CHAPITRE II.

IL est tres-necessaire d'avoir des Religieux en Canada, & par toutes les Nations errantes, pour les pouvoir instruire en la loy de Dieu, mais le principal fruict se doit esperer des peuples stables & sedentaires. Le Pere Joseph de la Roche, se resouvenant de ce que je luy en avois dit, se resolut d'y aller, & avec luy le R. P Brebeuf Jesuite, lesquels à ce dessein partirent de nostre Convent de nostre Dame des Anges, environ le mois de Juillet de l'an 1625, pour les trois rivieres, & de là au Cap de Victoire, où se tenoit la traite avec les Sauvages de diverses contrées là assemblez.

Estant arrivez aux barques, ils en communiquerent avec les Chefs, lesquels en louans leur zele, leur firent offre de tout ce qni leur faisoit besoin pour leur voyage, & leur donnerent des rassades, cousteaux, chaudières, & autres ustencilles de mesnage qu'ils accepterent pour leur servir dans le pays, & pour en accommoder leurs Sauvages, & ceux qui les nourriroient, ou leur rendroient quelque service.

Pendant qu'on disposoit leur petit faict, ils s'informèrent du Pere Nicolas par le moyen du Truchement Huron, mais ayans appris qu'ils l'avoient noyé au dernier saut, avec nostre petit disciple Auhaitsique, ils en furent fort affligez, & contraincts de s'en retourner à Kebec sans rien faire, n'ayans pas eu assez de courage pour passer ce coup là aux Hurons, comme ils firent l'année d'après, auquel temps le pere Joseph convint avec quelques Hurons de nostre cognoissance qui le receurent courtoisement en leur societé, mais pour le pauvre Père Brebeuf, il y eut un peu plus de difficulté, car outre qu'il leur estoit nouveau, & aussi mal armé que nous, ils prenoient pour excuses qu'il estoit un peu lourd pour leur canot, qui estoit un honneste refus fondé sur la raison, car si une personne pesante panche tant soit peu plus d'un costé que d'autre, ou qu'en entrant dedans il ne met le pied doucement & droitement au milieu du canot, c'est à dire qu'il tournera, & que tout renversera dans la riviere, & puis voyez si vous sçavez nager avec vos gros habits, ce sera avec peine, car cela peut arriver à de certains endroits, d'où les Sauvages mesme ne se sçauroient retirer qu'en se noyans.

Mais comme le Père Brebeuf accompagné pour lors du Père de Noue, eut faict quelque present honneste aux Hurons, il trouva en fin place dans un canot, qui le consola fort, & puis partit aprés les autres, sous la garde de nostre Seigneur, & de son bon Ange, où nous les lairons aller pour parler d'un petit Huron qui nous fut amené, & puis au Chapitre suivant, je vous donneray une bresve relation d'un voyage que le Pere Joseph fist passant des Hurons aux Neutres.

La mort du pauvre Père Nicolas fut une perte tres-notable pour le pays, aussi fut-il egallement regretté des Sauvages, & des François qui trouvoient en luy une grande science, accompagnée d'humilité, & d'une honneste & douce conversation, qui me fait dire qu'il eut rendu de grands services à nostre Seigneur en cette mission s'il luy eut donné une plus longue vie, car les Huguenots mesmes advouoient ses mérites & les graces, mais le principal est qu'il estoit fort bon Religieux.

Entre les Hurons qui luy estoient les plus affectionnez, il y eut un bon homme qui nous amena son fils pour estre instruit en nostre Convent, auquel le Pere Joseph le Caron fit toute la meilleure reception qui luy fut possible, comme à une petite ame qui venoit pour estre enrollée sous l'estendart de Dieu, par le moyen du S. Baptesme, ainsi qu'il fut du depuis.

Or il arriva neantmoins un petit zele pour ce petit garçon, entre les Reverends Peres Jesuites, le sieur Emery de Caën, & nous, car chacun desiroit s'en prevaloir, & nous l'oster pour l'amener en France. Tous offroient ces presents à l'envie, & cependant le Pere de l'enfant desiroit à toute force qu'il nous restat, disant: comme il estoit vray semblable qu'il nous l'avoit promis, & le vouloir consigner entre les mains de nostre Pere Paul qui estoit lors prest de s'embarquer pour France. Le Pere Noirot avec les autres Peres Jesuites, prièrent le Pere Joseph de faire envers le Pere du garçon qu'il trouvat bon qu'ils eusssent eux mesmes son fils, moyennant quelque gratification, & qu'infailliblement le menant en France, ils le rameneroient l'année prochaine, accommodé à son contentement.

Le sieur Emery de Caën en promettoit encore davantage pour l'avoir, de manière que nos Religieux, ny le pere de l'enfant, par tant de poursuittes, & solicitez de tant de prieres, ne sçavoient comment conserver le garçon, ny comment s'en deffaire. Bon Dieu est il bien possible que l'on cherchat en cela plus l'honneur propre, que vostre interest Seigneur, car le vray zele ne se soucie pas par qui le bien se fait, pourveu qu'il se fasse, ainsi que fit voir nostre Pere Joseph, lequel se desinteressant, renonça au petit qui nous appartenoit, & pria en faveur des Reverends Pères Jesuites, qui le receurent en France de la main du sieur de Caën, par le moyen du Seigneur Duc de Vantadour qui s'employa pour eux.

Mais voicy en quoy parut la souplesse d'esprit du Huron, pour avoir les presens des Pères Jesuites, du sieur de Caën: & nous laisser son fils, car le Père Joseph l'ayant prié pour les dits Pères, il ne vouloit pas le desebliger, ny le sieur de Caën, à cause de la traite; Que faut-il donc, il leur promet à tous deux son fils, & reçoit de mesme leurs presens, qui consistoient en couvertures de lits, chaudieres, haches, rassade, & coustaux, puis la veille du jour qu'il deut partir pour son retour aux Hurons, il dit aux Peres Jesuites qui demeuraient encores à nostre Convent: j'ay laissé mon fils entre les mains des Peres Recollects que vous le garderont, & audit sieur de Caën la mesme chose, adjoustant pour l'instruire en attendant que tu l'emmeine en ton pays, puis partit pour sa Province après avoir pris congé du Pere Joseph, & recommandé son fils, auquel seul il le voulut confier pour demeurer avec nous, ou pour estre conduit en France par de nos Frères.

Le Navire estant fretté & le sieur de Caën disposé pour son retour en France, demanda le Sauvage, & les Peres Jesuites aussi, il y eut derechef un peu de difficulté à qui l'auroit, car le père du garçon l'avoit accordé à tous, pour avoir de tous, & neantmoins l'avoit laissé chez nous fuivant sa première intention, car moy demeurant ee son pays avec le Père Nicolas, on nous en avoit promis six de ceux qui estoient de nos petits escholiers, & mesmes il y avoit des filles qui demandoient de venir en France avec nous, mais c'est une marchandise trop dangereuse à conduire.

Enfin ce petit est embarqué, conduit & mené par le sieur de Caën, qui le laissa pour quelque temps chez son pere à Rouen, puis le fit conduire à Paris, où estant les Reverends Peres Jesuites l'eurent en leur possession, à la faveur de Monsieur le Duc de Vantadour qui le demanda pour eux, lesquels l'ayans fait instruire avec assez de peine, pour n'y avoir personne qui sceut la langue, qu'un seculier qui le voyoit parfois, ils le firent baptiser avec grande solemnité dans l'Eglise Cathédrale de Rouen, & fut nommé Louys de saincte Foy, par Monsieur le Duc de Longueuille son parain, & Madame de Villars, sa maraine, en la presence d'une infinité de peuple qui y estoit accouru, d'autant plus curieusement que quelques Mattelots avoient donné à entendre qu'il estoit le fils du Roy de Canada.

Coppie ou abbregé d'une lettre du V. Père Joseph de la Roche Daillon Mineur Recollect, escrite du pays des Hurons à un sien amy, touchant son voyage fait en la contrée des Neutres, où il est fait mention du pays, des disgraces qu'il y encourut.

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