Chapitre XII

Le père Castelin ne s’était pas vanté. Il loua le pavillon des Veneurs pour un prix minime et le groupe Langre-Meyral s’y installa avec diligence. On emporta, outre des meubles, tous les instruments et tous les produits du laboratoire. Cette installation en forêt offrait un double avantage : il mettait le groupe à portée de la champignonnière et lui assurait une sécurité partielle contre les invasions des carnivores. Il n’était guère probable que ces groupes perdissent leur temps à fouiller les solitudes sylvestres : la proie se trouvait dans les villages.

Au village, le carnivorisme décelait de toutes parts ses symptômes. Après avoir accumulé des provisions à la villa, Langre et Meyral résolurent de secourir les malades. Ils se présentèrent d’abord dans la maison du facteur, où le mal devenait périlleux. Le facteur, après une période de coma, montrait une exaltation de mauvais augure. Il reçut ses visiteurs d’un air sournois et il fallut l’intervention de Sabine pour le décider à prendre le « médicament ». Les effets furent à la fois plus rapides et plus lents que dans la forêt. Plus rapides, parce que, après les premières bouchées, le facteur ressentit une sorte d’ivresse et raffola des champignons ; plus lents, parce qu’il fallut des doses considérables pour faire disparaître l’irritation. Appliqués aux autres membres du groupe, le remède se révéla infaillible. On traita successivement tous les habitants du village – sans un seul insuccès. Alors, il y eut un débordement de confiance : les « sorciers » comme on appelait familièrement Langre et Meyral, acquirent une influence qui, dans le formidable mystère de l’heure, prit une allure religieuse. Cette influence s’étendit aux hameaux de Vanesse, de Collimarre et de Rougues, qui étaient comme les forts avancés du village. Elle ne se répandit pas au-delà. Ainsi que l’avait prévu Sabine, les groupes gardaient le secret.

Au reste, les communications étaient de plus en plus rares et pénibles. Les postes, le télégraphe, le téléphone, ne fonctionnaient plus du tout. Des bruits lugubres se répandaient obscurément de bourgade en bourgade. On parlait d’invasions farouches ; on attendait des événements formidables.

Docile aux conseils de Langre et de Meyral, le village se fortifiait. Dans la forêt, le jardinier, aidé par un groupe de Roche-sur-Yonne, avait barré les issues, étudié à fond les méandres de la champignonnière et des grottes. Langre et Meyral préparaient des explosifs et, après avoir fait creuser des excavations, posaient des pièges mystérieux.

Une nuit, Sabine, Langre et Meyral furent tirés de leur sommeil par des détonations que la direction de la brise rendait plus persistantes :

– On dirait, fit Meyral, penché à une fenêtre, que cela vient de Rougues.

Rougues était le hameau le plus éloigné du village et jouxtait la forêt, à trois kilomètres du pavillon des Veneurs.

La nuit était trouble. D’immenses nuées sillaient au-dessus des ramures, une lune tragique transparaissait dans un chaos ; l’ombre, tantôt cendrée et tantôt argentine, faisait palpiter étrangement le pays des arbres, dont l’âme émouvante semblait fuir à travers l’étendue.

À chaque minute, l’émotion des veilleurs s’accroissait ; elle se communiquait au groupe ; le jardinier surgissait sur le seuil de granit ; le chien hurla frénétiquement ; la chèvre bêla et l’âne fit entendre son grand sanglot rauque, tandis que les oiseaux bruissaient dans les pénombres…

– L’horreur approche ! chuchota Sabine…

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