CHAPITRE VI.

JE ne voudrois pas m'amuser aux augures & pronostiques des anciens Payens, ny à celles de nos modernes, qui sont ordinairement fausses, & ausquelles on ne doit adjouster de foy. Mais Dieu le Créateur qui comme un bon pere de famille ne veut pas la perte de ses enfans ains qu'ils vivent, nous menace souvent par des signes extérieurs ou prodiges, qui nous apparoissent comme autant d'avuant-coureurs de son prochain chastiment.

La cheute inopinée de deux tourelles du fort de Kebec, advenue peu de jours avant l'arrivée des Anglois, estonna fort tous les François, lors qu'un Dimanche matin 9e jour de Juillet 1628, ils virent ce funestre eschet, qu'ils prirent à mauvaise augure. Car quelle apparence, disoient les plus devots, eussent elles pü tomber d'elles mesme en un calme si grand, si Dieu par cette cheute ne leur eut voulu signfier quelque chose de malheureux. Il n'y avoit que trois ans qu'elles estoient basties, ce n'estoit donc pas la vieillesse, qui avoit causé leur ruyne, mais l'indevotion des habitans, que Dieu vouloit chastier par le ravage des Anglois.

Il y en avoit neantmoins qui n'avoient pas ce sentiment là, & prenoient les choses au pis, car ils disoient que les imprecations des ouvriers, qui trop pressez en leurs ouvrages, n'avoient à peine le temps de respirer, avoit renversé ce bastiment, là, ce qui pouvoit bien estre, disoient d'autres, car il n'y avoit année qu'il ne tombat quelque chose du fort, où l'impatience des ouvriers se voyoit en ce qu'il y falloit tousjours remettre la main, & faire les choses comme par despit, à cause de cet empressement des Chefs, du moins ils s'en plaignoient.

Pendant cet accident inopiné & interpreté ainsi à la fantaisie d'un chacun quatre Navires Anglois, avec un cinquiesme de la compagnie, qu'ils avoient pris à l'Isle percée, entrerent au port de Tadoussac, où ayans trouvé une barque Françoise la firent promptement armer, & ayans corrompu quelque Sauvages par presents, comme il est aysé, ils les y firent embarquer avec environ vingt de leurs hommes, qui estoient en partie François, pour se saisir du Cap de tourmente, où estoit nourry tout le bestial des hyvernants, & de là aller surprendre Kebec s'ils pouvoient, avant que les François cussent esventé leur venue.

Mais à mesme temps que la barque eut levé l'anchre pour ce malheureux dessein, partirent du mesme lieu, nostre Napagabiscou avec un autre Sauvage de nos amis, pour en aller advertir les François, sans sçavoir neantmoins que ce fussent François, ou Anglois, ny quel estoit leur dessein; & firent telle diligence que les ayans devancé, ils arriverent au Cap de tourmente, où ils donnerent advis au sieur Foucher qui y commandoit, de tout ce qu'ils avoient veu, lequel à mesme temps despecha deux de ses hommes pour en porter les nouvelles à Kebec mais sans asseurer quels vaisseaux s pouvoient estre, car les Sauvages luy avoient dit que le Capitaine Michel y estoit avec plusieurs autres François, mais que leur Cappots & chapeaux, estoient neantmoins d'Anglais, c'est ce qui les fit douter, & donner l'espouvente qu'ils auroient bien tost sur les bras, l'ennemy des François, comme il arriva.

Le Pere Joseph se trouva lors fort à propos à Kebec, prest d'aller administrer les Sacrements aux François du Cap de tourmente, où nous avions estably une Chapelle, laquelle les Anglois ont depuis bruslée, avec la maison des Marchands, & esgaré tous nos ornemens servans à dire la saincte Messe. Le canot estant disposé à l'ayde de l'un de nos Freres qui l'accompagnoit, ils partirent promptement avec ses deux Messagers arrivez de nouveau, avec dessein de donner jusques à Tadoussac, pour en rapporter de certaine nouvelle, & ne tremper plus dans les doutes de ces Navires. Mais, ayans à peine advancé 4 ou 5 lieuës dans le fleuve, ils apperceurent deux canots de Sauvages venir droit à eux, avec une diligence incroyable, qui leur crioient du plus loing, à terre à terre, sauvez-vous, sauvez-vous, car les Anglois sont arrivez à Tadoussac, & ont envoyé ce matin fourager, & brusler le Cap de tourmente.

Ce fut une alarme bien chaudement donnée, & qui augmenta à la veue du sieur Foucher, couché tout de son long à demy mort dans le canot, du mauvais traictement des Anglois, duquel ils sceurent au vray le succés de leur malheureuse perte.

Il ne faut pas demander s'il fallut tourner visage à Kebec plus viste qu'on n'estoit venu, mais ayans le vent, & la marée contraires, les Pères furent contraincts de ceder à la necessité, cacher leur canot dans les bois & s'en aller par terre jusquea à l'habitation, par un temps fort fascheux, que le sieur de Champlain fut amplement informé du bruslement & desastre arrivé au Cap de tourmente en la maniere suivante.

La barque ayant abordé le Cap, & les Anglois pris terre une matinée que le bestial estoit desja dans la prairie, ils s'accosterent de quatre ou cinq François qui en avoient la garde, & feignans estre des leur, les sceurent si bien cajoler, que leur ayans fait croire qu'ils estoient là envoyez de la part du sieur de Rocmont, pour les advertir de sa venue, & de là porter des vivres à l'habitation, que les pauvres François de trop facile croyance, grandement resjouys de si bonnes nouvelles, leur donnerent libre entrée dans leur maison, & la collation de tout ce qu'ils avoient de meilleur; Mais ô bon Dieu quels hostes, ils ne furent pas plustost entrez dans ce logis mal gardé, qu'ils pillerent & ravagerent comme ennemis jurez, tout ce qu'il y avoit là dedans, puis ayans faict rentrer le bestial au nombre de quarante ou cinquante pieces, ils tuerent quelques vaches pour leur barque, mirent le feu par tout, & consommerent jusques aux fondemens de la maison, une seule vache exceptée, qui se sauva dans les bois, & six autres que les Sauvages avoient attrappé pour leur part du debris. Ce fut là une grande desolation, & une furie de gens qui ne craignoient point Dieu, ny d'offenser leur propre patrie, car comme j'ay dit, une partie de ces voleurs estoient François naturels, dont aucuns estoient de cognoissance, qui fut la cause que le sieur Foucher Capitaine dudit Cap de tourmente, fut plus facilement trompé, & y pensa encor perdre la vie, car en se sauvant dans un canot de Sauvage, ils luy frizerent les moustaches à coups de mousquets, & emmenerent prisonniers un nommé Piver, sa femme, sa petite niepce, & un autre jeune homme avec eux.

Apres avoir faict ce malheureux eschet ils s'en retournerent à Tadoussac avec tout leur butin, & de là avec leurs cinq vaisseaux, & une barque, au devanr de la flotte Françoise qu'ils attaquerent, & battirent si vivement, qu'ils s'en rendirent les maistres, comme je diray plus amplement cy aprés.

La victoire obtenue, & tous les Navires rendus par composition. Entre les choses plus precieuses de leur pillage, ils firent particulièrement estat du petit Huron nommé Louys de saincte Foy, qu'ils croyoient estre le fils du Roy de Canada, & en cette qualité le trainerent & habillerent tousjours fort magnifiquement & splendidement, pensans en recevoir de grandes gratifications & recognoissances de la part du Roy son pere, mais ils furent bien estonnez qu'ayans subjugué le pays, & demandé à voir ce beau Roy pretendu, qui par un bon-heur estoit descendu à la traite cette année là, il ne leur fut monstré qu'un pauvre homme à demy nud, & tout mourant de faim, qui leur demanda à manger, & à voir son fils.

A la verité cela les fascha fort, de s'estre ainsi mespris, & que ce faux bruit de Royauté leur eut causé tant de despence, mais pourquoy simples qu'ils estoient, croyoient ils des diademes, où il n'y avoit qu'une extreme pauvreté, la faute en estoit leur, car ils ne devoient croire si de leger au rapport de quelques mattelots qui se gaussent là aussi-bien qu'icy, d'autant plus plaisamment que l'oisiveté y est plus en règne. Le Capitaine Thomas vice-Admiral, luy vouloit oster tous ses habis & rendre à son pere, habillé en Sauvage, mais quelqu'uns de ses amis luy conseillerent de le laisser honnestement couvers, afin d'encourager les autres enfans Hurons de bien esperer des Anglois, & de venir librement à eux & laisser là les François.

Il luy laissa donc un habit de crezé d'Angleterre enrichi d'un gallon d'argent dentelé, & en cest estat le rendit à son pere, luy promettant d'ailleurs, que si l'année prochaine il leur amenoit force Hurons, à la traicte ils luy rendroient les autres habis, qui estoient les uns d'escarlate & du drap du seau, chamarez de passemens d'argent, & d'autres de drap d'Angleterre minime en broderie d'argent, & les manteaux de mesmes.

Or le sieur de Champlain ayant esté ainsi amplement informé du desastre arrivé au Cap de tourmente, craignant qu'il luy en arriva de mesme à Kebec, mist ordre par tout pour la deffence de la place. Ce qu'ayant fait on vit arriver une chalouppe de prisonniers François entre lesquels estoient Piver, sa femme & sa niepce, avec quelques Basques, chargez d'un mot de lettre au sieur de Champlain de la part de Kerque Admiral de la flotte Angloise, qui le sommoit de luy rendre la place & luy envoyer ses articles pour la composition qu'il luy offroient assez honnorables, veu la necessitê où ils estoient de vivres & de munitions. Coppie de laquelle lettre j'ay icy inserée avec la responce du sieur de Champlain qu'il luy enuoya par les mesmes messagers Basques dés le lendemain matin.

MESSIEURS, je vous advise comme j'ay obtenu commission du Roy de la grande Bretagne, mon très honnoré Seigneur & Majesté, de prendre possessîon de ces païs, sçavoir Canada & l'Acadie, & pour cet effect nous sommes partis dix-huict Navires, dont chacun a pris la route selon l'ordre de sa Majesté, pour moy je me suis des-ja saisi de la maison de Miscou, & de toutes les places & chalouppes de ceste coste, comme aussi de celles d'icy à Tadoussac où je suis à present à l'ancre, vous serez aussi advertis comme entre les Navires que j'ay pris, il y en a un appartenant à la nouvelle compagnie qui vous venoit treuver avec vivres & rafraichissemens, & quelques marchandises pour la traicte, dans lequel commande un nommé Norot: le sieur de la Tour estoit aussi dedans, qui vous venoit treuver, lequel j'ay abordé de mon Navire: je m'estois preparé pour vous aller treuver, mais j'ay treuvé meilleur seulement d'envoyer une patache & deux chalouppes pour destruire & se saisir du bestial qui est au Cap de Tourmente, car je sçay que quand vous serez incommodé de vivres, j'obtiendray plus facillement ce que je desire, qui est d'avoir l'habitation: & pour empescher que nul Navire revienne je resous de demeurer icy jusqu'à ce que la saison soit passée, afin que nul Navire ne vienne pour vous avictuailler: c'est pourquoy voyez ce que désirez faire, si me desirez rendre l'habitation ou non, car Dieu aydant tost ou tard il faut que je l'aye, je desirerois, pour vous, que ce fust plustost de courtoisie que de force, à celle fin d'esviter le sang qui pourra estre respandu des deux costez, & la rendant de courtoisie vous vous pouvez asseurer de toute sorte de contentement, tant pour vos personnes, que pour vos biens, lesquels sur la foy que je pretends en Paradis, je conserveray comme les miens propres, sans qu'il vous en soit diminué la moindre partie, du monde. Ces Basques, que je vous envoye sont des hommes des Navires que j'ay pris; lesquels vous pourront dire comme les affaires de la France & l'Angleterre vont, & mesme comme toutes les affaires se passent en France touchant la compagnie nouvelle, de ces pais, mandez moy ce que desirés faire, & si desirés traicter avec moy pour cette affaire, envoyés moy un homme pour cet effet, lequel je vous asseure de cherir comme moy-mesme avec toute sorte de contentement, & d'octroyer toutes demandes raisonnables que desirée, vous resoudant à me rendre l'habitation. Attendant vostre responce & vous resoudant de faire ce que dessus, je demeureray, Messieurs, & plus bas vostre affecttionné serviteur, David Quer, du bord de la Vicaille, ce 18 Juillet 1628, stille vieux, ce 8 de Juillet stille nouveau. Et dessus la missive estoit escrit, à Monsieur de Champlain, commendant à Kebec.

La lecture faicte par les sieurs de Champlain, & du Pont son Lieutenant en la presence de tous les principaux de l'habitation, il fut conclus aprés un long conseil, de luy envoyer la responce suivante toute pleine d'honnesteté, & de bon sentiment.

MONSIEUR, nous ne doutons point des commissions qu'avez obtenues du Roy de la grande Bretagne, les grands Princes font tousjours esleclion des braves & genereux courages, au nombre desquels il a esleu vostre personne, pour s'aquiter de la charge en laquelle il vous a commise pour executer ses commandemens, nous faisant cette faveur que de nous les particulariser entre autre celle de la prise de Norot & du sieur de la Tour qui apportait nos commoditez, la verité est que plus il y a de vivres en une place de guerre, mieux elle se maintient contre les orages du temps, mais aussi ne laisse de se maintenir avec la médiocrité quand l'ordre y est maintenu. C'est pourquoy ayant encore des grands bleds d'Inde, poix, febves, sans ce que le païs fournist, dont les soldats de ce lieu se passent aussi bien que s'ils avoient les meilleures farines du monde, & sçachant très bien que rendre un fort & habitation en l'estat que nous sommes maintenant, nous ne serions pas dignes de paroistre hommes devant nostre Roy, que nous ne fussions reprehensibles, & meriter un chastiment rigoureux devant Dieu & les hommes, la mort combattans nous sera honorable, c'est pourquoy que je sçay que vous estimerez plus nostre courage en attendant de pied ferme vostre personne avec vos forces, que laschement nous abandonnions une chose qui nous est si chere, sans premier voir l'essay de vos canons, approches, retranchemens, & batterie, contre une place que je m'asseure que la voyant & recognoissant vous ne la jugerez de si facile accez comme l'on vous auroit peu donner à entendre, ny des personnes lasches de courage à la maintenir, qui ont esprouvé en plusieurs lieux les hazards de la fortune, que si elle nous est favorable vous aurez plus de sujet en nous vainquant, de nous departir les offres de vostre courtoisie, que si nous vous rendions possesseurs d'une chose qui nous est si recommandée par toute sorte de devoir que l'on sçauroit s'imaginer. Pour ce qui est de l'exécution du Cap de Tourmente, bruslement de bestial, c'est une petite chaumière avec quatre à cinq personnes qui estoient pour la garde d'iceluy, qui ont esté pris sans verd par le moyen des Sauvages, ce sont bestes mortes, qui ne diminuent en rien de ce qui est de nostre vie, que si vous fussiez venu un jour plus tard il n'y avoit rien à faire pour vous, que nous attendons d'heure à autre pour vous recevoir, & empescher si nous pouvons, les prétentions qu'avez eu sur ces lieux hors desquels je demeureray Monsieur, &, plus bas, vostre affectionné serviteur Champlain, & dessus, à Monsieur, Monsieur le General Quer, des vaisseaux Anglois.

La responce ayant esté donnée aux Basques, ils s'en retournèrent dés le lendemain matin comme j'ay dit, & navigerent pour Tadoussac où estans arrivez ils la presenterent au General Quer, lequel aprés s'estre informé en particulier de leur negociation, il fit assembler tous ceux de ses vaisseaux, & notamment les Chefs ausquels il leut la lettre que nous leur laisserons consulter à loisir pour rapporter icy quelque petite particularité necessaire au sujet, car comme dit le sieur de Champlain, ils furent trompez par la divine permision en ce qu'ils crurent l'habitation mieux garnie qu'elle n'estoit, où pour tout vivre chaque homme estoit réduit à sept onces de poix par jour.

Resolution de deux de nos Peres de vivre parmy les Barbares, les peines qu'ils y endurerent & la pieté d'un Montagnais converty.

Share on Twitter Share on Facebook