CHAPITRE X

CEste grande tourmente jetta nos gens fort loin hors de leur route devers l'Espagne, où îls apperceurent un vaisseau Turc de quatre cens tonneaux, lequel leur despecha une chalouppe avec quantité de soldats pour les venir aborder, ce que voyant les pauvres Chrestiens, tousjours dans de nouveau labirintes, rompirent leur pont de deffence, tirerent dehors leur chalouppe & se jetterent tous à corps perdu dedans, puis à force de rames se sauverent promptement à terre, qu'ils avoient descouverte depuis peu. Abandonnant leur Navire avec toutes leurs petites commodités, à la mercy de ces mal-heureux Turcs, lesquels enragez de les avoir eschappez aprés avoir tout pillé & emporté ce qui estoit de meilleur, mirent le feu dans le vaisseau à la veuë de nos pauvres Canadiens, qui dans leur sensibles douleurs ne pouvoient faire autre chose, sinon, baisser la teste & plier les espaules sous la main de Dieu, car à peine estoient ils hors d'un mal-heur qu'ils en rencontroient un autre.

Cette pauvre trouppe, nue, affligée & delaissée de tous, fors de Dieu qui les conservoit, arriverent le mesme jour à Bayonne en Galice, où aprés avoir rendu grâces à nostre Seigneur, les Pères Daniel & François menèrent tout ce piteux équipage à Madame la Gouvernante de la ville, laquelle les receut fort courtoisement & les traicta fort honnorablement par l'espace de 8 jours qu'ils furent logez dans sa maison, pendant lesquels ils eurent tout loisir de se rafreschir d'un si long voyage qui les avoit retenus prés de 8 mois en mer.

En partie les maux passez firent resoudre les Pères de prendre la terre & de se separer de leur compagnie, pour s'en revenir seuls par S. Jacques & le reste de l'Espagne en France, mais comme ils eurent à ce dessein remercié & pris congé de Madame la Gouvernante, cet honneste gentil-homme duquel je vous ay parlé, sa femme & ses cinq enfans, les supplièrent au nom de Dieu de ne les point abandonner en une si pressante necessité, puis que le mal heur par l'infortune les avoit réduit jusques à ce point de ne leur estre rien resté de tout ce peu qu'ils avoient embarqué pour le Canada; tellement que ces bons Peres esmeus de compassion se chargerent de leur conduitte & prirent soin de leur nourriture tandis qu'ils furent avec eux, autrement ceste pauvre noblesse estoit pour rester miserable dans un païs où ils n'estoient point cognus. Il n'en estoit pas de mesme du reste de l'équipage qui prit party ailleurs, car ils estoient gens pour se pourvoir & non pas ces jeunes damoiselles inusitées en ce mestier de la mandicité, car elles eussent soufferts avec la honte de leur misere le reproche de gens vagabons, car qui se fust jamais imaginé que les disgraces les eussent reduictes jesques à ce point d'estre mandiantes, plustost que de paroistre en quelque estat accommodé.

Toute la famille avec ces bons Peres se mirent donc en chemin & prirent la route pour sainct Jacques, où estans arrivés furent visiter l'Eglise du Sainct, se recommanderent à ses intercessions, & y ouyrent une tres-ravissante musique, qui les consola tous intérieurement pour estre la meilleure qu'ils eussent jamais ouys, à ce qu'ils m'ont asseuré. En après ils furent visiter Monseigneur l'Archevesque du liee & Messieurs les Cardinaux, qui leur firent distribuer tout ce qui leur fist de besoin pendait 8 ou 9 jours qu'ils y sejournerent, car ces pauvres jeunes damoiselles aussi bien que les petits garçons, estoient tellement fatigués du chemin, qu'à peine se pouvoient elles soustenir & encor moins marcher qu'avec un peine indicible, ce qui se peut aysement conjecturer de leur jeune aage, du long du chemin, & de la foiblesse de leur sexe.

Aprés s'estre tous bien reposez & repris haleine, ils prirent congé des Prélats, & Seigneurs leurs bien-faceurs avec les humbles remerciemens deus à personnes si charitables & pieuses, & se mirent en chemin pour Colonne, pour de là prendre la mer & estre au plustost en France, car comme je viens de dire: ces pauvres Pelerins n'en pouvoient plus & estoient si las de la terre, particulièrement les jeunes filles, comme elles m'ont dit maintefois, qu'il falloit quasi à toute heure leur donner du temps pour se reposer, qui estoit un grand retardement, à gens qui n'aspiroient rien tant que de se voir de retour dans leur maison nonobstant le bon traictement qu'on leur faisoit par tout ce païs estranger.

Ils furent parfaictement bien receus à Colonne de Monsieur & Madame la Gouvernante, qui estimerent à une singuliere faveur du Ciel la venue de gens si necessiteux, où ils peussent exercer la charité, qui ne leur manqua point tout le temps qu'ils furent là, mais avec une telle magnificence qu'ils furent servy à plats couverts & en suitte la comedie.

Le lendemain matin de leur arrivée, ils furent visiter l'Eglise des Peres Recollects du lieu, où ils firent leur devotion devant l'image de la saincte Vierge, qui y est reverée de toute l'Espagne pour les grands & insignes miracles qui s'y font journellement envers tous ceux qui avec foy & devotion ont recours à cette bien heureuse Vierge Mere de Dieu. Et eurent le bon-heur de voir plusieurs personnes de ceux qui auparavant estoient estropiez, boiteux, bossus & affligez de diverses autres maladies & infirmitez, entierement gueris par l'intercession d'icelle.

Or pour ce que l'invention de cette saincte image a esté autant miraculeuse qu'admirable, & qui a grandement acerez la devotion du peuple envers icelle, je vous diray succinctement ce que j'en ay appris de personnes dignes de foy afin de vous inviter avec moy de louer Dieu en ses Saincts.

Avant que la ville de Colonne en Galice fut reduite en forteresse, & accommodée d'un Parlement qui la rend celebre pour le jourd'huy, il y eut une trouppe de pescheurs, qui ayans jettés leurs rets dans la mer, pensans y prendre du poisson en tirèrent cette saincte Image, mais avec tant de peine à quinze Mattelots qu'ils estoient, que comme il est dit des Apostres dans les Sainctes lettres, ils penserent rompre leur rets, chargez de cette seule Image sans poisson, ce qui les mist en telle admiration qu'ils en louerent Dieu sur le champs, se prosternerent devant icelle, & la porterent dans le Convent de nos Peres, qui la poserent reveremment dans l'une des Chappelle de l'Eglise, où elle est encore à present reverée d'un chacun comme j'ay dit.

Cette saincte Image est ordinairement couverte d'un rideau de taffetas bleu, qui se tire pour la faire voir aux pelerins qui y arrivent de toutes parts. Il y a aussi une lampe ardente qui y brusle jour & nuict que quelque personne devote y entretient. Cette figure n'est que de bois; de la hauteur environ de deux pieds, & assez noire & obscure comme sont ordinairement toutes les Images miraculeuses, pour monstrer que Dieu ne cherche point la politesse ny la beauté extérieure aux Ames esleveés; comme l'humilité & l'aneantissement, representé par cette couleur basse. Je suis noire, mais je suis belle disoit l'espouse aux Cantiques des Cantiques, qui est une pensée bien contraire à celle du monde qui ne faict estat que de l'exterieure beauté simplement, comme Dieu de l'intérieur qui se conserve sous la cendre de l'humilté & de la bassesse.

Quelques années aprés l'invention de ceste Image, les Anglois qui avoient guerre contre l'Espagne, s'estans rendus maistre de Colonne non encores fortifié comme il est à present, mirent le feu dans nostre Eglise qu'ils bruslerent pour la pluspart excepté l'image qui resta en son entier du milieu des flammes, dequoy irrité ces meschants heritiques, la jetterent jusques à sept fois dans un feu plus ardant qui ne luy fist aucun mal, ce que voyans, ils la mirent en piece, la briserent par morceaux & la jetterent derechef dans le feu, croyans qu'ayant perdu sa forme le feu consommeroit la matiere & par ainsi qu'ils resteroient victorieux, mais Dieu tout puissant qui ne peut estre vaincu de personne en conserva les pieces, les rassembla, & restablit l'image de la saincte Vierge, comme nous la voyons encores de present dans nostre Eglise dudit Colonne, sans que le feu paroisse y avoir laissé marque qu'un peu de noirceur pour tesmoignage du miracle.

Les devotions sont tres-bonnes, mais il faut encores penser de son retour au logis, car aprés avoir veu Marie il faut voir Marre, & descendre de l'eschelle de Jacob avec les Anges, pour y remonter avec eux, c'est le train de nostre vie & le soin de nos pensées qui montent à Dieu & reviennent & nous. O mon Dieu il le faut avoir un oeil pour voir vostre grandeur & un autre pour considerer nostre bassesse.

Les Peres Daniel & François s'estans suffisamment contentez en leur devotion & pris du repos aprés un long travail avec leur petite compagnie. Il fut question de trousser bagage, & voir sur le port s'il y auroit aucun Navire prest à faire voile pour la France, mais ne s'y en estant point trouvé, Monsieur le Gouverneur leur fist preparer son Brigantin, & conduire exprés jusques à la ville de Har, avec commandement de les loger & traicter honnorablement dans la maison de ville autant de temps qu'ils desireroient, ce qui fut de tout point observé pendant 15 jours qu'ils y sejournerent, car la jeunesse ne pouvoit avancer.

Ils furent non seulement regalez de tout ce qui leur faisoit besoin, mais mesme avant partir le bon gentil-homme receut encor la pièce en particulier, pour d'autres nesessitez qui pourroient survenir à sa famille, de maniere que l'on pouvoit dire que Dieu leur faisoit pleuvoir la manne au milieu des deserts, tant estoit grande la charité de ce peuple envers ces estrangers, sinon que le grand respect & la devotion qu'ils ont à nostre Ordre, leur donnat l'envie de les assister, car sans exageration, entre tous les Ordres, les Espagnols font principallement estat des Religieux de sainct François qu'ils reverent comme Anges descendus du Ciel, desquels les grands tiennent à grâce singuliere de pouvoir mourir ou du moins d'estre ensevelis dans leur habit, & sçay des Dames que peur d'estre prevenuës de la mort sans ceste faveur, en gardent sous clefs dans leur cabinet, aussi devote à l'Ordre de ce grand Sainct qu'estoit de deffunct Monsieur de Ragecourt gentil-homme Lorrain, qui receut de nostre Pere Gardien de Mets, ce sainct habit un peu avant sa mort.

La mesme grace avoit esté conferée à Madame la Comtesse de Marcoussey, Gouvernante de la Province de Vosges, laquelle mourut (quoy que fort jeune) aussi sainctement & autant desnuée des affections de la terre que j'aye jamais cognu personne de qualité, & pour ce que sa fin a esté fort edificative comme sa vie fort honneste, & que quelques bonnes ames pourront faire leur profit des graces que Dieu luy fist la disposant à la mort, j'en diray succinctement l'evenement à la gloire de nostre Seigneur, qui suivant les promesses faictes à nostre Pere sainct François, donne tousjours une heureuse fin à ceux qui sont vrayement devots en son Ordre.

Cette Dame quoy qu'en apparence mondaine (& pleust à Dieu que les autres ne le fussent qu'en apparence,) estoit tres devote aux enfans d'un si grand Patriarche, elle faisoit bien sa Cour, mais elle servoit encor mieux à Dieu, car aux bonnes festes de l'année, elle ne manquoit jamais au devoir d'une bonne Chrestienne, non plus qu'à donner largement aux pauvres des biens que Dieu luy avoit largement presté, à quoy la portoit grandement deffunct Monsieur le Comte à qui j'ay souvent ouy dire qu'il vouloit luy mesme soigner pour son ame dés son vivant comme il faisoit en effet, sans en attendre à ses héritiers, car comme il disoit, combien en voit on de trompez, ou plustost combien y en a il qui se trompent eux mesmes, attendans de faire par autruy ce qu'ils devroient faire par eux mesmes. La chandelle qui va devant vaut micux que la torche qui suit aprés, un peu patir en ce monde icy, vaut mieux qu'un longtemps en purgatoire, un escu donné de son vivant, que dix aprés sa mort, & puis qui sçait que les héritiers s'aquitteront fidellement de la volonté dernière du testateur.

Ils s'amusent à partager ses biens, on dispute de son testament, on querelle ses creanciers & souvent on maudit son mauvais ordre & les troubles qu'il leur a laissé aprés son trespas. O pauvres gens qui ne prevoyez pas à vos affaires, & encores moins à vostre salut pensez à vous. O vieux avaricieux, qui ne pouvez ouyr la voix du pauvre, vous oyrez la voix des diables qui crieront à vos oreilles, ton temps est passé, tes consolations ont pris fin, la rouille a mangé tes richesses, & les vers la charongne, il n'y a point de Paradis pour toy, que diras-tu, & toy femme mondaine, quoy penseras tu à l'heure de la mort qui t'est inevitable.

Je ne veux pas juger de personne ny condamner aucun, mais j'ay fort douté du salut de plusieurs riches avares que j'ay veu mourir, & d'autres, que je cognois qui pensent moins en Dieu qu'en leurs richesses, & s'ils donnent l'aumosne aux pauvres, c'est si peu & si mesquinement que je ne sçay s'ils y auront du merite. Il faut donner gayement si l'on donne, car Dieu ayme le joyeux donner, si on a peu, donner peu, si beaucoup, beaucoup, & tousjours de bonne volonté, comme il est dit en Tobie. Il y a mesmes de ces devotes qui ne sont charitables que du bout des levres, mais aussi sont elles bien éloignées du mérite de celle de laquelle je vay reprendre l'histoire dont voicy la suitte.

Madame la Comtesse allant faîre ses devotions à Nostre-Dame de Liesse, eut un songe la nuict, dont elle rumina fort des effects, il luy semloit mourir ayant deux Recollects à ses costez qui luy assistoient; à son resveil, elle conta son songe à Madame de saincte Marie sa tante, laquelle pour l'heure n'en fist aucun estat, disant qu'elle n'y devoit adjouster de foy. Un an aprés, le Pere Cyprian Gallicher estant faict Gardien de nostre Convent de Mets, fut visiter laditte Dame à son chasteau de Goin, si-tost qu'elle l'eut envisagé se tournant à l'une de ses Damoiselles suivante luy dit: la Rochette, voyla l'un des Peres que je vis en songe allant à Nostre-Dame de Liesse, & deslors en fit fort estat, l'excellence estoit qu'elle ne l'avoit jamais veu que ce jour là, ce qui luy fist esperer la verité de son songe.

L'année suivante estant de eommunauté en nostre Convent de Mets, ledit Pere Gardien me mena en devotion à sainct Nicolas, & au retour fusmes un Lundy matin au chasteau de Goin pour y voir laditte Dame, laquelle un petit mal de teste avoit arrestée ce jour là dans son lict, plus tard qu'à l'ordinaire, car le precedent, elle se portoit parfaitement bien, & sans apparence de maladie. Ayant sçeue nostre venue par le sieur Foursier précepteur du jeune Comte son fils unique, & à present F. Daniel Boursier, celuy duquel je fais mention dans ce voyage, elle ne dit autre chose sinon. Les Peres sont venus pour m'assister à la mort, je veux mourir fille de S. François & leur en demanderay l'habit, elle le demanda & le receu, & tous ses Sacremens, puis mourut le P. Gardien, disans les recommandations de l'ame à l'un des costez du lict, tandis que de l'autre je l'exhortois à bien mourir, comme elle fit rendant son ame entre les mains de son Createur, comme pieusement nous pouvons croire, avec cette derniere action de choisir la medaille de son Chappelet qu'elle tint entre ses doigts en expirant, & prononçant le S. nom de Jesus.

Revenons à nos Espagnols, ils tiennent faveur de pouvoir baiser la corde ou l'habit, d'un Frere Mineur, comme à grace singulier d'y pouvoir mourir, je fus un jour bien estonné qu'entrant en une maison de condition au Duché de Luxembourg, les deux filles mesme du logis, nous vindrent recevoir à la porte, & baiserent le bout de nostre habit, ce qui me fut fort extraordinaire pour n'avoir jamais veu une pareille pratique en France, où il n'y a que les seules personnes pieuses & de condition qui fassent estat des Religieux.

Je diray encor à la gloire de Dieu, & à la confusion des indevots, ce que j'ay appris d'un Pere Capucin revenant nouvellement d'Espagne, que comme il logeoit ordinairement dans quelqu'un de nos Convents qui y sont fort frequents, passant par la Province de la Conception, au mesme Royaume, où nos Religieux gardent un silence perpétuel, plus estroit qu'aucun autre Ordre qui soit dans l'Eglise, & pour cet effect ont presque tous leurs Convent bastis en des lieux champestres, & esloignez des villes.

Il interrogea quelques villageois, comment ils pouvoient nourrit des Convents de Recollets, qui ne moissonnent ny ne font aucune provision, veu qu'eux mesme estoient pauvres & necessiteux, & n'avoient dequoy pour la pluspart que de leur petit labeur. Ils luy respondirent, en vérité mon pere, nous leur donnerions encor nostre coeur s'ils en avoient affaire.

M'entretenant un jour sur mer avec un Pilotte Huguenot, homme d'esprit, & tres-honneste à sa mauvaise religion prés, des voyages qu'il avoit fait avec les Holandois, en divers endroits du monde, m'asseura du profit que faisoient les Religieux dans les Indes, & qu'il ny avoit veu aucun Navire, d'Espagne, où il ny en eut toujours quelqu'un dedans, ce qui luy servit aucune fois, car comme luy & tout son équipage se trouvèrent un certain temps, en tres-grande disette & necessité de vivres sans sçavoir ou en pouvoir recouvrer, les Holandois n'avoient point lieux de retraite en ces contrées là, & peu en d'autres, à cause de leur rudesse & cruauté à l'encontre des naturels du pays, qu'ils traitent en bestes, comme il appert en l'Isle de Java Major qu'ils ont prise sur le Mattran Empereur du pays, car, ils les tiennent presque tous enchaisnez deux à deux par les pieds, & ne leur permettent d'aller jamais en ville qu'il n'y aye un soldat Holandois, à leur queue, avec un brin d'estocq en main (ô quel valet) pour les tenir en bride & sujection, comme si aprés avoir perdu son bien, & sa liberté il falloit encore estre traitté en beste, & battu en chien.

Ils adorerent donc de donner la chasse au premier Navire marchand Espagnol qu'ils rencontreroient, sous l'esperance qui ayans des Religieux dedans, ils auraient du crédit allez pour leur en faire apporter de la plus prochaine ville, ce qui fut fait comme ils l'avoient projecté, car ayant rencontré une barque marchande, ils s'en rendirent les maistres, & l'arresterent jusques à tant que les Religieux qu'ils y trouverent leur en eussent fait apporter, puis les laisserent aller sans leur faire de desplaisir, ny aux Marchands, à ce qu'il me dit. Quoy qu'il en soit, je ne sçay, si nous aurions bien tant de crédit icy, mais tousjours faut il advouer que sainct François a grandement merite devant Dieu, puis que les Huguenots mesmes qui ne font estat d'aucun Sainct, le confessent, & s'estonnent du grand nombre de ses vrais Religieux presque par tout establis, pour le salut des ames Indiennes.

Revenons à nos pauvres voyageurs laissez à la ville de Har, & disons qu'ayans en vain cherché un Navire appareillé pour France, ils furent à la fin contraints d'aller à pied jufques à la ville de Fourolle, où ils trouverent une pinasse de Bayone en Laguedoc, dans laquelle après avoir convenu de prix avec le Maistre (car il fallut icy commencer payer) ils s'embarquèrent & firent voille le matin à la marée avec un vent assez favorable, mais qui se changea soudain, sur les trois heures aprés midy en une tourmente si grande qu'elle les pensa tous submerger & engloutir au fond des eauës, car ayans leur gouvervail brisé, ils n'attendoienr plus que l'heure d'estre jettez contre quelque rocher. Ils voyoient bien un village nommé de sainct Simphorien, & la terre qui ne leur estoit pas esloignée, mais comme le vent les dominoit, ils n'en peurent oncques approcher jusques à ce que les tres experimentez Pilotes & Nautonniers du lieu, les voyans infailliblement perdus, sans un prompt secours, monterent trois chalouppes, & surmontans les tres perilleux flots de la mer les aborderent & ayans accroché la pinasse, avec l'ayde du tout Puissant, la conduirent au port asseuré, où ils rendirent graces infinie à nostre Seigneur de les avoir delivré de tant de périls, & luy demanderent la vertu de patience pour le reste de leurs incommodité, qui n'estoient pas petites en des personnes percées jusques aux os, des pluyes & orages, qui durerent jusques à la nuict, avec des furies si grandes, qu'il sembloit que les Cataractes du Ciel fussent ouvertes pour un second deluge.

Ils sejournerent trois ou quatre jours dans ce village, pour se refaire de leur lassitude, après quoy il fur question de partir, mais d'autant que les maux de la tourmente passée leur estoient encor tout recens, & que la diversité des chemins leur sembloit adoucir aucunement leur travail, ils prirent la routte par terre, surmonterent les mauvais chemins, & la difficulté des montagnes, non sans des peines tres-grandes, & arriverent, à la ville Domide, où ils furent parfaitement bien receus de Monsieur, & de Madame la Gouvernante qui leur firent très-ample charité, & bon traictement, par l'espace de six sepmaines qu'ils furent contraicts de sejourner là, pour asssster trois de leur compagnie tombez malades de fievres & de travail.

Si tost qu'ils commencerent de se mieux porter, ils se mirent en chemin pour poursuivre leur voyage, car ils estoient encores à prés de trois cens lieuës de Paris, & arriverent de leur pied à Chichion, où ils attendirent la commodité d'un vaisseau marchand qui chargeoit des oranges pour Nantes & dans lequel s'estans embarquez & fait voile par un temps tres-beau qui leur dura, quelques jours, mais qui par sa faveur inconstante, se changea bien tost en une tourmente si furieuse quelle les pensa tous perdre, si la providence divine ne les eut garantis, & tourné les vents qui par un bon-heur les jetterent dans les sables Dolonnes, où ils prirent terre, & louerent Dieu, qu'après les avoir delivrez de tant de miseres, & assisté en tant de périls, il les avoit en fin fait surgir au port tant desiré, d'où nos pauvres Religieux ayans pris congé de leur compagnie, s'en revindrent doucement à Paris, rendre leur voeux, continuer leurs actions de graces & deduire leur penible voyage à celuy qui les avoit envoyé.

Offres & courtoisies des Savages, aux François de Kebec, & de l'excellent equipage d'une barque pris par les Anglois.

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