CHAPITRE VIII,

J'Ay dit au quatriesme livre de ce volume, chapitre premier, que Pierre Anthoine Patetchounon Canadien, fut renvoyé par nos Religieux de Kebec entre ses pareils, pout reprendre les idées de sa langue qu'il avoit comme oubliées en France. Mais s'estant par cas fortuit rencontré à Tadoussac à l'arrivée des Anglois qu'il pensoit estre François, il fut à leur bord les saluer, mais ayant esté recognu par quelqu'uns qui s'estoient donné aux Anglois, specialement le Capitaine Michel, il en donnèrent advis à leur Admiral, qui le retint pour leur servir de Truchement & faire descendre les Nations à la traicte, qu'ils vouloient là establir par le moyen de quelques presens.

L'Admiral commanda donc qu'on ne le laissat point aller, & qu'on luy fit caresse pour ne le point effaroucher, puis l'ayant fait venir à son bord & en particulier dans sa chambre luy parla François, mais le Sauvage feignit ne l'entendre point, il luy parla latin, il en fit de mesme. Mais le Capitaine Michel arrivant là dessus; le contraignit de respondre en l'une, ou l'autre des deux langues, luy disant qu'il le cognoissoit tres-bien, & sçavoit sa capacité, pour l'avoir veu en France, & sceu qu'il y avoit estudié, & esté faict Chrestien.

Le garçon s voyant descouvert, & qu'on luy refusoit la sortie du Navire, & à ses Freres, s'advisa d'un autre expédient fort favorable qui le mit en liberté, & luy donna dequoy vivre. Or ça, dit il au Capitaine Michel, que desirez vous de moy, j'ay toutes les envies du monde de vous servir, & de laisser là les François, car Monsieur l'Admiral est un tres-brave homme qui m'a obligé jusques à ce pojnt, de faire tout ce que vous voudrez pour l'amour de luy, mais j'ay pensé aussi qu'estant homme d'honneur, comme vous estes, vous me ferez aussi la faveur de ne me point manifester aux François, particulierement aux Pères Recollects, à qui j'ay l'obligation du sainct Baptesme, & de ce que je sçay, car ils ne seroient pas contents de ma revolte, & ne feroient plus estat de moy. Voyez un peu l'esprit du garçon, comment il sçait bien accommoder son fait.

Ce n'est pas tout il demande qu'on luy laisse conduire l'affaire, & monter aux trois rivieres dans une chalouppe luy cinquiesme, sçavoir ses deux frères, & deux autres Sauvages de ses amis, ce qui luy fut accordé avec un baril de galettes, un baril de biscuit, un autre de poix, un baril d'eau de vie, & un de vin, avec une couverture, & quelques autres petites hardes qu'on luy donna, à condition qu'il leur seroit fidelle, ce qu'il promit, & tout ce qu'on voulut, & n'en fit rien, car au lieu d'aller aux trois rivieres, ils tirèrent droit à l'Isle rouge qui est devant. Tadoussac, & puis passerent de l'autre coste de la riviere, où ils firent bonne chère, & se moquerent de nos Anglois.

Les Anglois estoient cependant tousjours aux escoutes, attendant de jour à autre le retour de leurs messagers, & de quantité de Sauvages qu'ils avoient promis de leur amener chargez de pelleteries, & ne voyoient rien venir, mais ils furent bien estonnez qu'aprés avoir long temps attendu on leur vint donner advis qu'ils s'estoient mocquez d'eux, & fait bonne chere à leur despens au delà de l'Isle rouge, ce qui mit les Anglois tellement en cholere qu'ils jurerent par leur Dieu de ne pardonner jamais à Pierre Anthoine, & de le pendre s'ils le pouvoient attraper, mais ils ne tenoient rien, car les Sauvages sont plus difficiles à prendre que des lievres quand ils tiennent les bois.

Et comme ils estoient encores tout eschauffez dans leurs choleres, arriva la barque qu'ils avoient despechée au Cap de tourmente laquelle leur ayant rendu compte du ravage qu'ils y avoient faicts, & donné à leur Admiral, la responce du sieur de Champlain, prindrent resolution de retourner vers Gaspé, pour combatre la flotte François qu'ils esperoient trouver en chemin, comme ils firent.

Le 18e jour de Juillet, le sieur de Rocmont Admiral des François, ayant eu le vent de l'approche des Anglois, prit les brunes pour eviter le combat, auquel neantmoins il fut engagé parla diligence des ennemis, qui le vainquirent, & rendirent prisonnier, comme je diray plus amplement au Chapitre suivant.

Mais auparavant de faire rencontre des ennemis, il despecha une chalouppe avec dix ou douze de ses hommes, pour donner advis à Kebec de son approche, avec commandement au commis Desdames de luy faire sçavoir au plustost l'estat de la maison, ce qu'il ne pû effecturer si tost, car arrivant à Tadoussac, d'où les Anglois estoient partis, il apprit des Sauvages là restez, la prise du Cap de tourmente, dequoy il fut extremement affligé, & d'ailleurs il fut acertené du combat qui se devoit donner entre les deux flottes, qui l'obligea d'en attendre l'issue, & despescher promptement un canot avec trois de ses hommes au sieur de Champlain, pour l'informer de tout ce qui se passoit, & sçavoir si au vray les Anglois l'avoient mal traité comme le bruit en couroit.

Le canot arrivé le sieur de Champlain amplement informé des choses qui le metoient en peine, le renvoya dés le lendemain matin avec ses despeches, qui ne furent pas loing, car peu de jours aprés arriva la chalouppe à Kebec avec Desdames, & dix de ses compagnons qui crioient à la faim, pour avoir (disoienr-ils) sejournez unze jours à Tadoussac & mangé tous leurs vituailles, attendans l'issue du combat qu'ils n'avoient pu apprendre, ce qui leur estoit de fort mauvais augure. Ils furent neantmoins receus selon la puissance & necessité du lieu, qui manquoit desja de pain, de vin, de sel, de beure, & de toute esperance d'en pouvoir avoir d'un an entier, la flotte ne paroissant point.

Cette misere les fit resoudre de vivre doresnavant en paix, les uns avec les autres de ce peu qu'ils avoient, sans se porter d'impatience, où elle estoit plus necessaire que jamais, une chose leur fut fort favorable, une quantité de Hurons descendirent ce mesme temps à la traite, lesquels emmenerent bon nombre de leurs hommes moins utiles, qui fut autant de soulagement pour le pays, car sans compter les unze venus de nouveau, ils estoient prés de quatre-vingts bouches à l'habitation.

Le sieur de Champlain voyant son monde diminué à la faveur de Hurons, pensa au salut du reste, ausquels il ordonna pour chacun cinq petites escuellées de poix ou febves par sepmaine, sans pain ou viande, car il ne s'en parloit plus, & de ces poix ou febves ils en faisoient une espece de menestre ou bouillie, composée en partie de certaines herbes & racines qu'ils alloient chercher par les bois.

Nos Religieux en devoient avoir leur part comme les autres, mais à raison de la grand souffrance & necessité qu'ils voyoienr en plusieurs, ils la cederent facilement, & se contenterent d'un peu de bled d'Inde qu'ils avoient amassé de leur desert, duquel ils nourrirent encor un ouvrier, & trois petits enfans, sçavoir un François, & deux Sauvages, sans les charitez & aumosnes qu'ils faisoient aux plus necessiteux, aymans mieux souffrir disette des choses, que de manquer à aucun de ce qui estoit en leur puissance, mais avec un tel excez, que s'ils n'eussent esté eux-mesmes secourus par la Dame Hébert, de deux barils de poix, ils se rendoient tout à faict miserables, & pour mourir de faim, car outre que les racines & les choux de leur jardin avoient esté également distribuez par les chambres, le grain leur avoit manqué, & n'avoient plus que fort peu de febves, de racines, & de glans, dequoy ils se nourissoient principalement, sinon qu'au mois d'Octobre suivant les Sauvages leur firent presents de quelques pacquets d'anguilles qui les remirent sus pieds, & voicy comment.

Je vous ay dit au Chapitre 4 de ce livrc comme les François avoient emprisonné le Sauvage Mahican Atic Ouche, accusé d'avoir tué deux François, dequoy les Barbares estoient fort en peine, mais encor plus de ce qu'on ne le mettoit point en liberté, & pour ce conclurent entr'eux en un conseil qu'ils tindrent exprès, qu'ils n'assisteroient en rien les François, ny d'anguilles, ny d'autres viandes, & blasmerent fort Choumin de leur avoir porté de ses vivre si particulièrement à Kebec, car pour nos Religieux ils ny repugnoient point, & n'avoicnt aucune difficulté qu'on leur fit la charité pendant une si grande famine, mais Choumin qui n'avoit pas seulement de l'amitié pour nous, mais pour tous les François continua de leur faire au bien, & les assister en ce qu'il pouvoit, ce qui faisoit que le sieur de Champlain le caressoit, & en faisoit estat par dessus tous les autres Sauvages, qui jaloux & envieux d'un tel honneur, en voulurent meriter autant par autres bienfaits, & deslors firent des presens de vivres aux François, qui leur vinrent fort à propos, comme la manne aux enfans d'Israël dans le desert.

Sur la fin du mois d'0ctobre, les Sauvages ayans mis ordre à leurs affaires pour leur hivernement dans les bois, & parmy la campagne, l'amenèrent à Mahican Atic Ouche encor prisonmer, son petit garçon aagé de 4 à 5 ans, pour en avoir le soin, d'autant que personne ne s'en vouloit charger, & mesme ses parens l'avoient voulu laisser sur le bord de l'eau, afin qu'ennuyez de cet exil, où il mourut de faim ou de regret, ou se précipitant dedans le fleuve, c'est à dire qu'ils vouloient qu'il mourut pour en estre sans pitié déchargez.

Le pauvre Mahican Aric Ouche eut bien desiré jouyr de la presence de son fils, mais y ayant si peu de vivres à l'habitation, c'estoit assez d'y nourir le pere, sans y adjouster le fils, qui fut abandonné de ses parens, & du pere qui n'estoit point en liberté, ny en puissance de luy pouvoir ayder. Ce qu'estant le Pere Jofeph luy fit offrir de le nourrir & instruire, moyennant qu'il souffrit après qu'on l'emenast en France, à quoy le pere obtemperant luy accorda facilement son fils qu'il mena à nostee Convent, aussi joyeux & content que s'il eut acquis un Empire à Jesus.

Environ la sainct Martin de la mesme année 1628 la femme de feu Mecabau, autrement Martin, qui avoit esté baptisé chez nous, amena son petit fils nommé Chappé Abenau, qui nous avoit tant de fois esté recommandé par feu son mary, le peu de vivres qu'il y avoit en nostre Convent mit lors fort en peine nos Religieux, car de le refuser c'eut esté crime envers cette femme, & perdre l'occasion de sauver cette petite ame, & de le recevoir c'estoit augmenter leur misere desja assez grande, mais le plus asseuré estoit de retrancher chacun une partie de sa petite portion pour ce petit, ce qui fut fait à l'édification de tous, & avec la mesme gayeté qu'on s'estoit desja retranché pour d'autres particuliers de l'habitation.

La mère voyant son fils placé & hors de danger de mourir de faim, s'en retourna aussi tost avec ceux de sa Nation, le Pere Joseph comme superieur prevoyant pour l'advenir, fit mesurer tout le grain qui estoit au Convent, afin de voir combien l'on en pourroit user tous les jours & trouva que pour jusques à la my May à huict personnes qu'ils estoient, il n'y avoit pour chacune personne, que trois fois plain une escuelle à potage de farine, moitié de poix, & moitié d'orge qui estoit peu, n'eust esté les racines de nostre jardin, lesquelles leur servirent de pain, car d'aller à la queste, les autres n'avoient pas trop pour eux. Il est vray que les Sauvages les assssterent d'anguilles, mais qui devindrent d'un si mauvais goust, faute d'avoir esté suffisamment sallées, que les François s'estonnoient comme nos Religieux n'en estoient empoisonnez.

Voyage des Peres Daniel Boursier, & François Girard Recollects, pour la Nouvelle France. Comme ils furent pris par les Anglois, puis renvoyez, avec un Gentilhomme, sa femme, & sa famille, & des grandes risques qu'ils coururent en chemin.

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