CHAPITRE IV.

EN la mesme année 1627 sur la fin du mois d'Aoust, arriva à Kebec le sieur de la Rade Vice Admiral de la flotte envoyé par le sieur Guillaume de Caën, pour la traicte des pelleteries. Le P. Joseph le Caron Superieur de nostre maison luy alla rendre ses devoirs & offrir les prieres de ses Religieux desquelles il fist assez peu d'estat pour avoir deslors pris resolution en son ame de faire banqueroute à l'Eglise pour espouser une fille à ce qu'on croit.

La discourtoisie de ce personnage augmentée par ce dessein, se fist encor voir au refus qu'il fist de passer en France un petit Sauvage nommé Louys, baptizé par nos Peres le jour de la Pentecoste dernier. Le Pere Joseph n'ayant pu flechir ce coeur endurcy y employa le pere de l'enfant, qui luy fist offre d'une quantité de pelleteries, vallant quatre fois plus que ne montoit la taxe ordonnée pour le pasage d'un homme en France, mais il demeura inflexible, on luy parle de s'en plaindre à Messieurs du conseil, & pour cela il ne s'esbranla point, par ainsi il fallut desister & avoir patience en retenant ce petit garçon par devers nous. On nous a asseuré du depuis que ledit sieur de la Rade estoit rentré au giron de l'Eglise, de quoy je loué Dieu & m'en resjouis.

En ce temps là les Sauvages commencerent de s'assembler pour la pesche de l'anguille desquels un nommé Mahican Atic Ouche eut quelque différent avec le boulenger de l'habitation & un autre qui avoit esté à gage de Maistre Robert le Chirurgien.

Leur dispute ne vint que pour un morceau de pain que ces François refuserent à ce Sauvage qui leur demandoit avec quelque violence & les autres en luy refusant, luy donnèrent du poing & presenterent le bout d'une arequebuze sans dessein toutesfois de l'en offencer, mais seulement pour repousser la force par la force & la violence de celuy qui estoit violenté par la faim. Ce que le Barbare prit neantmoins tellement à coeur qu'il se resolut deslors de les tuer tous deux au premier jour qu'il en trouveroit l'opportunité.

En ce temps là le sieur Champlain eut volonté de faire un voyage au Cap de tourmente, pour lequel il fist choix d'un nommé Henry domestique de la Dame Hebert & de quelques autres pour conduire sa chalouppe. Ce pauvre Henry avoit eu un songe admirable la nuict precedente, il luy estoit advis que revenant du Gap de tourmente, les Sauvages le vouloient tuer à coups de haches & despées, ce qui le fist crier si haut à son compagnon couché auprès de luy, Louys, Louys, secourez moy, les Sauvages me tuent, que s'estant esveillé au bruit il trouva que c'estoit songe & non point vérité, & se r'asseura à force de luy dire qu'il ne falloit point adjouster de foy aux songes & resveries qui nous viennent la nuict en dormant.

Sa maistresse qui ne le pouvoit dispenser de ce voyage nonobstant les excuses & les prieres, luy conseilla de prendre son chien & qu'il luy seroit de bonne guette; mais le mal-heur fut que le sieur de Champlain estant pressé de partir, le pauvre Henry n'eut pas le loisir d'embarquer son chien, qui luy eut sauvé la vie & tiré du péril.

Le lendemain à certaine heure du jour Mahican Atic Ouche fut au logis de la dame Hébert luy demander un morceau de pain, car il estoit grand amy de la maison, mais luy ayant esté respondu que celuy qui en avoit la charge estoit allé au Cap de tourmente & qu'il y en avoit pour lors fort peu à la maison, il creut entendant parler de celuy qui avoit la charge du pain que c'estoit le boulanger qui l'avoit offencé, & partant sans autrement s'informer de ce qui en pouvoit estre partit sur le soir bien tard pour l'aller trouver au cul de sac où il devoit coucher en la cabane du Chirurgien avec un pauvre manouvrier appellé du Moulin, lesquels ayans trouvé la cabane fermée, furent contraincts de coucher sous un arbre enveloppez dans leurs couvertures à cause du froid.

Estans tous deux bien endormis arriva le Sauvage Mahican Atic Ouche, avec ses armes la hache & l'espée à onde de laquelle il leur donna tant de coups au travers du corps, qu'ils resterent morts sur la place sans avoir pû se faire cognoistre, ce qui leur eu sauvé la vie, car ce n'estoit point à eux à qui on en vouloit, mais au boulenger de Kebec & au serviteur de maistre Robert & neantmoins le coup estoit donné dequoy le meurtrier mesme fut fort marry, mais trop tard, car Henry estoit l'un de ses meilleurs amys.

Ce mal-heur achevé, le mal-heureux barbare tout attristé vouloit couvrir son faict il prit les deux corps & les traisna le long de la prairie sur le bord de l'eau, afin que la marée venans elle les emportast puis se rembarqua dans son canot & se retira en sa cabane où il ne fut pas le bien venu pour n'avoir point apporté d'anguilles.

Le lendemain matin les deux François à qui le barbare en vouloit furent où les deux corps morts avoient esté meurtris, & trouvans la trace du sang jugèrent de ce qui estoit arrivé sans sçavoir encore comment, ils suivirent la piste & trouverent les deux cadavres sur le bord de l'eau d'où ils les retirèrent & les mirent en lieu de seureté hors du hazard de la marée & des flots, puis se rembarquerent dans leur canot pour l'habitation, où ils donnerent advis au sieur du Pont Gravé de ce funeste accident, qui à ceste occasion despecha une chalouppe au cul de sac pour en rapporter les deux corps ainsi miserablement tuez, puis en mesme temps envoya aux RR. PP. Jesuites & à nostre Convent advertir que l'on se donnast de garde des Sauvages & fist prier le P. Joseph particulièrement qu'il luy fist la faveur de le venir trouver pour adviser à ce qu'on auroit à faire.

La chalouppe arrivée avec les deux corps morts estonna fort tous les François, notamment la dame Hébert, laquelle se resouvenant du songe du pauvre deffunct Henry qui avoit esté son domestique s'en affligea fort, & disoit en se plaignant d'elle mesme; helas j'ay esté en cela bien miserable de n'avoir point creu à cest infortuné garçon, qui nous avoit par le ministere de son Ange, comme adverty de son desastre à venir, mais helas qui pourroit adjouster de foy aux songes & resveries, qui nous arrivent si souvent en dormant, sinon que l'on manquat de sagesse.

Les corps furent mis dans l'habitation & posez en lieu decent, tandis que tous les Capitaines Montagnais, qui estoienr là és environs de Kebec furent mandez par le sieur de Champlain de le venir trouver promptement, ce qu'ils firent avec la mesme diligence que le truchement Grec leur avoit enchargè, & du mesme pas le Sauvage Choumin avec son beau frere vindrent en nosftre Convent faisans les ignorans & les estonnez, mais bien davantage quand ils virent que l'entrée de la maison leur fust refusée par nostre F. Gervais qui en estoit le portier. Toutesfois non si rigoureusement qu'il ne mist Choumin au choix d'y entrer & non point à l'autre, s'il ne quittoit premièrement, ce qu'il avoit de caché dessous sa robbe.

Il y eut là un petit de contrastes, car les bonnes gens ne vouloent point advouer qu'ils eussent rien de caché, & le bon Frere perseveroit dans son soupçon que ce barbare avoit quelque chose sous la robbe qu'il tenoit serrée devant son estomach, à la fin il en tira une bayonnette, que quelque Rochelois luy avoient traictée, laquelle il donna audit Frère qui sur celle indice leur fist quelque reprimende de leur mauvaise volonté à l'endroit des François & de la mort des deux nouvellement tuez, ce qu'il disoit à dessein pour apprendre d'eux qui avoit esté les meurtriers & non pour aucune mauvaise oppinion, qu'il eut de ce Choumin qui nous estoit très bon amy.

Choumin neantmoins un peu picque au ieu ne se pû taire qu'il ne luy die: Frère Gervais je croy que tu n'a point d'esprit, pense tu que je sois si meschant de te vouloir du mal ny à aucun des François; je viens de l'habitation où j'ay veu les deux corps morts meurtris par les Hiroquois, & non par aucun de nostre Nation, car qu'elle apparence aprés tant de bien-faicts receus que nous soyons si miserables que de tuer de tes gens, tu sçay bien toy-mesme que je suis vostre amy & à tous tes frères, & que si j'ay deu vous rendre service je l'ay tousjours fait à mon possible & veux continuer jusques à la mort de vous aymer comme mes freres & mes enfans. Tu diras que tu a trouvé mon beau frere saisy d'un grand cousteau, mais sçache que ce n'est pas pour faire du desplaisir aux François, mais pour le deffendre des Hiroquois, dont on dit qu'il y a grand nombre dans les bois pour nous surprendre, comme ils ont fait ces deux François dequoy rendent tesmoignage nos Capitaines mandez à l'habitation par le sieur de Champlain.

Le Frere Gervais luy repliqua qu'il ne doutoit nullement de son amitié, mais qu'il ne pouvoit croire que ce fussent autres que Montagnais qui eussent faict le coup, & que s'il estoit brave homme il leur descouvriroit les meurtriers pour s'en donner de garde une autre fois, ce qu'il ne voulut faire niant tousjours, qu'il les cogneut, mais il asseura le Frere qu'il feroit son possible pour les descouvrir & ammener vif ou mort à Kebec pourveu qu'on luy rendit son grand cousteau, qui serviroit pour leur trencher la teste s'ils faisoient les retifs, le frère leur ayant rendu ils partirent pour l'habitation parler au Pere Joseph, auquel ils contèrent ce qui leur estoit arrivé depuis leur entre-veuë.

Les Capitaines Sauvages estans tous à Kebec, le sieur de Champlain les harangua & leur fist voir les corps & les playes de ces meurtres, où se recognut que l'espée dont on s'estoit servy estoit une espée ondée, qui fit croire à plusieurs particulierement à Choumin, qu'elle estoit d'un de leur Nation, ce que nioit absolument Mahican Atic Ouche, qui taschoit de se justifier & couvrir son forfaict par cette simple negative, mais il estoit des-ja tellement dans la mauvaise estime de tous les autres Capitaines de sa Nation, qui ne l'osoient neantmoins absolument condamner sans une plus grande cognoissance de cause, qu'ils deleguerent des personnes pour en faire les informations & poursuivre contre luy.

Esrouachit soustint aussi que le faict avoit esté perpetré avec l'espée d'un de leur Nation, & qu'il en falloit faire recherche, puis rehaussant sa voix vers tous les siens qui estoient là presens leur dit: ô hommes qui estes icy assemblez! est il pas vray que nous sommes bien meschans de tuer de la forte ceux qui nous font du bien & nous a assistent de leurs moiens, car sans eux que deviendrions nous au temps de l'extreme famine qui nous assaille si souvent, nous mourrions tous ou du moins nous souffririons beaucoup, parquoy je vous promet, dit-il, au sieur Champlain de faire moy mesme une exactee recherche de ces meschans pour vous les amener en vie ou en rapporter les testes, que je vous consigneray, partant fiez vous en moy, dequoy le sieur de Champlain le loua & pria de ne desister point de ses poursuittes que les criminels ne fussent descouvers, parce qu'il avoit esté dit & conclud par les Chefs François, que jusques à ce qu'ils fussent amevez, il ne seroit permis à aucun Sauvage d'approcher les François de vingt pas loing, soit allans par les bois ou approchans des maisons, sans que premier ils appellassnt pour eviter aux surprises à peine d'estre arquebusez par les François qui n'iroient plus sans armes, ce qui troubla fort la pesche de l'anguille car tout cecy arriva au mois d'Octobre l'an 1627, qu'elle commencoit à estre bonne.

L'on fit l'enterrement de ces deux corps le plus honorablement que faire se peut & le service achevé, le Pere Joseph s'en retourna au Convent avec Choumin, auquel on fist cognoistre la malice des Montagnais, qu'il advoua franchement & promit que dans deux jours il sçauroit les meurtriers, mais qu'il les prioit de ne point dire à personne qu'il les auroit decelez, ce qu'on luy promit, afin que la vengeance ne tombat point sur luy, car entre ces Nations là il ne fait pas bon estre ennemy de personne si on ne se veut mettre dans le hazard d'estre tué.

Estant party de nostre Convent il s'en alla droit trouver celuy à qui il avoit veu une espée à onde, mais un peu trop tard, car le marchand ayant sçeu qu'on le cherchoit il la jette dans la riviere, ou du moins il la cacha si bien qu'elle ne se trouva point, ce que voyant Choumin il luy presenta à tenir le tustebeson, duquel j'ay parlé au chap. des conseils livre second, mais se tournant de costé il le refusa & pleurant disoit, j'ay tousjours bien aymé Henry, ce qui estoit vray, mais ce n'estoit pas à dire qu'il ne l'eut tué.

Choumin voyant ce refus, il le presenta à plufieurs autres qui ne firent aucune difficulté de le tenir pour ce qu'ils se sentoient innocens, & puis s'en retourna chez nous, où il dit à nos Religieux qu'asseurement Mahican Atic Ouche avoit fait le coup, & qu'il le falloit prendre, il en fut dire autant au sieur de Champlain, qui fist venir le dit Mahican pour voir s'il l'advoueroit, mais arrivé qu'il fut dans la chambre il ne fist que pleurer, disant qu'il estoit un meschant, & qu'il meritoit la mort, & nya pourtant fort & ferme qu'il eut commis le meurtre.

Et d'autant que l'on avoit trouvé la piste de trois personnes de diverses grandeurs, l'on luy demanda si ces deux enfans avoient assisté au meurtre commis, il dit que non, & que n'ayant pas faict le coup il ne les y avoit pas conduits. L'on envoya querir trois de ses enfans lesquels l'on interrogea, mais sans en pouvoir rien tirer, quelqu'uns estoient d'advis qu'on les devoit constituer prisonniers, & d'autres trouverent meilleur d'en retenir l'un & laisser aller les deux autres, qui s'en retournerent saisis d'une telle espouvente que le plus grand des deux aagé d'environ 18 à 20 ans arrivant de l'autre costé du fleuve tomba mort sur la place, ce qui estonna fort les Sauvages qui disoient que se sentant coulpable, il estoit mort de frayeur, d'estre faict mourir par justice.

Les Chefs de Kebec voyans que l'on ne pouvoit lors tirer preuve suffisante pour faire mourir le meurtrier, l'on demeura d'accord avec les Capitaines Sauvages & l'accusé, qu'il donneroit son fils, & Esrouachit l'un desdits Capitaines & parent dudit accusé, un autre des siens, & que tous deux demeureroient pour ostages jusques à ce que l'on eut descouvert le meurtrier, & que au renouveau le dit Esrouachit seroit tenu de re-presenter ledit Mahican Atic Ouche, ou le meurtrier convaincu du crime.

Pendant l'Hyver l'on fit toutes les diligences possibles pour cognoistre le malheureux, mais les Sauvages interessez en la cause oppinerent tous que ce ne pouvoit estre autre que celuy duquel on se doutoit, & qu'il ne falloit s'en informer davantage, pour ce qu'autrement on en offenceroit plusieurs pour un.

Le Printemps venu l'on esperoit à Kebec que Esrouachit rameneroit son homme, mais craignant d'y recevoir quelque affront il le renvoya par un Capitaine de Tadoussac, nommé le Jeune la Fouriere, qui le conduit jusques à Kebec, où plusieurs Sauvages entre autre Choumin, donnerent advis qu'il le falloir retenir comme coulpable, & delivrer les deux garçons comme innocens, ce qui fut faict.

L'on esperoit bien faire son procés si tost que les Navires François seroient arrivez, mais la prise qu'en firent les Anglois en empescherent l'execution, & fut en fin delivré un peu avant qu'ils se rendissent maistres du pays, car il ne voulut jamais rien confesser du meurte commis, bien qu'il s'accusast comme criminel, disans tousjours qu'il estoit un meschant homme, & avoit merité la mort, mais tout cela n'estoit rien dire, car la Confession veut qu'on die en quoy on a esté meschant, & specifier les fautes.

La pesche de l'anguille fut assez bonne, bien qu'elle ne fut la bonne année, car de deux en deux ans il y en a tousjours une meilleure que l'autre, je ne sçay par quelle raison, sinon que le Créateur l'a ainsi voulu. Les Sauvages ne la firent pas si librement qu'à l'accoustumée, à cause du meurtre commis, dont ils apprehendoient la punition sans qu'on eut dessein de leur mesfaire, c'est pourquoy beaucoup souffrirent de grandes necessitez au mois de Decembre, que les neiges furent basses, & fondoient à mesure quelles tomboient, tellement que les Barbares ne pouvoient aller à la chasse, & si n'avoient que fort peu de poisson.

Au commencement du mois de Janvier Choumin avec un autre Sauvage vindrent à l'habitation, traiter quelques vivres pour leur aider à couler le temps jusques aux grandes neiges, & dirent qu'il y avoit vingt cinq, ou trente personnes, tant hommes femmes qu'enfans de leur compagnie au delà de la riviere en si grande necessité, qu'il y avoit dix à douze jours qu'ils n'avoient mangé, sinon des champignons qu'ils trouvoient à des, vieux hestres, dont ils se soustenoient.

Choumin ayant eu parole des sieurs de Champlain,& du Pont qu'ils les accommoderoient de quelques vivres à credit, il leur fit signe de passer la riviere, & se rendre vers Kebec s'ils pouvoient trouver passage entre les glaces, comme ils firent, non, sans courir de grandes risques de leur vie, mais comme de pauvres loups, la faim les faisoit sortir des bois, dont nous en eusmes huict qu'il nous fallut nourrir l'espace de huict jours, & puis se retirerent en leurs cabanes proches de l'habitation, qu'ils demeurerent jusques à la fin du mois de janvier, qu'ils s'en allerent chasser (la saison estant lors bonne) vers le lac de sainct Joseph, où ils firent bien leur profit aux despens des caribouts, eslans & autres bestes qui y sont à foison.

Ce lac de sainct Joseph de grande estendue, a esté ainsi nommé par les François, à cause que le Pere Joseph superieur de nostre maison y avoit passé partie d'un Hyver avec les Barbares, comme en un tres-bon endroit, tant pour la pesche que pour la chasse, comme j'ay dit, y ayant tout autour quantité de bestes fauves, & des castors en abondance, & d'où il n'y a de l'habitation que pour une journée de chemin en Hyver, & encore moins en esté, mais qui est de tres-difficile accés, à cause de quatorze sauts que l'on rencontre en chemin, où il faut tout porter, & le canot, & l'équipage plus de deux lieuës loin parmy les-bois.

Le jour pris que tous les Sauvages devoient partir pour leur retour parmy les bois, l'un d'entr'eux à ce député, le cria à pleine teste, par tour le quartier, disant: O hommes qui estes icy campez, on a jugé à propos que demain matin on decabanera pour un tel voyage, que tout le monde se tienne donc prest, car je m'en vay marquer le chemin, ce qu'il fit en donnant quelque coups de haches à certains arbres qui leur servirent de guide, dons j'admire l'invention, mais bien davantage quand sans ces marques il passent de droite ligne, jusques à plusieurs lieuë, trouver un nid d'oyseau, je dis un petit nid d'oyseau, un morceau d'eslan caché dessous la neige, ou un chute qui ne paroist qu'à trois pas de vous.

C'est icy ou les plus entendus Astrologues & Mathematiciens Europeans perdroient leur theorie, & leur beau discours, devant un peuple qui ne sçait les choses que par la pratique, & non des livres, j'ay veu des personnes que pour avoir leu de ces livres, se croyoient fort habiles gens, lesquels: venant à l'expérience se trouvoient fort ignorans devant des Mariniers mesmes, qui sçavoient à peine lire. La théorie de nos Doctes est bien necessaire, mais la pratique de nos Barbares vaut encor mieux, à laquelle je me fierois plustost qu'à l'autre.

Tout le camp estant levé, & les cabanes ruinées, ce qui se fait en fort peu de temps, le bagage fut disposé arrangé, & accommodé sur les traisnes, qui sont leur chariots de bagages, dont les unes sont longues de plus de dix pieds, & les autres moins, larges seulement d'un pied ou peu plus, à cause de beaucoup d'arbres, & de lieux fort estroits, où il leur convient souvent passer. Les femmes, & les filles qui en sont les chevaux, & les mulets, se mirent sous le joug passans une corde sur leur front qui tenoit au chariot, & avec cet ordre se mirent en chemin dés lendemain matin, pour passer les premières (avant le gros de l'armée) devant nostre maison, où elles esperoient recevoir une ample charité qu'on leur fit le mieux que l'on peut, car elles sstoient toutes si maigres & deffaictes, aussi bien que les hommes qui vindrent après, qu'elles faisoient horreur & pitié.

Neantmoins avec toutes ces peines, ces souffrances,& ces travaux, elles estoient toutes si gayes & contentes qu'elles ne faisoient que rire & chanter en chemin, ce qui faisoit estonner nos Frères qui leur portoient une sainte envie, de pouvoir estre patiens comme elles, parmy de si cruelles necessitez qu'elles devoroient avec un courage viril, en ce faisant violence, car elles ne sont point insensibles.

C'est une leçon louable que les Sauvages nous donnoient demeurans avec eux, de ne nous attrister point pour chose qui nous arivat. Si tu t'attriste, disoient-ils un jour au Pere le Jeune, tu seras encore plus malade, si ta maladie augmente tu mouras, considere que voicy un beau pays, ayme le, si tu l'aymes tu t'y plairas, si tu t'y plais tu t'y resjouyras, si tu t'y resjouys, tu guariras, & par ainsi tu vivras contant, & ne mourras point miserable.

Histoire plaisante d'un Sauvage qui mangea la menestre d'une chienne, qui luy eut par aprés tousjours hayne, & de trois filles Sauvages qui furent données au sieur de Champlain, pour estre instruites en la foy, & és bonnes moeurs.

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