IV – ROUGE ET NOIR

Les questions soulevées par les jeux de hasard, comme celui de la roulette, sont, au fond, tout à fait analogues à celles que nous venons de traiter.

Par exemple, un cadran est partagé en un grand nombre de subdivisions égales, alternativement rouges et noires ; une aiguille est lancée avec force, et, après avoir fait un grand nombre de tours, elle s’arrête devant une de ces subdivisions. La probabilité pour que cette division soit rouge, est évidemment 1/2.

L’aiguille va tourner d’un angle θ, comprenant plusieurs circonférences ; j’ignore quelle est la probabilité pour que l’aiguille soit lancée avec une force telle que cet angle soit compris entre θ et θ + dθ ; mais, je puis faire une convention ; je puis supposer que cette probabilité est φ(θ) dθ ; quant à la fonction φ(θ) , je puis la choisir d’une façon entièrement arbitraire ; il n’y a rien qui puisse me guider dans mon choix ; cependant, je suis naturellement conduit à supposer cette fonction continue.

Soit ε la longueur (comptée sur la circonférence de rayon 1) de chaque subdivision rouge ou noire.

Il faut calculer l’intégrale de φ(θ) dθ en l’étendant, d’une part, à toutes les divisions rouges, d’autre part, à toutes les divisions noires, et comparer les résultats.

Considérons un intervalle 2ε, comprenant une division rouge et la division noire qui la suit. Soit M et m, la plus grande et la plus petite valeur de la fonction φ(θ) dans cet intervalle. L’intégrale étendue aux divisions rouges sera plus petite que ΣMε ; l’intégrale étendue aux divisions noires sera plus grande que Σ ; la différence sera donc plus petite que Σ(M-m)ε. Mais, si la fonction φ est supposée continue ; si, d’autre part, l’intervalle ε est très petit par rapport à l’angle total parcouru par l’aiguille, la différence M - m sera très petite. La différence des deux intégrales sera donc très petite, et la probabilité sera très voisine de 1/2.

On comprend que, sans rien savoir de la fonction φ, je doive agir comme si la probabilité était 1/2. On s’explique, d’autre part, pourquoi, si, me plaçant au point de vue objectif, j’observe un certain nombre de coups, l’observation me donnera à peu près autant de coups noirs que de coups rouges.

Tous les joueurs connaissent cette loi objective ; mais elle les entraîne dans une singulière erreur, qui a été souvent relevée, et dans laquelle ils retombent toujours. Quand la rouge est sortie, par exemple, six fois de suite, ils mettent sur la noire, croyant jouer à coup sûr ; parce que, disent-ils, il est bien rare que la rouge sorte sept fois de suite.

En réalité, leur probabilité de gain reste 1/2. L’observation montre, il est vrai, que les séries de sept rouges consécutives sont très rares ; mais, les séries de six rouges suivies d’une noire sont tout aussi rares. Ils ont remarqué la rareté des séries de sept rouges ; s’ils n’ont pas remarqué la rareté des séries de six rouges et une noire, c’est uniquement parce que de pareilles séries frappent moins l’attention.

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