CHAPITRE VII.

DAns les disgraces plustost que parmy les prosperitez on recognoist le vray amy du coeur, d'avec celuy qui ne l'est que par interest. Les Sauvages Montagnais desireux de nouveautez, ayans sçeu la venue des Anglois à Tadoussac & la prise du Cap de Tourmente sur les François nous venoient tous les jours donner de fausses alarmes à Kebec, dont les uns tesmoignoient assez ouvertement un desir de changement & d'en voir chasser les François sous esperance de mieux que leur promettoient les Anglois.

D'autres tout au contraire en eussent esté marris, comme de voir blesser la prunelle de leurs yeux, particulièrement nostre Napagabiscou, qui plein de ferveur comme l'Eunuque de Candax Royne d'Ethiopie, ne cherchoit que l'occasion de rendre service à ses bien-facteurs, & de faire voir que ce n'estoit pas en vain qu'on l'avoit fait Chrestien, mais par inspiration du Ciel, s'adressa au Pere Joseph & luy dit; Pere Joseph, à ce que j'ay pû apprendre les Anglois brusleront l'habitation, (ce qu'il disoit pour leur avoir veu brusler le Cap de Tourmente) & vous feront tous prisonniers, ce qui me seroit le plus sensible desplaisir qui me sçauroit jamais arriver. Parquoy je te supplie que tu aye soin de toy & de tes freres, & que tu me donne Frere Gervais, afin que je l'emmeine avec toy au païs des Algoumequins, ce sera un bien pour vous & pour moy, car outre que vous ne tomberez pas entre les mains des Anglois vous vous perfectionnerez en nostre langue, me confirmerez en la foy & enseignerez les autres qui ne sont pas encores instruicts comme moy, & si tu veux me donner encor un autre de tes freres fais le venir promptement, car j'en nouriray bien jusques à trois. Si je souffre de la faim ils en souffriront & si j'ay de quoy manger ils en auront, & par ainsi ils n'auront pas pis que moy, si mieux ils ne peuvent avoir.

Le P. Joseph demanda au F. Gervais s'il vouloit bien s'exposer à ce danger & se resoudre de vivre & mourir parmy ses pauvres gens, veu le péril eminent d'estre pris par les Anglois qu'on attendoit de jour en jour à Kebec, mais le bon Religieux qui sçavoit l'importance de l'affaire, & que ce sont choses que l'on doit meurement considerer avant de les entreprendre, demanda temps de respondre & adviser à ce qu'il auroit à faire, puis se resolut à la fin de se rendre miserable parmy les miserables pour l'amour d'un Dieu qui s'estoit fait pauvre pour l'amour de nous, avec cette esperance de profiter aux Sauvages & à luy mesme en cet employ, & que tost ou tard, le païs seroit rendu aux François, comme il est arrivé.

Cette resolution resjouit extremement le Pere Joseph & en loua Dieu, & de ce pas s'en alla trouver les sieurs de Champlain & du Pont ausquels il fist ouverture de leur bon dessein, & comme ils avoient resolu de s'en aller parmy ces pauvres Barbares, travailler à leur conversion, & pour y maintenir l'autorité des François attendant l'esloignement des Anglois qu'on esperoit en bref à cause du secours qui approchoit, mais qui ne reussit pas.

Messieurs les Chefs ayans ouy & consideré les raisons de ce bon Pere, & que sans apprehension ny de la mort, ny de la faim, il vouloit s'exposer dans des hasards autant perilleux que dangereux, louerent son zèle, approuverent sa resolution & le prierent de partir au plustost, crainte qu'estant surpris par les ennemis, ils ne vinssent à perdre une si belle occasion, & l'offre de ce Sauvage nouvellement converty.

Ils se disposerent pour ce voyage & ayans laissé Frere Charles & les autres Religieux avec les RR. PP. Jesuites & imploré le secours de leurs sainctes prieres, ils partirent le 19e jour de Juillet 1628, par un tres-mauvais temps, de maniere qu'encor bien qu'ils eussent le vent de Nordest, & leur chemin au Surouest, ils ne purent faire se jour là que huict ou neuf lieuës à raison d'une disgrace qui leur pensa arriver, car allans à pleine voille par le milieu de la riviere ayans vent & marée, lss flots donnoient si rudement contre leur canot & dedans le vaisseau mesme, qu'ils penserent submerger, & furent contraints de tirer du costé de la terre & jetter de leurs hardes dans la riviere, pour soulager ce petit batteau d'escorce.

Mais comme les furies de la riviere alloient croissans, pensans renger la terre ils furent jettez du vent & des flots sur un rocher, où ils eurent plus de peur que de peine, jusques à un autre rencontre qui blessa en deux ou trois endroits l'un de leurs canots, en rompit un autre & précipita tous les Sauvages dedans l'eau, qui se sauverent à la nage. Il y avoit encore environ vingt lieues de là jusques aux trois rivieres, que ces pauvres submergez furent contraints de faire à pied avec des peines infinies, à cause de certains petites rivieres qu'il faut traverser en chemin.

Avant d'arriver ils raccommodèrent les deux canots blessez au milieu d'une prairie vers le lieu appelle de saincte Croix où des-ja estoient arrivez deux canots du païs, qui tous quatre restèrent le reste du jour & de la nuict couchez à l'enseigne de la Lune en mesme hostellerie. L'appetit leur devoit estre fort aiguisé, car ils n'avoient mangé de tout le jour fors un peu de sagamité à cinq heures du matin, & puis adjoustez y les fatigues nompareilles de la riviere irritée par les vents, & vous trouverez qu'ils eussent bien merité quelque autre de plus excellent qu'un peu de sagamité de six ou sept morceaux de galettes qu'on leur donna avec quelque poix rostis pour tuer leur plus grand appetit. Il est vray que j'ay aucunefois experimenté une faim si furieuse sur le chemin des Hurons, que je me fusse volontiers jetté à en broutter les herbes & les racines, si je n'en eusse appréhendé le poison de quelqu'unes, c'est ce qui me faisoit courir les bois & les lieux escartez pour y chercher des petits fruits que la nature y produit, mais qui sont aussi tost enlevez par les enfans des Barbares.

Environ la mi-nuict la marée fut grande & tellement dilatée, qu'elle s'estendit par tout où ils estoient couchez & les obligea de se remettre sur les eaues, où ils furent encores tellement tourmentez & agitez des vents & des pluyes continuelles, qui leur donnoient de tous costez qu'ils ne sçavoient comment se pouvoir conduire avec les seuls flambeaux d'esorces qu'il avoient pour toute clarté & leur faisoient souvent eclipse.

Le premier canot qui faisoit l'avant garde, donna si rudement contre un rocher qu'il y pensa couler à fond sans que la diligence des Sauvages le pû empêcher d'estre blessé, ce que voyans & qu'ils ne pouvoient en façon de monde se gouverner, ils descendirent 4 filles à terre pour chercher lieu de se cabaner, (car c'est un de leur soin avec les femmes,) mais elles ne rencontrerent par tout que des eaues & des fanges, où elles enfoncerent en quelque endroit jusques à la ceinture dont l'une s'y pensa noyer, car l'obscurité de la nuict estoit si grande qu'ainsi embarassées elles ne purent retourner à leurs canots & fallut promptement battre le fuzil & allumer des flambeaux pour les aller retirer, aprés quoy on chercha place pour y passer le reste de la nuict, mais ô mon Dieu qu'elle nuict où le repos estoit un martyre.

Environ les six heures du matin arriverent à eux quatre canots, qui alloient à Kebec querir des vivres, ils advouerent avoir soufferts les mesmes disgraces de nos hommes, un canot perdu & des peines au delà de leur pensée, qui les avoient reduits jusques à l'extrémité, mais comme j'ay peu quelquefois pratiquer estre nos Hurons, aprés estre sortis de quelque malheureux passage, où à la fin de quelque tournée laborieuse, ils firent festin & chanterent par ensembles, puis se separerent & allerent chacun leur chemin, conduis d'un vent que Dieu leur donna fort favorable, lequel les rendit en peu d'heures jusques aux trois rivieres, où estoit pozé un camp de Montagnais & d'Algoumequins, qui les receurent avec une joye & applaudissement d'un peuple affectionné envers nos pauvres Religieux, ils estoient là attendans la maturité de leurs bleds & citrouilles des ja assez advancez, pour la saison.

Ces bons Peres avec leurs hostes se cabanerent là avec eux, où à peine eurent ils passé huict jours de temps, qu'il leur arriva nouvelle de l'esloignement des Anglois, avec lettres des Chefs de Kebec, par lesquelles ils les supplioient de retourner à leur Convent, puis que les plus grands dangers sembloient estre passez, neantmoins qui furent bien déplorables quelques temps aprés, & la ruyne de tout le païs.

La nouvelle n'en fut que tres-bonne, mais ce qui en augmenta la joye fut l'arrivée de 20 canots Hurons, dans l'un desquels estoit le V. P. Joseph de la Roche, haslé, maigre & deffait comme un homme à qui la necessité avoit enjoint forces jeusnes, & le Soleil du hasle, car c'est le teint & le maigre que l'on prend d'ordinaire, en si austere voyage où l'on ne jouyt d'aucun contentement que celuy de la bonne conscience.

Tous les bons Pères s'entrecaresserent à l'envie & se regalerent plustost de discours spirituels que de bonne chère, après avoir rendus leurs actions de graces à Dieu, car avant toutes choses c'est à ceste première cause qu'il faut rendre ses voeux.

Aprés le repas ils adviserent par entr'eux s'ils devroient retourner tous trois à Kebec, ou non, d'autant que les Sauvages ayans appris que l'on les mandoit de Kebec, en avoient tessmoigné du mescontemement, particulierement le nouveau Chrestien & les anciens & vieillards, qui après leur conseil s'offrirent de les nourrir tous trois, & de prendre soin d'eux comme de leurs propres enfans.

Le P. Joseph superieur, les remercia de leur bonne volonté, & les asseura de la tesmoigner par tout envers les François, qui ne s'en rendroient jamais ingrats, ny luy partculierement, mais qu'au reste il avoit à les supplier de vouloir agréer leur retour à Kebec, puisque les Capitaines le desiroient & qu'il ne pouvoit les refuser. A tout le moins laissé nous le Frere Gervais, repliquerent les Barbares, afin que ne demeurions pas sans instruction, ce que le P. Joseph leur accorda, dequoy ils furent fort contans & l'en remercièrent.

Mais comme ils estoient encores empechez à separer leurs hardes & disposer de leurs paquets pour s'en aller les deux PP. Joseph à l'habitation & le F. Gervais aux Algoumequins, ils receurent derechef un nouveau mandement de s'en retourner tous à Kebec, le plus promptement que faire se pourroit, ce fut icy où le pauvre baptizé monstra ses sentimens, car les voyans tous trois resolus de s'en aller à Kebec, puis que les Chefs le desiroient, il protesta en pleurant qu'il ne descendroit d'un an aux François, deut il mourir de faim l'Hyver, non pas mesme à la pesche de l'anguille, qui se fait tous les ans à la riviere S. Charles, depuis la my-Aoust, jusques à la my-Octobre, beaucoup en disoient de mesme & ne se pouvoient consoler pour n'avoir de consolateur, car en fin ils se sentoient trop heureux d'avoir de nos Religieux avec eux.

Je ne sçay si je dois blasmer ces Peres ou non, en cette action, car ils pouvoient avoir des sujet preiguans, mais il est vray que j'eusse bien esperé de mes excuses à Kebec, & n'eusse pû esconduire ces pauvres gens en une prière si salutaire & raisonnable, puis que toute leur intention n'estoit que pour leur propre salut & edifications; Helas! qu'eusent ils pû esperer davantage d'eux, estans pauvres & desnuez de tous les biens de la terre, & sujets à vivre des aumosne d'autruy, sinon leurs instructions & l'effect de leurs prieres, c'est ce qui le faisoit affliger & tenir bon dans la resolution que nostre Sauvage prist les pensans gagner, de ne descendre à Kebec que l'Hyver ne fut passé, comme il fist & alla huyverner avec les Algoumequins.

Neantmoins au mois de Mars ensuivant il revint en nostre Convent, non les mains vuides & privé de bons sentimens, mais chargé de deux testes d'eslans qu'il donna à nos Religieux disans, prenez pour vous monstrer que je ne vous ay point mis en oubly, & que m'ayans quitté, pour obeir aux Capitaines François, je n'ay point perdu la bonne affection que j'ay tousjours eue pour vous. Tous les jours je regrettois vostre absence & m'estimois miserable de me voir si esloigné de vous, car n'ayans pas de memoire assez, pour retenir les choses que m'aviez enseignées, je craignois de mourir en peché & d'aller point en Paradis pour ne les avoir retenues & entièrement observées.

De la subtilité d'un Sauvage pour tromper les Anglois, & de la necessité qu'on souffrit à Kebec, auquel temps on nous donna deux petits Montagnais à instruire.

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