CHAPITRE III.

Entre la partie Occidentale du Canada. & nous, il y a un lieu en mer qui s'appelle le grand Ban, où nombre de Vaisseaux tant François que estrangers, vont faire la pesche de molues tous les ans, comme vers la terre ferme & Isles d'icelluy grand Ban, sont hautes montagnes assise en la profonde racine des abismes des eaux, lesquelles s'eslevent prés de la surface de la mer, jusques à 90, 60, 40 & 30 brassées d'eauë, peu plus ou moins, selon que la sonde se rencontre tombant sur lesdites montagnes ou à costé.

On le tient de forme ovale, long de plus de six-vingts lieuës, d'autres disent de 160 de large, passé lequel on ne trouve plus de fond non plus que par de-çà; bien qu'il ne soit esloigné de la plus prochaine terre, qui, est le Cap de Raze tenant à l'Isle de Terre neufve, que de 30 ou 40 lieuës au plus.

Avant que venir à ce grand Ban de 25 à 30 lieuës loin, il se voit de certains oyseaux par Troupes, qui s'appellent marmets, qui donnent une certaine cognoissance au Pilote, qu'il n'est pas loin de l'escore ou bord dudit Ban & qu'il est temps de tenir le plomb prest, pour sonder de fois à autre, jusqu'à ce que l'on parvienne à ceste escore où l'on trouve fond. Et pour une autre certaine marque que l'on est sur le lieu, est le nombre infiny d'oyseaux que l'on y voit, qui sont, comme fauquets, maupoules, huans, mauves & quelques autres qui n'en bougent presque, pour ce qu'ils y trouvent dequoy vivre & non en pleine mer.

Or je m'esmerveille, avec plusieurs autres, où ils peuvent faire leurs nids & esclore leurs petits, estans si esloignez de la terre, sinon qu'ils quittent la mer & se retirent à la mesme terre au temps qu'ils sont prests à faire leurs oeufs. Il y en a qui asseurent aprés Pline, que sept jours avant & sept jours aprés le Solstice d'Hyver la mer se tient calme, & pendant ce temps-là les Alcyons (ce sont oyseaux qui presagerent par leur prise la Couronne Royale de Jerusalem, appartenir à Godefroy Duc de Lorraine,) font leurs nids, leurs oeufs & esclosent leurs petits, & que la navigation en est beaucoup plus asseurée; mais d'autres ne l'asseurent neantmoins que de la mer de Sicile, c'est pourquoy je laisse la chose à décider à plus sage que moy: Seulement je dis que Jésus-Christ le Dieu de paix voulut naistre au monde au temps que tout estoit tranquille sur la terre, car le Temple de Janus estoit fermé à Rome, & la mer dans son calme.

Nous prismes à Gaspey un de ses fauquets avec une longue ligne à l'ain, de laquelle y avoit des entrailles de molues fraîches, qui est l'invention donc on se sert pour les prendre. Nous en prismes encor un autre de cette façon; un de ces fauquets grandement affamé, voltigeoit à l'entour de nostre Navire cherchant quelque proye: l'un de nos Mattelots advisé, luy presenta un harang qu'il tenoit en sa main, & l'oyseau affamé y descendit & le garçon habile le prit par la patte & fut pour nous: Nous le nourrismes un assez long-temps dans un seau couvert, où il ne se demenoit aucunement, mais il sçavoit fort bien pincer du bec quand on le vouloit toucher. Plusieurs appellent communement cet oyseau happefoye, à cause de leur avidité à recueillir & se gorger des testes & foyes des molues que l'on jette en mer aprés qu'on leur a ouvert le ventre, desquels ils sont si frians qu'ils se hazardent à tout, pour en attrapper. Ils ressemblent aucunement au pigeon, sinon qu'ils sont encore une fois plus gros, ont les pattes d'oyes & se repaissent de poisson, comme font plusieurs autres especes d'oyseaux qui suivent les vaisseaux pescheurs de moluës pour y trouver dequoy vivre.

Sur le grand Ban nous eumes le plaisir de la pesche d'une quantité de moluës & quelques gros flétans qui leur font une furieuse guerre. Ils sont de la forme d'un turbot ou barbue, mais dix fois plus grands, & qui ne leur cedent point en bonté, grillez par tranches ou bouillis dans un chaudron. Cela est admirable combien les moluës sont aspres à l'amorce, car elles avalent tout ce qui tombe dans la mer, bois, fer, pierres & toute autre chose que l'on retrouve par fois dans leur ventre quand elles ne l'ont pu rejetter. Cette avidité est la cause principale pourquoy on en prend si grande quantité tous les ans, car elles n'ont pas plustost apperçeu l'amorce qu'elles l'engloutissent; mais il faut estre soigneux de tirer promptement la ligne, autrement elles ont la proprieté de revomir lain en renversant leur entrailles & s'eschapent.

Je ne sçay d'où en peut proceder la cause, mais il fait un continuel temps pluvieux, humide & froid, sur ce grand Ban, aussi bien en plein Esté comme en autre saison, & hors de là on voit un temps tout autre. Ces mauvaise qualitez seroient fort ennuyeuse si elles n'estoient adoucies & compensées par la récreation & le divertissement de la pesche, qui vous donne d'un poisson frais ravissamment bon.

Une chose entr'autres, me donnait de la peine en mes indispositions, une grande envie de boire un peu d'eau douce & nous n'en avions point, car la nostre s'estoit corrompue & empuantie par la longueur du temps que nous estions en mer, & si je ne pouvois user de cidre, ny de vin, non plus que beaucoup d'autres rafraichissemens, sans me trouver mal du coeur qui m'estoit comme empoisonné & souvent bondissant contre les meilleures viandes, estre couché ou assis me donnoit quelque allegement lors que la mer n'estoit point trop haute, mais estant fort enflée nous estions bercez d'une merveilleuse façon. O que je trouvois les Matelots heureux d'avoir tousjours bon appetit, estre gays & joyeux, & ne sentir point ces bondissantes & empoisonnées douleurs du coeur.

Douze ou quinze lieues de chemin après avoir passé le grand Ban, nous rencontrames le Ban Avert, ainsi nommé (me dirent les Mariniers) pour ce qu'aux moluës qu'on y pesche, il s'y trouve des petits boyaux qui remuent comme vers que je voulu voir moy mesme, pour en pouvoir parler avec expérience; & remarquay de plus, que ces moluës ont ordinairement une peau noire en dedans, & ne sont si bonnes ny si excellentes que celles du grand Ban.

Ceux qui partent du Ban pour entrer au Golphe S. Laurens; prennent diversement leur route, les uns plus à droite, & les autres plus à gauche, selon qu'il plaist à un chacun, car en cela personne n'est contraint comme on pourroit estre à quelque petit destroit. Nous passames tout joignant le Cap Breton (estimé sous la hauteur de 45 à 46 degrés & demy, & esloigné de cent lieues du grand Ban) entre ledit Cap Breton, & l'Isle S. Paul laquelle est inhabitée, & en partie pleine de rocherons, bouleaux, sapinieres, & autres meschants menus bois, comme sont la pluspart des terres maigres & steriles qu'on appelle terre neufves, qui sont toutes les premieres qu'on trouve d'icy en Canada, & sont du Canada mesme.

Le Cap Breton que nous avions à main gauche, est une grande Isle en forme triangulaire d'environ 80 ou 100 lieues de circuit, terre haute eslevée qui me representoit l'Angleterre selon qu'elle se presente à mon object; pendant les quatre jours que pour cause des vents contraires nous lonjasmes contre la coste. Neantmoins on m'a asseuré qu'il y a en icelle nombre de montagnes soit hautes, & des précipices fort affreux, & que la terre est partout couverte de toutes sortes d'arbres propres à bastir, & de fort bons Ports pour les Navires, mais ce qui me sembloit fort advantageux pour la conservation du pays, & le Golfe S. Laurens, est un Tertre pozé à la pointe du Cap qui regarde l'Isle S. Paul. Il est de forme quarrée fort eslevé & plat par dessus, ayant la mer de trois costez, & un fossé naturel qui le separe de la terre ferme. Ce lieu semble avoir esté fait par industrie humaine pour y bastir une forteresse au dessus qui seroit imprenable, mais les choses ne se font qu'avec le temps, il faut penser aux choses plus necessaires les premières, y passer des familles pour cultiver, & des Religieux pour travailler à la conversion des Sauvages que l'on tient fort, sages dans leur barbarie, & fort honnestes & posez en leur conversation. Au reste accommodez en leurs vestemens & chevelure comme les Montagnais & autres Sauvages de la terre Neuve.

Estans entrez dans le Golfe ou grande baye S. Laurens, nous trouvames dés le lendemain matin ce tant renommé Rocher que Dieu a estably & pozé au milieu de ce Golfe, pour la retraite d'une infinie multitude d'oyseaux de diverses especes qui le couvrent, par tout en telle quantité qu'on ny sçauroit presque poser le pied, sans marcher sur lesdits oyseaux, sur leurs nids, ou sur leurs oeufs.

Cette volière ainsi establie par la divine providence, est esloignée dix-sept ou 18 lieues du Cap Breton, & sous la hauteur d'environ 47 degrez & trois quarts. Il est plat au dessus un peu en talus, coupé à lentour comme une muraille, de circuit environ une petite lieuë, en forme ovale & difficile à monter, nous avions proposé d'y aller querir des oyseaux s'il eut fait calme, mais la mer un peu trop agitée nous en empescha & priva de ce contentement.

Quand il y fait vent les oyseaux s'eslevent facilement de terre, autrement il y a de certaines especes qui ne peuvent presque voler, & qu'on peut aysement assommer à coups de bastons, comme avoient faits les Mattelots d'un autre Navire, qui avant nous en avoient emplis leur Chalouppe, & plusieurs tonneaux de leurs oeufs; mais ils y penserent tomber en foiblesse pour la puanteur extreme des ordures desdits oyseaux, me dit un honneste homme qui estoit en la compagnie.

Ces oyseaux comme il est croyable, ne vivent que de poisson, & bien qu'ils soient de diverses especes, les uns plus gros, les autres plus petits, ils ne sont pour l'ordinaire plusieurs trouppes, ains comme une armée espaisse volent ensemblement au dessus de l'Isle & és environs, & ne s'escartent que pour s'egayer, eslever & se plonger dans la mer. Il y avoit plaisir à les voir librement approcher & voler à l'entour de nostre vaisseau, & puis se plonger pour un long temps dans l'eau cherchant leur proye.

Leurs nids sont tellement arrangez dans l'Isle selon leurs especes, qu'il n'y a aucune confusion ains un tres bel ordre.

Les grands oyseaux sont arrangez plus proches de leurs semblables, & les moins gros ou d'autres especes avec ceux qui leur conviennent, & de tous en si grande quantité, qu'à peine le pourroit-on jamais persuader à qui ne l'auroit veu. J'en mangeay d'un que les Mattelots appellent Guillaume ou autrement Tangeux, & ceux du pays Apponath, de plumage blanc & noir, & gros presque comme un canard, avec une courte queuë & de petites aisles qui ne cedoit en bonté à aucun gibier que nous ayons par deçà. Ce sont de bons pescheurs pour les poissons, qui prennent & portent sur leurs Isles pour manger, il y en a d'une autre espece plus petits que les autres & sont appellez Godets, mais les plus grands nommez Margaux d'un plumage tres-blanc sont en un canton de l'isle separez des autres, & tres-difficilles à prendre pour ce qu'ils mordent comme chiens à ce qu'on m'a dit.

Proche de la mesme Isle, il y en a une autre plus petite & presque de la mesme forme sur laquelle quelqu'uns de nos Mattelots estoient montez en un autre voyage precedent, lesquels m'asseurerent y avoir trouvé sur le bord de la mer des poissons fort grands & gros comme un boeuf, & qu'ils en tuerent un de plusieurs coups de leurs armes par dessous le ventre & la gorge, ayans auparavant frappé en vain une infinité de coups sur les autres parties de son corps sans l'avoir pu blesser pour la dureté de sa peau, bien que d ailleurs il soit quasi sans desfence, & si massif & pesant que l'on peut sauter dessus, & le chevaler sans crainte: car il ne se peut plier, & si il advance fort peu à cause que ses pieds sont faits en nageoires & ne s'appuye que sur certains mognons qu'il a au milieu des jambes qui luy sont fort courtes, il jette aussi sa teste de costé & d'autre en marchant, qui fait que de sa dent il peut offencer ceux qui ne se tiennent pas assez derrière. On dit qu'il y en a une grande quantité en l'Isle de Sable qui est à quelque 60 lieuës dans la mer, & qu'il s'y trouve aussi force taureaux & des vaches que les Espagnols y deschargerent en un debris qui leur arriva passant par là, dont nos gens de Lacadie font à present leur profit.

Ce poisson est appellé par les Espagnols Maniti; & par d'autres Hippotame, c'est à dire, cheval de riviere, & pour moy je le prends pour l'Elephant de mer: car outre qu'il ressemble à une grosse peau enflée, il a encor deux pieds qui sont ronds, avec quatre ongles faicts comme c'eux d'un Elephant; à ses pieds il a aussi des aillerons ou nageoires, avec lesquelles il nage, & les nageoires qu'il a sur les espaules s'estendent par le milieu jusques à la queuë.

Il est de poil tel que le loup marin, sçavoir gris, brun, & un peu rougeastre, il a la teste petite comme celle d'un boeuf, mais plus descharnée, & le poil plus gros & rude, ayant deux rangs de dents de chacun costé, entre lesquelles y en a deux en chacune part, pendant de la mâchoire superieure en bas, de la forme de ceux d'un jeune Elephant, desquelles cet animal s'ayde pour grimper sur les rochers (à cause de ces dents, nos Mariniers l'appellent la beste à la grand dent.) Il a les yeux petits & les oreilles courtes, il est long de vingt pieds, & gros de dix, & est si lourd qu'il n'est possible de plus; La femelle rend ses petits comme la vache sur la terre, aussi a-elle deux mamelles pour les allaicter: en le mangeant il semble plustost chair que poisson, quand il est frais, vous diriez que ce seroit veau, & d'autant qu'il est des poissons cectases, & portant beaucoup de lard, nos Basques & autres Mariniers en tirent des huiles fort bonnes, comme de la Baleine, & ne rancit point, ny ne sent jamais le vieil; il a certaines pierres en la teste, desquelles on se sert contre les douleurs de la pierre, & contre le mal de costé. On le tue quand il paist de l'herbe à la rive des rivieres ou de la mer, on le prend aussi avec les rets quand il est petit mais pour la difficulté qu'il y a à l'avoir, & le peu de profit que cela apporte, outre les hazards & dangers où il se conviendroit mettre, cela faict qu'on ne se met pas beaucoup en peine d'en chasser. Nostre P. Joseph me dit avoir veu les dents de celuy qui fut pris, & qu'elles estoient fort grosses, & longues à proportion.

Le lendemain nous eusmes la veuë de la montagne que les Matelots ont surnommée Table de Roland, à cause de sa hauteur, & les diverses entre-coupures qui sont au sommet d'icelle. Puis peu à peu nous approchasmes des terres jusques à Gaspey, qui est estimé sous la hauteur de 48 degrés deux tiers de latitude, où nous posasmes l'anchre pour quelques jours. Cela nous fut une grande consolation: car outre la necessité que nous avions de nous approcher du feu, à cause des humiditez de la mer, l'air de la terre nous sembloit merveilleusement soüef: toute cette Baye estoit tellement pleine de Baleines, qu'à la fin elles nous estoient fort importunes, & empeschoient nostre repos par leur continuel tracas, & le bruit de leur esvents. Nos Mattelots y pescherent grande quantité de houmars, truites, macreaux, moluës, & autres diverses especes de poissons, entre lesquels y en avoit de fort laids, qui nous sont icy incognus.

Cette Baye de Gaspey peut avoir à son entrée trois à quatre lieues de largeur, qui fuit à Norrouest environ 4 ou 5 lieuës, où au bout il y a une riviere, qui va assez avant dans les terres, où je pensay aller dans une chalouppe avec quelques Mattelots, qui y furent quérir une barque qu'on y avoit cachée dés l'année précédente.

Toute cette contrée est fort montagneuse, haute & presque partout couverte de meschants bois, qui faict cognoistre la sterilité de la terre & qu'on n'en pourroit à peine tirer aucun profit, il y a seulement un petit jardin devant la rade, en lieu un peu eslevé, que les Mattelots cultivent quand ils sont là arrivez, & y sement de l'ozeille & autres petites herbes, qui leur servent à faire du potage, en faisant leur pesche & seicherie de moluës sur le gallay.

Ce qu'il y a de plus commode & consolatif, aprés la pesche & la chasse, qui y est médiocrement bonne, est un beau ruisseau d'eau douce, tres-bonne à boire, qui se descharge au port dans la grand mer de dessus les hautes montagnes qui sont à l'opposite, sur le sommet desquelles me promenant par fois, pour contempler de l'autre costé l'emboucheure du grand fleuve S. Laurens, par où nous devions passer pour Tadoussac, y vis quelques lapins & perdrix, comme celles que j'ay veuës du depuis dans le païs des Hurons: & comme je desirois m'employer toujours à quelque chose de pieux & qui me fournit d'un renouvellement de ferveur à la poursuitte de mon dessein, ne pouvans placer d'autres Croix, j'en gravois avec la pointe d'un couteau dans l'escorce des plus grands arbres, avec des noms des Jesus, pour marque que nous prenions possession de cette terre au nom de Jesus-Christ nostre Maistre, où le seul & vray Dieu seroit doresnavant adoré.

Nos gens ayans mis ordre à toutes leurs affaires & disposé un grand eschafaut pour la pesche de la moluë, qu'ils avoient hautement pris sur un particulier pescheur arrivé le premier, ils laisserent nostre Navire au port pour leur servir, & nous embarquames dans une pinace nommée la Magdeleine pour Tadoussac, mais le vent & la marée, nous furent tellement contraires, que nous fusmes trois jours à pouvoir doubler le Cap, & puis le temps se remit au beau, nous donna moyen de ranger tousjours la coste à main gauche, & ensuitte les monts nostre Dame, qui contiennent environ vingt cinq lieuës de longueur, pour lors encore en partie couverts de neige, bien qu'il n'y en eut plus par tout aillieur.

Or les Mattelots qui ne demandent ordinairement qu'à rire & se recréer, pour adoucir & charmer aucunement les travaux qu'ils souffrent en voyageant, font icy des ceremonies dignes de leur esprit à l'endroit des nouveaux venus, & lesquelles les Religieux n'ont encor pû abolir. Un d'entr'eux contrefaict le Prestre, qui feint de les confesser en marmotans quelque mots entre ses dents, puis les baptize à la mode en leur versant sur la teste une grande platée d'eau fresche, les presche, les exhorte & leur faist tant de mal que pour en estre bien tost quitte, ils sont contraintes de se rachepter de quelque bouteille de vin, ou d'eau de vie, à discretion. Que si on pense faire le retif on empire d'autant son marché, car cinq ou six Mattelots empoignent le galand, & le plongent la teste la première dans un grand bacquet plein d'eau, comme je vis faire à un grand garçon, qui ne vouloit obeir à la loy, laquelle porte, que comme le tout se faict selon leur coustume ancienne & par recreation, ils ne veulent pas qu'aucun se desdaigne de passer par icelle, ains gayement & de bonne volonté s'y sousmettre, j'entends les personnes seculiers & de médiocre condition ausquels seuls on faict observer la loy.

L'Isle d'Anticosty, où l'on tient qu'il y a des Ours blancs monstrueusement grands & qui devorent les hommes comme en Norvegue, est longue d'environ 35 ou 40 lieues, sous la hauteur de 50 degrez. Nous l'avions à main droite, qui est au Nordest de Gaspey, & en suitte des terres plattes couvertes de sapinieres & autres petits bois, jusques à la rade de Tadoussac.

Cette Isle avec le Gap de Gaspey opposite, font l'emboucheure de cet admirable fleuve, que nous appellons de sainct Laurens, admirable en ce qu'il est l'un des plus beaux fleuves du monde, ancien & non pas du nouveau où il y en a encores de plus grande estendue selon que nous en apprend l'histoire & les personnes qui ont grandement voyagé, en ce païs, qui nous ont esté de long-temps incognus. J'ay veu & parlé à des jeunes hommes dans les contrées Canadiennes, qui m'ont asseuré avoir voyagé aux Moluques & vers les Antipodes & n'y avoir veu aucune Riviere comparable à celle, du Canada, donc celles du nouveau monde sont les plus grandes du monde, & celle de sainct Laurens la plus grande du Canada.

Il a à son entrée à ce qu'on peut juger, prés de 25 à 30 lieuës de largeur, plus de deux cens brassées de profondeur, & plus de 800 lieuës de cognoissance, & au bout de 400 lieuës, elle est encore aussi large que les plus grands fleuves que nous ayons dans l'Europe, remplie (par endroits) d'Isles & de Rochers innumerables, & pour moy je peux asseurer que l'endroit le plus estroict que j'ay veu passe la largeur de 3 & 4 fois la riviere de Seine, & ne pense point me tromper; mais ce qui est plus admirable, quelqu'uns tiennent que cette riviere prend son origine, l'un des lacs, qui se rencontrent au fil de son courant, ce que je ne puis comprendre & n'y a point d'apparence.

Mais pour le Lac des Skekaneronons, il a ce me semble deux descharges opposites, une qui produit une grande riviere, qui se va rendre dans le grand Lac des Hurons, & l'autre beaucoup plus petite, qui prend son cours du costé de Kebec, & se perd dans un Lac qu'elle rencontre à 7 ou 8 lieuës de sa source. Ce fut par ce chemin là, que mes Sauvages me ramenerent des Hurons pour retrouver nostre grand fleuve des Algoumequins, qui conduit par les Sauts à Kebec.

Du port de Tadoussac & de la riviere du Saguenay. Village de Canadiens, Insolence des Sauvages dans nostre barque. De l'Isle aux allouettes. Marsoins blancs. Cap de tourmente, & du Saut appelle de Montmorency.

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