CHAPITRE IIII

Continuans nostre route, nous passames devant le Bic, c'est une montagne fort haute & pointue, qui paroist par dessus toutes les autres & qu'on descouvre en beau temps de plus de dix à quinze lieues loin. De là, nous allames poser l'anchre à la rade de Tadoussac, qui est à une lieuë du port, & près de 80, ou cent lieuës de l'emboucheure de la riviere, puis le lendemain matin à la faveur de la marée nous doublasmes la pointe aux vaches & entrasmes au port, qui est jusques où peuvent aller les grands vaisseaux, où on tient des barques & chalouppes exprès pour les descharger & porter le tout à Kebec, où il y a de là encor environ 40 ou 50 lieues par la riviere, car d'y penser aller par terre c'est ce qui ne se peut esperer, ou du moins semble il impossible; pour estre le pays tout remply de hautes montagnes, rochers & precipices espouventables.

Ce lieu de Tadoussac est, comme une ance de terre à l'entrée de la riviere du Saguenay, où il y a une marée fort estrange pour sa vitesse, où quelquefois il vient des vents impétueux, qui ameinent de grandes froidures: c'est pourquoy il y fait plus de froid qu'en plusieurs autres lieux plus esloignez du Soleil de quelque degré.

Ce port (sous la hauteur de 48 degrez deux tiers) est petit, & n'y pourroit qu'environ 20 ou 25 vaisseaux au plus, la grand riviere en cest endroit a de large environ 6 à 7 lieuës, il y a de l'eau assez, & est à l'abry de la riviere du Saguenay, & d'une petite Isle de rochers, qui est presque coupée de la mer; le reste sont montagnes hautes eslevées ou il y a peu de terre, mais force rochers & sables remplis de bois, comme sapins & bouleaux, puis une petite pairie & une forest assez aggreable, mais de petite estendue.

Tout joignant la petite Isle de rochers à main droite tirant à Kebec, est la tres-belle & profonde riviere du Saguenay, bordée des deux costez de hautes, steriles, & affreuses montagnes, parmy lesquelles habitent les Etechemins en assez petit nombre, pour avoir esté presque tous tuez en diverses guerres & rencontres, qu'ils ont euës avec les Canadiens devant lesquels il n'ozent plus paroistre à present, & se tiennent cachez.

Ceste Riviere est d'une profondeur incroyable, comme de 150 ou 200 brassées, & contient demie lieuë de large en des endroits, et un quart en son entrée, où il y a un courant si grand, qu'il est trois quarts de marée couru dedans la riviere qu'elle porte encore dehors: c'est ce qui faict grandement apprehender, ou que son courant ne rejette & empesche d'entrer au port, ou que la forte marée n'entraisne dans la Riviere, comme il est une fois, arrivé au sieur du Pontgravé, lequel y pensa perdre à ce qu'il nous dit, pource qu'il n'y pu prendre fonds ny ne sçavoit comment en sortir, car ses anchres ne luy purent servir, ny toutes les industries humaines, il n'y eut que la seule assistance particuliere de Dieu, qui le sauva & et empécha de se briser contre les montagnes & rochers.

Entre le port & la rade, au lieu appellé la pointe aux vaches, estoit dressé au haut d'une terre eslevée un village de Canadiens, fortifié de fortes pallissades pour la crainte de leurs ennemis qui tenoient la campagne. Pendant que nostre Navire estoit là, attendant le vent & la marée propre pour entrer au port, je descendis à terre, pour visiter ce village, & entray par tout dans les Cabanes des Sauvages lesquels je trouvay assez courtois pour n'avoir rien appris de nostre courtoisie, & m'asseant auprès d'eux je prenois plaisir à leurs petites façons de faire, & à voir travailler les femmes, les unes à matachier & peinturer leurs robes, & les autres à coudre leurs escuelles d'escorces, & faire plusieurs autres petites jolivetez avec des pointes de porcs espics, teintes en rouge cramoisy que je trouvois admirables.

A la verité je trouvay leur manger de fort mauvaise grace & desgoutant jusques au dernier point, comme n'estant accoustumé à ces mets Sauvages, quoy que leur courtoisie & civilité non sauvage m'en offrit, comme aussi d'un peu d'eau de riviere à boire, qui estoit là dans un chaudron fort mal net, dequoy je les remerciay fort humblement, car outre que je n'avois point de soif, il n'y avoit guere d'appetit à une eau si mal nette, bien que le Sauvage qui n'avoit autre chose à me presenter ne fut guere content de mon refus, non plus que moy de ne le pouvoir contenter. Je demande neantmoins pardon à nostre Seigneur de ne l'avoir pas satisfait, & confesse mon peu de mortification en une chose ou on pensoit m'obliger & tesmoigner de la benevolence.

Toutes mes visites faites, je m'en allay au port par le chemin de la forest avec quelques François que j'avois de compagnie, mais à peine y fumes nous arrivez, & entrez dans nostre barque, qu'il pensa nous y arriver une disgrace. Ce fut que le principal Capitaine des Sauvages nommé la Foriere estant venu nous voir dans nostre barque & peu content du petit present de figues que nostre Capitaine luy avoit fait, au sortir du vaisseau les jetta dans la riviere par despit, & advisa les Sauvages d'entrer, tous fil à fil dans nostre barque & d'en emporter toutes les marchandises qui leur faisoient besoin & de les payer à leur volonté, sans se soucier du mescontentement des François, puis qu'on ne l'avoit pas contenté.

Ils y entrerent donc tous avec tant d'insolence & de bravade, qu'ayans eux mesmes ouverts les coutils & tiré hors de dessous les tillacs ce qu'ils voulurent, ils n'en donnerent pour lors de pelleteries qu'à leur volonté, sans que personne leur osast contredire ny resister. Le mal pour nous fut, d'y en avoir laissé entrer trop à la fois, veu le peu de gens que nous restions, car nous n'y estions pour lors que six ou sept, le reste de l'équipage ayant esté envoyé ailleurs pour affaires, c'est ce qui fit filer doux à nos gens, & les laisser faire de peur d'estre assommez ou jettez dans la riviere comme ils en cherchoient l'occasion, si tant soit peu on les eut voulu mal traiter.

Le soir tout nostre équipage estant de retour, les Sauvages ayans crainte, ou marris du tort qu'ils avoient fait aux François, tindrent conseil & adviserent entr'eux, en quoy & de combien ils les pouvoient avoir trompez, & s'estans cottisez apporterent autant de pelleteries et plus, que ne valoit leur larrecin toute la fraude qu'ils avoient faite; ce que l'on receut avec promesse d'oublier tout le passé, & de contribuer tousjours dans l'amitié ancienne, & pour asseurance de paix on tira deux volées de canon, & puis on leur fit boire un peu de vin, ce qui les contenta fort, & nous encor plus car à dire vray, on craint plus de mescontenter les Sauvages; à cause des pelleteries) qu'ils n'ont d'offencer les François.

Le Capitaine Sauvage m'importuna fort pour avoir nostre Chapelet & la Croix qu'il appellent, Jesus, & me faisoit signe qu'il le porteroit à son col, mais n'en ayant point d'autre il me le fallut refuser à mon grand regret; car ce bon homme me tesmoignoit assez d'amitié, & semble quelque devotion à cette Croix, de laquelle je ne me pouvois deffaire qu'en me privant d'un objet qui me consoloit fort parmy mes autres Croix.

Pendant que nous fusmes là, on pescha grande quantité de harangs & des petits oursins que nous amassions sur le bord de la riviere & les mangions en guise d'huistres. Ce sont poissons ou petites huistres jaunes & rouge trés enfermées dans une escaille assez tendre; presque rouge & bleue ayant des pointes comme un gros marron enfermé dans sa coque verte.

Quelqu'uns croyent en nostre Europe que le harang frais meurs à l'instant qu'il sort de son element, mais ils se trompent, car j'en ay veu sauter vifs sur le tillac un assez long-temps & mouroient. Les loups marins se gorgeoient aussi parfois en nos filets des harangs que nous y prenions, sans les, en pouvoir empescher, & estoient si fins & rusez qu'ils sortoient leurs testes hors de l'eau pour se donner garde d'estre surpris, & voir de quel costé estoient les pescheurs, puis rentroient dans l'eau, & pendant la nuict nous oyons souvent leurs voix, qui se sembloient presque à celles des chats-huants, chose contraire à l'opinion de ceux qui ont dit & escrit, que les poissons n'avoient point de voix.

A une petite lieuë de là, sur le chemin de Kebec, est l'Isle aux allouettes, ainsi nommée pour le nombre infiny qui s'y en trouve tous les ans, environ le mois de Septembre, comme d'autres sortes de gibiers & coquillages. L'on me donna l'une de ses allouettes en vie laquelle avoit son petit capuce en teste comme celles d'icy, mais elle estoit un peu plus petite, & de plumage plus grisade & relevé, elles sont d'un mesme manger que les nostres, & ne different en rien au goust comme j'ay peu sçavoir par le grand nombre qui s'en est mangé là durant que j'y estois.

Cette Isle n'est presque couverte que de sable, qui fait que l'on en tue un grand nombre, car donnant à fleur de terre, le sable ee tue plus que fait la poudre de plomb, tesmoin celuy qui en tua trois cens & plus d'un seul coup d'arquebuse.

Proche de là est l'Isle aux lievres, ainsi nommée pour y en avoir esté pris au commencement qu'elle fut descouverte, mais à present ils y sont bien rares. Sur ce mesme chemin de Kebec, nous trouvames aussi en divers endroits plusieurs grandes trouppes de marsoins, blancs comme neige par tout le corps, lesquels proches les uns des autres, se jouoient, & se souslevans hors de l'eau, monstroient ensemblement une partie de leurs grands corps, qui me sembloient gros quatre fois comme les noirs, & à cause de cette pesanteur & que ce poisson n'est bon que pour en tirer de l'huile l'on ne s'amuse point à cette pescherie. Par tout ailleurs nous n'en avons point veu de blancs ny de si gros; car ceux de la mer sont noirs, & bons à manger, & beaucoup plus petits.

Il y a aussi en chemin des échos admirables qui repètent tellement les paroles, & si distinctement qu'ils n'en obmettent une seule syllabe, & diriez proprement que ce soient personnes qui contrefont ou repetent tout ce que vous dites & proferez.

Il nous est arrivé aucunefois que nostre pinace appellée la Realle, demeuroit à sec de basse mer, & falloit que nous attendissions la marée pour nous remettre sur pieds, qui estoit la cause que nous avancions si peu, & puis les Mattelots non plus que ceux qui gouvernoient se soucioient assez peu d'arriver si tost à Kebec où ils n'y trouvoient pas mieux leur compte que là.

Nous passames joignant l'Isle aux Coudres; laquelle peut contenir environ une lieuë & demie de long, où on tient qu'il y a quantité de lapins, perdrix & autre gibier en saison, elle est quelque peu eslevée par le milieu, de forme presque sur ovale & baisse tout autour, je la trouvois assez agreable à cause des bois dont elle est couverte, distante de la terre du Nord d'environ demie lieuë, qui est la largeur d'un des bras de la riviere.

De l'Isle aux Coudres, costoyans la terre, nous fusmes au Cap de Tourmente, distant de Kebec 7 ou 8 lieuës: Il est ainsi nommé d'autant que pour peu qu'il fasse de vent, la mer s'y esleve comme si elle estoit pleine. En ce lieu l'eau commence à estre douce, & les terres & prairies y sont assez bonnes & capables d'une bonne habitation pour du bestail, à faute de laquelle, de mon temps, les hyvernans de Kebec y alloient amasser le foin pour le bestail de l'habitation. A deux lieuës de là nous trouvasmes l'Isle Dorleans qui peut avoir environ cinq à six lieuës de longueur en plusieurs Isles qu'elle comprend, esloignée d'une bonne grande lieuë de Kebec.

Ces Isles sont belles & agréables pour la diversité des bois, prairies, vignes & noyers qu'il y a en quelques endroits, puis pour le plaisir de la chasse, & du gibier qu'il y a en abondance, de maniere que l'on peut dire à bon droit que c'est icy le commencement du beau & bon pays, de la grande riviere: car en tout le deça on ne trouve qu'un tres pauvre & miserable pays, sec, sterile, montagneux & plein de rochers à la reserve du Cap Breton.

Au bout de l'Isle du costé du Nord une lieuë & demie de Kebec, il y a un Saut ou cheute d'eau appellé de Montmorency, qui tombe avec grand bruit & impetuosité de 20 ou 25 brasses de haut dans le fleuve qui le reçoit d'une riviere venant des montagnes que l'on voit dans les terres, mais esloignée de plusieurs lieux. Comme c'estoit le premier que nous trouvames je l'admirois & regardois souvent pendans qu'un doux zephir enflant favorablement nos voiles nous portoit à Kebec, où nous arrivames la veille de S. Pierre S. Paul sur les cinq heures du soir en tres-bonne santé & assez bien mouillez d'une pluye qui nous tomboit du Ciel, dequoy nous louames Dieu & primes port au lieu accoustumé.

De Kebec. Demeure des Recollects. Du peu de progrés que les François y ont faicts pour le temporel & la cause qui a retardé la conversion des Sauvages.

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