CHAPITRE XII.

UN Jeudy matin 19e jour de Juillet 1629, que l'on croyoit l'ennemy plus esloigné, arriva fortuitement de Tadoussac au logis des RR. PP. Jesuites le fils d'un Sauvage nommé la Nasse autrement Manitoucharche, cabanné proche la maison desdits Peres & leur dit que trois Navires Anglois paroissoient proche l'Isle d'Orléans une lieuë de l'habitation, & qu'il y en avoit encores six autres à Tadoussac, dequoy le sieur de Champlain avoit esté adverty per une autre voye.

Le Père Joseph qui eue aussi le mesme advertissement s'en alla promptement à Kebec avec l'un de ses Religieux, pour sçavoir du sieur de Champlain & des autres Chefs ce qui seroit bon de faire, mais comme ils furent advancez environ la moitié du chemin, ils rencontrerent le R. Pere Brebeuf avec ordre des sieurs de Champlain & Du Pont, que tous se rendissent promptement dans le fort, ce qui fut fait non toutesfois sans quelque contradiction, car personne ne desiroit quitter sa maison & laisser là tout à l'abandon, sans voir de plus grandes preuves.

Et en attendant que les Anglois envoyassent sommer la place tous les soldats & mattelots se disposerent au combat, avec resolution de bien faire, car à ce qu'on disoit, il y avoit encore de la poudre pour tirer jusques à huict ou neuf cens coups de mousquets & seulement deux on trois volées de canon, qui n'estoit pas, veu l'assiete du lieu pour estre pris au premier jour.

Sur le flot, parut une chalouppe ennemie ayant un drappeau blanc, signal de sçavoir s'il y auroit lieu de seureté d'aller treuver les François, les sommer & sçavoir la resolution en laquelle ils estoient. Le sieur de Champlain en fit mettre un autre au fort, qui les fist approcher, car la courtoisie devoit estre réciproque. Estans arrivé un jeune gentil-homme Anglais mit pied à terre & ayant salué le sieur de Champlain luy presenta courtoisement une lettre de la part des freres du General Quer, qui estoient à Tadoussac dont la teneur s'ensuit.

MONSIEUR, en suitte de ce que mon frere vous manda l'année passée, que tost ou tard il auroit Kebec, n'estant secouru, il nous a chargé de vous asseurer de son amitié, comme nous vous faisons de la nostre, & sçachant tres bien les necessité extremes de toutes choses ausquelles vous estes, que vous ayez à luy remettre le fort & l'habitation entre nos mains, vous asseurant toutes sortes de courtoise pour vous & pour les vostres, comme d'une composition honneste, & raisonnable, telle que vous sçauriez desirer, attendant vostre responce nous demeurerons, Monsieur, vos tres-affectionnez serviteurs, Louys & Thomas Quer. Du bord de Flibot ce 19 de Juillet 1629.

Avant l'ouverture de la lettre, le sieur de Champlain envoya prier le Pere Joseph de la Roche de luy servir d'interprete & respondre au gentil-homme arrivé qui entendoit la langue Latine & non point du tout le François, après quoy il fut resolu de faire la responce comme s'ensuit.

MESSlEURS, la vérité est, que les negligences ou contrarietez du mauvais temps, & les risques de la mer, ont empesché le secours que nous esperions en nos souffrances, & nous ont osté le pouvoir d'empescher vostre dessein, comme avions faict l'année passée, sans vous donner lieu de faire, reussir vos pretentions, qui ne seront s'il vous plaist maintenant qu'en effectuant les offres que vous nous faictes d'une composition, laquelle on vous fera sçavoir en peu de temps aprés nous y estre resolus, ce qu'attendant il vous plaira ne faire approcher vos vaisseaux à la portée du canon, n'y entreprendre de mettre pied à terre que tout ne soit resolu entre nous, qui sera pour demain. Ce qu'attendant je demeureray Messieurs vostre affectionné serviteur Champlain, ce dix-neufiesme de Juillet 1629.

Ce gentil-homme ayant ces responces fut interrogé, mais un peu tard, s'il y avoit guerre entre la France & l'Angleterre, à quoy il respondit que non, pourquoy donc dit le sieur de Champlain venez vous nous troubler icy, puisque nos Princes sont en paix. Puis le sieur de Champlain demanda au P. Joseph s'il agreroit d'aller treuver les Capitaines Anglois, pour sçavoir d'eux leur dernière resolution & ce qu'ils avoient envie de faire, ce qu'il accepta fort volontiers, & partit à mesme temps dans une chalouppe, après avoir receu ses ordres de qui il appartenoit.

Estant arrivé au bord des Anglois où il fut receu & traicté avec tout le bon accueil qui se pouvoit desirer, aprés les complimens rendus. Le Capitaine Louys Quer luy demanda qui l'amenoit & qu'elle estoit sa commission, à quoy le Pere respondit que le sieur de Champlain ayant veu la lettre du General son frère, l'avoit envoyé chargé d'un mot de responce qu'il leur presenta, & pour sçavoir d'eux quel desseins ils avoient contre les François qu'ils menaçoient, en un temps de paix entre les deux Roys. L'autre luy répliqua qu'il ne vouloit autre chose d'eux, sinon que le sieur de Champlain luy remist ce jour là mesme le fort, & l'habitation entre les mains, & en ce cas qu'il promettoit de repasser en France tous les François & de leur faire bon traictement, & que s'il ne le vouloit faire d'amitié, il sçavoit bien le moyen de l'y contraindre par force.

Le Père le pria de donner un plus long delay & de ne le précipiter point en une affaire si importante, d'autant que le sieur de Champlain ne pouvoit traicter avec luy sans en avoir premièrement communiqué avec les principaux des François, qui n'estoient pas pour lors dans la maison, & demandoit au moins 15 jour de delay pour les pouvoir advertir & ranger à Kebec, aprés quoy il luy donneroit contentement.

L'Anglois luy repartit: Monsieur je sçay fort bien en quel estat vous estes reduits, vos gens sont allez pour la pluspart dans les bois chercher des racines pour vivre. Nous avons pris Monsieur Boullé que nous gardons à Tadoussac avec de vos gens, qui nous ont asseuré de vostre extrême necessité, parquoy je ne veux pas tant attendre. Le Pere luy répliqua; Monsieur donnez nous au moins huictaine, non dit le Capitaine Thomas Vice-Admiral, je m'en vay presentment faire ruiner l'habitation à coups de canon, & son autre frere Monsieur, je veux aujourd'huy coucher dans le fort, autrement je feray le degast dans le païs. Le Pere leur dit doucement, Messieurs vous vons pourriez bien tromper si vous pensez vous haster de la sorte, d'autant qu'il y a dans ce fort là environ cent hommes tous bien resolus de vendre leur vie, & peut estre y trouverez vous la mort & des disgraces pour des victoires, c'est pourquoy advisez à ce qu'avez à faire, car je vous puis asseurer qu'ils ne manqueront pas de courage, & si-tost que je seray à terre vous en verrez l'expérience, pour ce que gens à qui on veut oster injustement & les biens & la vie, ont le courage & la force double, avec le sang eschauffé qui leur efface & leve toute crainte de la mort, & ne leur laisse aucune apprehension de quelque mal que ce soit, c'est pourquoy je vous dis derechef que leur attaque vous sera dangereuse.

Lors le Capitaine Louys dit au Pere, Monsieur, retirez vous s'il vous plaist jusques sur le tillac, affin que j'advise avec mon conseil à ce que j'ay affaire. Le Pere sortit de la chambre & les Anglois tindrent leur conseil de guerre, à la fin duquel ils l'appellerent & le prierent d'aller rapporter au sieur de Champlain, qu'ils ne pouvoient différer davantage que jusques à ce soir, & que s'il vouloit eviter au sang, qu'il fist luy mesme les Articles de capitulation, & luy envoyast dans trois heures, autrement qu'il ne manqueroit pas de faire les efforts. Pour vous autres Messieurs dit le Capitaine, je vous prie de vous retirer chez vous afin qu'il ne vous advienne aucun desplaisir, car s'il arrive que je l'emporte de force vous ne seriez pas exempts dans le fort du mal-heur commun, ce que vous pouvez eviter estant chez vous, où je vous asseure qu'il ne vous sera faict aucun desplaisir, & pour plus d'asseurance je vous offre un homme pour garder vostre logis, ou un mot d'escrit qui vous servira de sauvegarde.

Le Pere le remercia tres affectueusement, & luy dit que ce seroit faire tort à sa parolle de ne s'y fier pas, puis le Capitaine luy fist voir toutes les munitions & armemens de guerre qu'il avoit dans ses vaisseaux, & le pria de rechef que tous nos Religieux se retirassent dans nostre Convent.

Pour les RR PP. Jesuites qu'ils appelloient par derision Judaistes (nom qui leur doit tourner à gloire, car c'est une espece d'honneur d'estre mesprisé par les meschans) ils dirent qu'ils devoient bien remercier Dieu de ce qu'ils avoient eu le vent contraire ceste nuict là, d'autant qu'il avoit eu ordre de les aller saluer à coups de canon.

Le Pere luy dit, Monsieur il n'est ja besoin de canon pour les avoir, car les pauvres gens ne sont point fermez: Monsieur, luy respondit le Capitaine Louis, je sçay bien quels sont ces gens là, vous les appeliez pauvres, mais ils sont plus riches que vous & avez tort de prendre leur cause; j'espere de faire la visite chez eux & d'y trouver de fors bons castors & non chez vous. Voicy deux habitans de Kebec, parlant de Bailly autresfois Commis, & d'un nommé Pierre Raye Charron de son mestier, qui m'ont amplerment instruit de tout ce que je desirois sçavoir de Kebec puis se separant, le P. Joseph revint à terre rendre à Messieurs Champlain & du Pont de sa légation.

Le sieur de Champlain ayant esté acertené de la resolution des Anglois se retira au fort, où il dressa des articles de capitulation que je n'ay pas jugé necessaire d'inserer icy, ny celles que le sieur Quer luy accorda, sinon que quelqu'unes ont esté trouvées mauvaises & de dure digestion par les soldats & hyvernants, particulièrement celle où il est dit: pour les soldats & autres personnes; il leur sera donné chacun vingt escus, & n'emporteront aucune chose ny armes ny bagages, & neantmoins il y en avoit qui avoient pour plus de 7 à 800 francs de marchandises, particulierement ceux qui estoient revenus des Hurons, c'est ce qui les fachoit fort & firent prier le sieur de Champlain par un nommé le Grec truchement de ne point rendre la place & qu'ils estoient tous délibérez de se battre jusques à la mort, & de faire voir aux Anglois que s'ils estoient diminuez de graisse qu'ils ne l'estoient de force ny de courage par le moyen duquel ils esperoient les chasser & deffaire, car quelle apparence disoient ils d'abandonner ainsi laschement cette place sans coup ferir & laisser aux Anglois toutes nos marchandises & nos armes pour vingt escus, c'est ce que nous ne pouvons pas digerer.

Ils en vindrent mesme jusques aux reproches, disans au sieur de Champlain qu'il ne devoit pas craindre de mourir ou d'estre faict prisonnier, ny de perdre en resistant, les mille livres de recompence & tout son équipage que les Anglois luy promettoient en se rendant, puis qu'il y avoit moyen de resister pour quelque temps en attendant secours qui n'estoit pas peut estre loin.

Ces paroles comme de raison piquerent au vif le sieur de Champlain, qui dit au Grec qu'il estoit un mal advisé & ses compagnons malsages, car comment veux-tu (dit-il) que nous resistions, n'ayans ny vivres, ny munitions, ny aucune apparence de secours, estes vous lassés de vivre ou bien furibonds voulez vous que vostre temerité l'emporte ou que la sagesse aye quelque credit sur vostre esprit, vous croyez le dernier, obeissez donc à ceux, qui désirent vostre bien & ne font rien sans prudence.

Il est vray que l'on estoit tres-mal pourvueu de toutes choses necessaires à l'habitation, mais l'ennemy estoit bien foible aussi, car le Pere Joseph ayant bien consideré tout leur equipage, il n'estoient plus de plus de deux cens soldats & la pluspart mal autrus, coquins, & gens qui n'avoient jamais porté les armes qui se fussent fait tuer comme canars, ou eussent bien-tost pris la fuite, ainsi se le promettaient nos gens.

Le temps mesme se rendoit favorable à leur bonne volonté, car la marée baissoit, il faisoit un grand vent de Surouest, & les ancres chassoient toujours du costé de la France, tellement qu'il ne se trouvoit aucune asseurance ny pour les Navires ny pour les barques.

Nonobstant le sieur de Champlain trouva plus expedient de se rendre sans se battre que de se mettre dans le hazard de perdre la vie ou d'estre fait prisonnier en deffendant une meschante place: il envoya donc dire aux Anglois qu'ils se donnaient la patience jusques au lendemain matin qu'il les iroit trouver, à condition qu'ils ne feroient aucune descente de nuict.

De la prise de Kebec par les Anglois. Du retour de nos Freres, des RR. PP. Jesuites & de tous les hyvernans en France & de deux filles Canadiennes qu'on ne voulut embarquer.

Share on Twitter Share on Facebook