Ces jours derniers, un prêtre passa par les rues d’Orléansville. Il était ganté, portait barbe noire, souliers à boucle et soutane râpée. Une sacoche pendait à son épaule. Arrivé devant l’hôtel des Voyageurs, il prit une calèche de place et dit au Bicot : « À la gare, mon ami. »
Pendant le trajet, on le salua deux fois ; il répondit.
Le train venant d’Oran étant en retard, le saint homme sortit son livre pieux et, sur le quai, lut son bréviaire. Six heures après, au coucher du soleil de janvier, le prêtre arrivait à Alger. Là, pendant toute une nuit, on perd sa trace.
Au matin, le vicaire-ganté, pénètre le premier dans les bureaux de la compagnie de navigation. Comme il convient à un saint homme, il demande un billet de troisième classe. Il gagne le port, le bateau, le large…
Le lendemain, le capitaine commandant le pénitencier d’Orléansville faisait savoir à la sûreté de tous les ports que le détenu Gerber s’était évadé. Son signalement : deux doigts coupés à la main droite. Ensemble de la personne : arrogant et voyou. Parle allemand, italien, espagnol et français.
Dix jours s’écoulèrent.
Et cet après-midi, en ouvrant son courrier, le capitaine trouva cette lettre :
« Au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, ainsi soit-il. Mon très cher frère, j’ai mis les bouts de bois… »
Le capitaine regarda l’enveloppe, elle était timbrée de Hanovre, Allemagne.
« … Sur le bateau, il a bien failli m’arriver malheur. Je n’avais pas réfléchi que je partais un samedi et que le lendemain était un dimanche. Et l’on est venu chercher ta vieille connaissance pour dire la messe ; mon très cher frère, tu vois ça de là… Si tu veux savoir où je me suis habillé, va chez les mouquères, mon très cher frère… »
— Gerber ! s’exclame le capitaine. Ah ! le pègre.
« … La soutane ne valait pas grand’chose, le chapeau était un vieux bugne, mais le missel n’était pas trop moche. Je l’ai vendu un demi-cigue à Liège. Reçois mes bénédictions. Tu as dû prévenir les polices que je parlais français, italien, allemand et espagnol ; tu as oublié que je parlais latin. Amen… »
Le soir de la réception de cette lettre, un homme s’écria : « Enfin, je sais où sont mon vieux chapeau, ma vieille soutane et mes vieux souliers ! »
C’était le vrai curé d’Orléansville.