CHAPITRE III.

CE seroit vouloir cacher la lumière sous le boisseau, que de vouloir nier au publiq les choses qui le preuvent édifier, ou luy apporter un saint & innocent divertissement d'esprit, car l'homme infirme est de telle nature en ce monde, qu'il est necessaire que son ame jouisse, sinon tousjours du moins par intervalle, de quelque chose qui la contente, & par ainsi c'est le servir & faire beaucoup pour luy, que de luy donner matiere d'un divertissement pour l'empescher du mal, s'il n'a de l'amour assez pour attirer en luy les divines consolations d'un Dieu, après lesquelles il ny a plus de contentement, qui vaille, ny dequoy on doive faire estat que pour parvenir à ce mesme amour.

Je vous ay dit comme nostre Pere Joseph de la Roche Daillon s'estoit embarqué au cap de Victoire, pour le pays des Hurons, en intention de travailler à leur conversion & de penetrer jusques aux dernières Nations pour y porter son zele, & voir si elles estoient capables de recognoistre leur Dieu, & se faire Chrestiens, mais pour ce que je n'ay pas esté bien informé du succés de ce voyage, & que je me pourrois tromper en ma relation, je me contenteray de vous tracer icy en abrégé une lettre que ce bon Pere escrivit à un sien amy d'Angers, où il luy mande principalement, l'excellence des contrées Neutres, ce qui luy pensa arriver, & la manière de leur gouvernement en ces termes.

MONSIEUR, humble salut en la misericorde de Jesus. Encore est-il permis quoy qu'esloigné, de visiter les amis par missives, qui rendent les personnes absentes presentes. Nos Sauvages s'en sont estonnez voyans que souvent nous escrivions à nos Peres esloignez de nous, & que par nos lettres ils apprenoient nos conceptions, & ce que les mesmes Sauvages avoient geré au lieu de nostre residence. Apres avoir fait quelque sejour en nostre Convent de Canada, & communiqué avec nos Peres, & les Reverends Pères Jesuites, je fus porté d'une affection religieuse de visiter les peuples Sédentaires, que nous appellons Hurons, & avec moy les Reverends Peres Brebeuf, & de Noue Jesuites, y estans arrivez avec les peines que chacun peut penser, à raison des mauvais chemins, je receu lettre (quelque temps après) de nostre Reverend Pere Joseph le Caron, par laquelle il m'encourageoit de passer outre à une Nation que nous appellons Neutre, de laquelle le Truchement Bruslé disoit des merveilles, encouragé par un si bon Pere, & le grand recit qu'on me faisoit de ces peuples, je m'y acheminé, & partis des Hurons à ce dessein, le 18 Octobre 1626 avec un nommé Grenolle, & la Vallée, François de Nation.

Passans par la Nation du Petun, je fis cognoissance & amitié avec un Capitaine qui y est en grand crédit, lequel me promit de nous conduire à cette Nation Neutre, & fournir de Sauvages pour porter nos pacquets, & le peu de vivres que nous avions de provision, car de penser vivre en ces contrées de mendicité s'est se tromper, ces peuples n'entendans à donner qu'en les obligeans, & faut faire souvent de longues traictes, & passer mesme plusieurs nuicts sans trouver autre abry que celuy des Estoiles. Il executa ce qu'il nous avoit promis à nostre contentement, & ne couchasmes que cinq nuicts dans les bois, & le sixiesme jour nous arrivasmes au premier village, où nous fusmes fort bien receus graces à nostre Seigneur, & à quatre autres villages en suitte, qui à l'envie les uns des autres nous apportoient à manger, les uns du cerf, les autres des citrouilles, de la neintahouy, & de ce qu'ils avoient de meilleur, & estoient estonnez de me voir vestu de la sorte, & que je ne souhaitois rien du leur sinon que je les conviois par signes à lever les yeux au Ciel, & faire le signe de la saincte Croix, & ce qui les ravissoit en admiration estoit de me voir retirer certaines heures du jour pour prier Dieu, & vaquer à mon interieur, car ils n'avoient jamais veu de Religieux, sinon vers les Petuneux & les Hurons leurs voisins.

En fin nous arrivasmes au sixiesme village, où l'on m'avoit conseillé de demeurer; j'y fis tenir un conseil, ou vous remarquerez en passant, qu'ils appellent conseils toutes leurs assemblées, lesquelles ils tiennent assis contre terre, toutes les fois qu'il plaist aux Capitaines, non dans une salle, mais en une cabane, ou en pleine campagne, avec un silence fort estroit, pendant que le Chef harangue, & sont inviolables observateurs de ce qu'ils ont une fois conclu & arresté.

Là je leur fis dire par le Truchement que j'estois venu de la part des François, pour faire alliance & amitié avec eux, & pour les inviter de venir à la traicte, que je les suppliois aussi de me permettre de demeurer en leur pays, pour les pouvoir instruire en la loy de nostre Dieu, qui est le seul moyen d'aller en Paradis. Ils accepterent toutes mes offres, & me tesmoignerent qu'elles leur estoient fort agréables, dequoy consolé, je leur fis un present du peu que j'avois, comme de petits cousteaux, & autres bagatelles qu'ils estimerent de grand prix, car en ces pays là on ne traicte point avec les Sauvages, sans leur faire des presens de quoy que ce soit, & en contreschange, ils m'enfanterent (comme ils disent) c'est qu'ils me declarerent citoyen, & enfant du pays, & me donnerent en garde (marque de grande affection) à Souharissen qui fut mon pere, & mon hoste, car selon l'aage ils ont accoustumé de nous appeller cousin, frere, fils, oncle, ou nepveu &c. Celuy là est le Capitaine du plus grand credit & authorité qui aye oncques elle en toutes les Nations, car il n'est pas seulement Capitaine de son village, mais de tous ceux de sa Nation en nombre de vingt huict, tant bourgs, villes, que villages, faicts comme ceux du pays des Hurons, puis plusieurs petits hameaux de sept à huict cabanes, bastis en divers endroits commodes pour la pesche, pour la chasse, ou pour la culture de la terre.

Cela est sans exemple aux autres Nations d'avoir un Capitaine si absolu, il s'est acquis cest honneur & pouvoir par son courage, & pour avoir esté plusieurs fois à la guerre contre les dix sept Nations qui leur sont ennemies, & en avoit apporté des testes de toutes, ou amené des prisonniers.

Ceux qui sont vaillants de la sorte sont fort estimez parmy eux. Et quoy qu'ils n'ayent que la massue, & l'arc, si est ce qu'ils sont très-belliqueux, & adextres à ses armes. Apres tout ce bon accueil, nos François s'en estans retournez, je resté le plus content du monde, esperant d'y advancer quelque chose pour la gloire de Dieu, ou au moins d'en descouvrir les moyens, ce qui ne seroit peu, & de tascher d'apprendre l'embouchure de la riviere des Hiroquois, pour les mener à la traicte.

J'ay fait aussi mon possible pour apprendre leurs moeurs, & façons de vivres, & durant mon sejour je les visitois dans leurs cabanes, pour les sçavoir, & pour instruire, & les trouvois assez traictables & souvent aux petits enfans qui sont fort esveillez, tous nuds, & eschevelez, je leur faisois faire le signe de la saincte Croix, & ay remarqué qu'en tous ces pays, je n'en ay point treuvé de bossus, borgnes, ou contrefaicts.

Je les ay tousjours veu constans en leur volonté d'aller au moins quatre canots à la traicte, si je les voulois conduire, toute la difficulté estoit que nous n'en sçavois point le chemin, jamais Yroquet Sauvage cogneu en ces contrées, qui estoit venu là avec vingt de ses gens, à la chasse au castor, & qui en print bien cinq cens, ne nous voulut donner aucune marque pour cognoistre l'emboucheure de la riviere, luy & plusieurs Hurons nous asseuroient bien qu'il ny avoit que pour dix jours de chemin jusques au lieu de la traicte, mais nous craignions de prendre une riviere pour une autre, & nous perdre, ou mourir de faim dans les terres.

Trois mois durant j'eus toutes les occasios du monde de me contenter de mes gens. Mais les Hurons ayans descouvert que je parlois de les mener à la traicte firent courir par tous les villages, où ils passoient de fort mauvais bruits de moy, que j'estois un grand Magicien, que j'avois empesté l'air en leur pays, & empoisonné plusieurs, que s'ils ne m'assommoient bien tost, je mettrois le feu dans leurs villages, ferois mourir tous les enfans, enfin j'estois à leur dire un grand Atatanite, c'est leur mot, pour signifier celuy qui faict les sortileges qu'ils ont le plus en horreur, & en passant sçachez qu'il y a icy force sorciers, & qui se meslent de guarir les maladies par marmoteries, & autres fantaisies, en fin ces Hurons leur ont tousjours dit tant de mal des François qu'ils se sont pû adviser pour les divertir de traicter avec eux, que les François estoient inacostables, rudes, tristes & melancholiques, gens qui ne vivent que de serpens, & venins, que nous mangions le tonnerre, qu'ils s'imaginent estre une chimere nompareille, faisans des comptes estranges là dessus, que nous avions tous une queue comme les animaux, & les femmes n'ont qu'une mammelle, située au milieu du sein, qu'elles portent cinq où six enfans à la fois, & y adjoustent mille autres sottises pour nous faire hayr d'eux.

Et en effet ces bonnes gens qui sont fort faciles à persuauder, me prindrent en grand soupçon, sitost qu'il y avoit un malade, ils me venoient demander s'il estoit pas vray que je l'eusse empoisonné, qu'on me tueroit asseurement, si je ne le guarissois, j'avois bien de la peine à m'excuser & deffendre, en fin dix hommes du dernier village appelle Ouaroronon, à une journée des Hiroquois, leur parens, & amis, venans traicter à nostre village me vindrent visiter, & me convierent de leur rendre le reciproque en leur village, je leur promis de n'y pas manquer lors que les neiges seroient fondues, & de leur donner à tous quelques bagatelles, dequoy ils se monstrerent contents, là dessus ils sortirent de la cabane où je logeois, couvant tousjours leur mauvais dessein sur moy, & voyant qu'il se faisoit tard me revindrent trouver, & brusquement me firent une querelle d'Allemand, l'un me renverse d'un coup de poing, & l'autre prist une hache, & m'en pensant fendre la teste, Dieu qui luy destourna la main, porta le coup sur une barre qui estoit là auprès de moy, je receus encores plusieurs autres mauvais traictemens, mais c'est ce que nous venons chercher en ces pays. S'appaisans un peu, ils deschargerent leur cholere sur le peu de hardes qui nous restoient, ils prindrent nostre escritoire, couverture, breviaire, & nostre sac, où il y avoit quelques jambettes, esguilles, alaines, & autres petites choses de pareille estoffe, & m'ayant ainsi devalisé, ils s'en allerennt toute la nuict fort joyeux de leur emploite, & arrivez en leur village faisans reveuë sur leurs despouilles, touchez peut-estre d'un repentir venu du très-haut, ils me renvoyerent nostre breviaire, cadran, escritoire, couverture, & le sac, mais tout vuide.

Lors de leur arrivée en mon village, appellé Ounontisaston, il n'y avoit que des femmes, les hommes estans allez à la chasse du cerf, à leur retour ils me tesmoignerent estre marris du desastre qui m'estoit arrivé, & puis n'en fut plus parlé.

Le bruit courut incontinent aux Hurons que j'avois esté tué, dont les bons Peres Brebeuf, & de Noue qui y estoient restez m'envoyerent promptement Grenolle pour en sçavoir la vérité, avec ordre que si j'estois encore en vie de me ramener, à quoy me convioit aussi la lettre qu'ils m'avoient escrite avec la plume de leur bonne volonté, & ne voulu leur contredire, puis que tel estoit leur advis, & celuy de tous les François, qui apprehendoient plus de disgraces en ma mort que de profit, & m'en revins ainsi au pays de nos Hurons, où je suis à present tout admirant les divins effects du Ciel.

Le pays de cette Nation neutre est incomparablement plus grand, plus beau & meilleur qu'aucun autre de tous ces pays, il y a un nombre incroyable de cerfs, lesquels ils ne prennent un à un comme on fait par deçà, mais faisans trois hayes en une place spatieuse, ils les courent tout de front, tant, qu'ils les reduisent en ce lieu, où ils les prennent, & ont cette maxime pour toutes sortes d'animaux, soit qu'ils en ayent besoin ou non, qu'ils tuent tout ce qu'ils en rencontrent, de crainte, à ce qu'ils disent, que s'ils ne les prenoient, que les bestes iroient raconter aux autres comme elles auroient esté courues, & qu'en suitte ils n'en trouveroient plus en leur necessité. Il s'y trouve aussi grande abondance d'orignas ou eslans, castors, chats Sauvages & des escurieus noirs plus grands que ceux de France, grande quantité d'outardes, coqs d'Inde, gruës & autres animaux, qui y sont tout l'Hyver qui n'est pas long, ny rigoureux comme au Canada, & n'y avoit encores tombé aucunes neiges le vingt-deuxiesme Novembre, lesquelles ne furent tout au plus que de deux pieds de haut, & commencerent à se fondre des le 26 Janvier, le huictiesme Mars, il n'y en avoit plus du tout aux lieux descouvers, mais bien en restoit il un peu dans les bois. Le sejour y est assez recreatif & commode, les rivieres fournissent quantité de poissons & très-bons, la terre donne de bons bleds, plus que pour leur necessité. Il y a des citrouilles, faisoles & autres legumes à foison, & de tres-bonne huile, qu'ils appellent Touronton, tellement que je ne doute point qu'on devroit plustost s'y habituer qu'ailleurs & sans doute avec un plus long sejour y auroit esperance d'y advancer la gloire de Dieu, ce qu'on doit plus rechercher qu'autre chose, & leur conversion est plus à esperer pour la foy que non pas des Hurons, & me suis estonné comme la compagnie des marchands, depuis le temps qu'ils viennent en ces contrées n'ont faict hyverner audit païs quelque François; je dis asseurement qu'il seroit fort facile de les mener à le traicte, qui seroit un grand bien pour aller & venir par un chemin si court & si facile comme je vous ay ja dit, car d'aller de la traicte aux Hurons parmy tous les sauts si difficiles & tousjours en danger de se noyer, il n'y a guere d'apparence, & puis des Hurons s'acheminer en ce païs six journées, traversant les terres par des chemins effroyables & espouventables comme j'ay veu, ce sont des travaux insupportables, & seul le sçait qui s'y est rencontré.

Donc je dis que Messieurs les associez devroient (à mon advis) envoyer hyverner des François, dans le païs des Neutres moins esloignez que celuy des Hurons, car ils se peuvent rendre par le lac des Hiroquois au lieu où l'on traicte tout au plus en dix journées, ce lac est le leur aussi, les uns sont sur un bord & les autres sur l'autre, mais j'y vois un empechement qui est, qu'ils n'entendent gueres à mener les canots, principalement dans les sauts bien qu'il n'y en aye que deux, mais ils sont longs & dangereux, leur vray mestier est la chasse & la guerre, hors de là sont de grands paresseux, que vous voyez comme les gueux de France, quand ils sont saouls couchez le ventre au Soleil, leur vie comme celle des Hurons fort impudique, & leurs coustumes & moeurs tout de mesme, le langage est differant neantmoins, mais ils s'entendent comme font les Algoumequins & Montagnais, d'habis ne leur en cherchez pas, car memes ils n'ont pas de brayers, ce qui est fort estrange & qui ne se treuve guere dans les Nations les plus Sauvagines. Et pour vous dire au vray, il seroit expedient qu'il ne passat icy toutes sortes de personnes, car la mauvaise vie de quelques François leur est un pernicieux exemple, & en tout ces païs les peuples quoy que Sauvages, nous en font des reproches, disans que nous leur enseignons des choses contraires à celles que nos François pratiquent, pensez Monsieur de quel poix peuvent estre aprés nos parolles, il est à esperer pourtant de mieux, car ce qui me consola à mon retour fut de voir que nos compatriots avoient fait leur paix avec nostre Seigneur, s'estoient confessez & communiez à Pasques & avoient chassé leurs femmes, & depuis ont esté plus retenus.

Il faut que je vous die qu'on a traicté nos Pères si rudement que mesmes deux hommes desquels les Peres Jesuites s'estoient privez pour les accommoder, ont esté retirez par force, & ne leur ont voulu donner vivres quelconques, pour nourrir & entretenir quelques petits Sauvages qui souhaittoient de demeurer avec nous, bien qu'ils leur promirent de leur faire satisfaire par quelqu'uns de nos bienfaiteurs, il est cruel d'estre traicté de la sorte par ceux mesme de sa Nation, mais puis que nous sommes Frères Mineurs, nostre condition est de souffrir & prier Dieu qu'il nous donne la patience.

On dit qu'il nous vient deux Peres nouveaux de France, nommez le Pere Daniel Boursier & le Pere François de Binville, qu'on nous avoit ja promis dés l'an passé, si cela est, je vous prie pour surcroist de toutes vos peines que prenez pour moy, de me faire seulement tenir un habit qu'on m'envoye, c'est tout ce que je demande, car il ne se fait point icy de drap, & le nostre estant tout usé, je ne m'en peux passer, les pauvres Religieux de sainct François ayans le vivre & le vestir c'est tout leur partage en terre, le Ciel nous l'esperons sous la faveur du bon Dieu, pour lequel servir très volontiers, pour le salut de ces peuples aveugles nous engageons nostre vie, afin, qu'il luy plaise si il l'agrée de nostre soing faire germer le Christianisme en ces contrées, Dieu permet le martyre à ceux qui le méritent, je fuis marry de n'estre pas en cet estat, & n'ignore pas neantmoins, que pour estre recogneu vray enfant de Dieu, il faut s'exposee pour ses freres. Viennent donc hardiment les peines & les travaux, toutes les difficultez & la mort mesme me seront aggreable, la grace de Dieu estant avec moy, laquelle je mandie par le moyen des prières de tous nos bons amys de par delà, desquels je suis & à vous Monsieur, très humble serviteur en nostre Seigneur. Fait à Toanchain village des Hurons ce 18 Juillet 1627.

Voyla tout ce qui est arrivé de plus remarquable au voyage de ce bon Pere, duquel on peut remarquer ce que l'avois autrefois appris, l'envie & malice de Hurons de ne vouloir pas permettre qu'allassions hyverner parmy les Neutres, peur de les conduire à la traicte par un chemin racourcy, ce qui leur seroit d'un grand prejudice à la vérité, entant qu'ils ne pourroienr plus traicter avec eux & en tirer les castors que les autres porteroient aux François. Le copiste de la lettre du Pere s'est mespris à mon advis au mot Huron otoronton, qui veut faire signifier de l'huyle, car c'est proprement à dire, beaucoup, ou ô qu'il y en a beaucoup. Il y en a qui avoient voulu soustenir qu'il y avoit plus de distance de Kebec aux Neutres, que non pas aux Hurons, mais ils se trompoient par la confession mesme du P. Joseph qui advoue qu'en dix journées on pourroit descendre à la traicte si on avoit trouve l'emboucheure de la riviere des Hiroquois, ou nos Hurons ne peuvent venir en moins de trois sepmaines. Je conjesture aussi facilement cest approche des Neutres de Kebec, en ce que les Hiroquois sont plus proches des François que les Hurons & les Neutres ne sont qu'à une journée des Hiroquois qui sont tous tirant au Su.

Ces Neutres jouissent (selon l'advis d'aucuns) de quatre-vingts lieuës du païs, où il se fait grande quantité de tres-bon petun, qu'ils traictent à leurs voisins. Ils assistent les cheveux relevez contre la Nation de Feu, desquels ils sont ennemis mortels: mais entre les Hiroquois & nos Hurons, avant cette esmeute de laquelle j'ay fait mention au 26e chapitre du second livre, ils avoient paix & demeuroient Neutres entre les deux Nations, chacune desquelles y estoit la bien venue, & où ils n'osoient s'entredire ny faire aucun desplaisir, & mesme y mangeoient souvent ensemble, comme s'ils eussent esté amis, mais hors de là s'ils se rencontroient, il n'y avoit plus d'amitié ny de caresse, ains guerres & poursuittes qu'ils continuent à outrance, sans qu'on aye encore pu trouver moyen de les reconcilier & mettre en paix, leur inimitié estant de trop longue main enracinée & fomentée par les jeunes hommes de l'une & l'autre Nation, qui ne demandent qu'à se faire valoir dans l'exercice des armes & de la guerre pour la patrie, & non pour les duels, qui sont detestez par tout ailleurs, fors de mauvais Chrestiens & de ceux qui ne font point estat de leur salut, qu'ils prodigalisent à la moindre pointille d'honneur qui leur arrive.

Je m'estois autrefois voulu entremettre d'une paix entre les Hurons & les Hiroquois, pour pouvoir planter le S. Evangile par tout & faciliter les chemins de la traicte à plusieurs Nations qui n'y ont point d'accez, mais quelques Messieurs de la societé me dirent qu'il n'estoie pas expedient & pour cause, d'autant que si les Hurons avoient paix avec les Hiroquois, les mesmes Hiroquois meneroient les Hurons à la traicte des Flamands, & les divertiroient de Kebec qui est plus esloigné.

De deux François tuez par un Montagnais qui fut emprisonné aprés ses ostages rendus. Du lac appellé sainct Joseph où les Sauvages allerent hyverner & comme ils levent le camp.

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