CHAPITRE XVIII.

NOnobstant que les femmes voyent d'autres hommes que leurs maris, & les maris d'autres femmes que les leurs, si est ce qu'ils ayment tous grandement leurs enfans, gardans cette loy que la nature a entée és coeurs de tous les animaux d'en avoir le soin.

Or, ce qui faict qu'ils ayment leurs enfans plus qu'on ne faict par deçà, est à mon advis qu'ils sont le support des peres & meres en leur vieillesse, soit pour les ayder à vivre, ou bien pour les deffendre de leurs ennemis, & la nature conserve en eux son droict tout entier pour ce regard: à cause dequoy ce qu'ils souhaittent le plus est d'avoir nombre d'enfans, pour estre tant plus forts & asseurez de support au temps de maladie ou de vieillesse, & neantmoins entre les Hurons les femmes n'y sont pas si fecondes que par deçà: peut estre à cause de tant d'amis ou du climat, ou pour autre raison que je ne cognois point, non plus que celles qui donnent davantage d'enfans aux Françoises qu'aux Espagnoles & Italiennes.

La femme estant preste d'accoucher toute la cérémonie qu'il s'y apportent n'est pas grande, & les preparatifs encores moins curieux, car ils plantent simplement 4 ou 5 bastons en un coin de la cabane qu'ils entourent de peaux & couvertures, comme un habitacle dedans lequel ils couchent la malade à platte terre, ou, pour le plus sur quelque fourures ou rameaux de sapin, & là elle faict son fruict assistée de quelque vieille qui luy sert de sage femme il y en a qui accouchent d'elles mesmes & en peu de temps, & peu meurent de ce travail, qui semble leur estre moindre qu'aux femmes delicates de par deçà.

L'enfant estant nay, le premier office qu'il faict, est de sonner de la trompette en pleurant, pour dire qu'entrant au monde il entre à la guerre, comme en effect ce monde n'est qu'une guerre continuelle, un sejour de miseres & une vallée de larmes, où à peine avons nous gousté de la vie qu'il faut gouster de la mort.

Il y en a qui ont remarqué que si l'enfant est masle, il profere dés aussi-tost, A, & E, si c'est une femelle, comme si chacun en son sexe accusoit Adam & Eve, d'où nous tirons toutes nos miseres & calamitez, mais cela vient d'une autre cause que les Medecins sçavent & que je ne peux expliquer.

En quelque contrée dés l'instant de la naissance de l'enfant, on leur frotte tout le corps d'huyle & de peintures comme au Bresil, & parmy nos Canadiens mesme les meres leur peignent le visage de noir, aussi bien qu'en la mort de leurs parens, comme si entrant au monde il falloit desja penser au trespas, car le noir signifie deuil & tristesse.

Il y en a qui leur font avaller de la graisse fondue, ou de l'huyle, si tost qu'ils sont sortis du ventre de leur mere, je ne sçay à quel dessein ny pourquoy sinon que le diable (singe des oeuvres de Dieu) leur ait voulu donner cette invention pour contrefaire en quelque chose le S. Baptesme ou la confirmation.

Les Canadiennes leur tordent aussi les deux genouils en dedans, leur faisant tourner les deux talons en dehors, en sorte que en marchant ils jettent les orteils en dedans & les talons en dehors & ce afin qu'ils prennent leur ply, & qu'estans grands, ils puissent plus facillement & commodement porter leurs raquestes & se tenir avec plus de fermeté dans les canots quand il faut estre debout, & en effect nous trouvons par expérience qu'ils ont raison, & qu'ils les portent mieux que les François, qui jettent tousjours, la pointe du pied en dehors, & par, ainsi font que la queue de leurs raquettes allans en dedans, les entrelassent souvent & se laissent tomber, comme il m'a pensé quelquefois arriver au commencement que j'y estois moins stilé, où les Sauvages au contraire ont tousjours la queue de leurs raquettes en dehors, & hors de crainte de pouvoir marcher dessus & s'entretailler comme nous faisons, dont nos chevilles en pourroient souvent dire des nouvelles, chauffez de sandalles de bois, comme nous sommes & peu souvent de cuirs.

L'usage de porter des oreillettes est tellement ancien, qu'il est dit de Job qu'après son affliction, ses parens & amis se conjouissans de sa convalescence, luy firent present chacun d'une brebis & d'un pendant d'oreille de fin or.

Nos Sauvages les ont fort en usage, non d'or ny d'argent qu'ils ne cognoisent point, mais de quoy que ce soit, c'est pourquoy la femme dés qu'elle est accouchée, suivant la coustume du païs, perce les oreilles de son petit en un, deux, trois, quatre ou cinq endroits, avec une aleine ou un os de poisson non sans quelque compassion & apprehension de leur faire douleur, mais peur qu'attendant plus tard les maux leurs soient plus sensibles & insupportables, puis y met des tuyaux de plumes ou autre chose pour entretenir les trous, estans gueris ils y pendent des patinotres de pourceleines ou autres bagatelles pareillement à son col quelque petit qu'il soit.

Apres que toutes les petites ceremonies ont esté faictes à l'enfant nouveau né, on faict le festin aux amis où la tarte & le bon vin n'est point espargné icy, ny le petun & la sagamité là. Mais pour l'imposition des noms, ils les donnent par tradition, c'est à dire, qu'ils ont des noms en grande quantité, lesquels ils choisissenr & imposent à leurs enfans, aucuns desquels sont sans signification & les autres avec signification, qu'ils disent rarement à quiconque leur demande, car ils sont autant retenus à dire leur propre nom, comme libres de dire celuy des autres.

Je veux bien advertir aussi les nouveaux François qui vont entr'eux que s'ils ne sont soigneux de leur dire leur nom propre dés leur arrivée, que les Sauvages ne manqueront pas de leur en imposer de ceux qu'ils croiront leur mieux convenir.

A ce jeune garçon qui vint demeurer avec nous dans le païs des Hurons à cause qu'il estoit jeune, petit & frétillant, ils l'appellerent Aubaitsique, qui veut dire petit poisson. A un autre François un peu turbulant & léger de la main, ils luy donnèrent le nom Houaonton, qui signifie fascheux & querelleur. A moy ils m'avoient donné le nom de grand Chef de guerre, je ne sçay par quelle raison, (car je n'avois ny espée, ny mousquet,) sinon que je n'aprehendois aucun peril ny danger, ou pour la recommandation des Chefs de l'habitation, lesquels avoient de l'affection & du respect particulier pour moy qui estois le moindre de tous nos frètes.

Aprés que j'eu sçeu par le moyen du Truchement Bruslé & du sieur du Vernet la signification de ce nom nullement convenable à un pauvre frère Mineur, je leur dis qu'ils m appelassent par mon nom propre Gabriel, comme ils faisoient mes deux autres confrères, Joseph & Nicolas, ce qu'ils firent, sinon par les champs & parmy les autres nations qu'ils usoient du mot Garihouanne grand Capitaine.

On dit que les Roys du Peru, avoient accoustumé de prendre les noms des principaux animaux, des principales plantes ou des plus belles fleurs de leur pais, pour donner à entendre & s'instruire eux mesmes, que comme ces choses excelloient par dessus celles de leur espece, il falloit de mesme qu'ils parussent plus excellemment vertueux que tous les autres hommes du commun. Aussi ce nom que mes Hurons m'avoient imposé m'obligeoit à une plus exacte pratique de la vertu, non en paroles seulement, mais à la patience & à souffrir genereusement les choses qui contredisoient à mon esprit & desplaisoient à mes sens, car pour la guerre contre les hommes elle n'estoit pas de mon gibier.

J'ay cogneu un homme d'entr'eux qui se nommoit Onniannetani qui veut dire je suis empeché, un autre Tarby, arbre, je pensois au commencement avec plusieurs autres qu'il vouloit dire Tharé, le nom du père d'Abraham mais je me mesprenois avec eux. Aucuns portent le nom de quelque animal, autres des montagnes, & vallées, du vent, ou de quelque partie du corps humain, & un qui s'appelloit Joseph, mais je n'ay pû sçavoir qui luy avoit imposé ce nom là, & peut estre que parmy un si grand nombre de noms qu'ils ont en usage, il s'y en peut trouver quelqu'uns approchans des nostres, ou par rencontre ou à dessein.

L'on tient que nos Montagnais ont cela de particulier qu'ils imposent souvent deux noms à leurs enfans, & quelquefois trois comme celuy qui fut nommé Mahican, Atic, Ouche Loup, Cerf, Canot. Et un autre Mahican Atic, Loup, Cerf. Puis Choumin, Raisin, Aric Crapaut, Petitchiouan la mer monte. Amiscoueian, vieille robe de Castor, & plusieurs autres sortes de noms à la fantasie des parens, car aussi tost est donné le nom d'un oyseau, ou d'une beste, à l'enfant comme d'une autre chose materielle ou impropre.

J'ay quelquefois ruminé en moy-mesme d'où pouvoient procéder ou deriver les surnoms de nous autres Chrestiens, veu qu'ils ne sont point ordinairement en usage chez les Juifs, Payens & Infidelles, desquels nous sommes descendus, car en fin nous avons tous pris naissance, d'Eve & d'Adam, des Juifs, ou des Gentils, & asseurement des Enfans de Noël, & ay creu, que plusieurs ont esté imposez par le vulgaire, ou pour quelque action, ou pour quelque accident, & que d'autres s'en sont imposez d'eux mesmes prenans des noms de guerre, de ville, ou de seigneurie, ensevelissans par ce moyen le leur ancien, mais je croy, & il y a bien de l'apparence que nos surnoms sont pour la pluspart les noms propres de nos anciens parens avant qu'ils fussent faits Chrestiens, ausquels on imposoit un nouveau nom au sainct Baptesme, & le leur propre qu'ils avoient auparavant leur a servy de surnom, qui est venu jusques à nous de pere en fils, ainsi que nous pratiquons encores de present envers plusieurs de nos Canadiens convertis, ausquels nous avons laissé leur ancien nom Sauvage pour surnom.

Car que veulent dire la pluspart de nos surnoms, personne n'en sçauroit rien dire, non plus que des noms des Payens, & Sauvages dont nous ignorons les louanges, ou bien il faudroit, qu'eux-mesmes nous en donnassent l'explication, car ils en ont peu sans signification, & si on considere de prés on trouvera que jamais nos anciens qui ont imposé les premiers noms aux hommes, n'en ont donné aucun sans consideration, & qui n'aye signifié quelque chose, comme j'ay dit, laquelle signification n'est point venue jusques à nous.

Or le nom que nos Sauvages ont imposé à leurs enfans en la naissance leur reste tousjours, sinon que pour quelque occasion particuliere & remarquable on leur change, ou qu'on leur en adjouste encore un autre de vitupère ou d'honneur, comme j'ay dit en la resurrection des valeureux Capitaine morts entre les neutres, ou l'on fait revivre leur memoire.

Nous avons, appris du sieur Champlain qu'il y eut un Sauvage de sa cognoissance qui par consideration voulut changer son premier nom en celuy de Loup & Cerf, on lui en demanda la raison & pourquoy il avoit pris les noms de deux animaux si contraires, il respondit qu'en son païs il n'y avoit beste si cruelle que le loup & animal plus doux que le cerf, & qu'ainsi il seroit bon, doux & paisible envers un chacun n'estant point offencé, mais que s'il estoit outragé, il seroit furieux & vaillant, & ne pardonneroit à personne, non plus que le loup au cerf, quand il le tient arresté.

J'ay desja dit en quelque endroit de ce volume la force des femmes Sauvagesses, & comme elles accouchent sans grand travail, du moins qui paroisse, mais je repete derechef qu'elles sont admirables, car elles n'ont pas si tost mis un enfant au monde, qu'elles sont encores plustost sus pieds, vont au bois, vont à l'eau, & font tout le reste de leur petit mesnage comme si de rien n'avoit esté, de se geindre point de nouvelle, & de faire la delicate encore moins, on se rie plaisamment en France du caquet des accouchées, où toutes sortes de differens discours s'estalent & se devident, car l'une y parle de son mary, & l'autre de sa servante, du four, & du moulin, & du marché, de halles. O mon Dieu quel cliquetits, il n'y a que les plus spirituelles qui parlent un peu de Dieu mais encore sobrement, car la mode, & les collets, la juppe, & les souliers ont là leur empire.

Un certain François fit un jour divers interrogats à une jeune femme nouvellement relevée de ses couches, sur ce qu'elle n'avoit point parue enceinte ny grosse, guère plus qu'à son ordinaire, (c'est que j'ay admiré entre nos Huronnes) ne s'estoit point plainte, & n'avoit point gardé la chambre, comme font les femmes de France. A cela toutes se prirent à rire, disans que les Françoises estoient bien paresseuses, & avoient bien peu de courage, que pour avoir mis un enfant au monde elles voulussent tenir le lict, elles devroient tascher (dirent elles,) d'accoucher en Hyver afin de faire comme les ours, qui se tiennent quatre ou cinq mois enfermez, de peur du froid.

Et comme nostre Frere Gervais estoit un jour auprès du Sauvage Napagabiscou malade dans sa cabane, sortit d'auprés de luy la femme de ce bon homme pour aller faire ses couches à la cabane voisine, mais avec tant de prudence que personne ne s'apperçeut de son incommodité, non pas mesme son mary, que le lendemain matin que sa belle soeur luy apporta une petite fille que Dieu luy avoit donnée, dequoy ils furent tous estonnez car personne ne s'estoit apperceu de sa grossesse, ny le Frere Gervais, qui demanda à cette femme, mais un peu trop simplement si cette fille estoit d'elle, laquelle luy respondit en riant que ouy (car il n'y avoit que 4 ou 5 mois qu'elle estoit accouchée) & puis dit, & quoy les femmes de France en ont elle si souvent, non dit le Religieux que d'année en année, & au plus de neuf en dix mois, mais il leur arrive quelquefois d'en avoir deux d'une couche (pour moy j'ay esté une fois en un village, où une femme estoit accouchée de quatre garçons ayans tous vie). A cela elle fit un grand cry disant: Cbetê: (car c'est leur façon d'admirer) elles ressemblent donc aux femelles des eslans qui portent deux petits à la foys, jamais je n'ay veu aucune femme de nostre Nation avoir deux enfans d'une couche, je croy qu'elle avoit quelque raison, car la chose arrive fort rarement entr'eux, neantmoins pendant que j'estois aux Hurons une fille en accoucha de deux, dequoy elle restoit toute honteuse, non d'avoir perdu sa virginité qui ne leur est point honorable, mais d'avoir fait un jumeau.

Entre les Montagnais ils ont cette coustume que personne ne se sert des vaisselles, calumets, ou petunoir de la nouvelle accouchée pendant le temps de 15 jours, tenant tout cela comme immonde, lesquels ils ne veulent pas mesme toucher, & les bruslent après ce temps là, ce qui sent fort de son honnesteté.

Du choix qu il faut faire des nourrices. De la nourriture & emmaillottement des enfans, comme ils sont endurcis à la peine, & ne succedent point aux biens du Père.

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