ne demandais rien, j’en atteste la belle mer bleue que nous longions, me dit :
— On ne va pas vers ces gens-là. C’est le résidu de la crapule. Je loge dans le fort depuis un an et je ne les ai jamais regardés.
Je lui fis un beau sourire.
— Il ne faut pas s’occuper d’eux. Le mieux est de les laisser dans leur boue. N’est-ce pas votre avis, monsieur ?
Je lui fis un bien plus joli sourire que le premier. Il me prit pour un sourd-muet et continua son chemin.