CHAPITRE XVI.

NOs Sauvages, & generalement tous les peuples des Indes Occidentales sont de grands chanteurs, & ont de tous temps l'usage des dances; mais ils l'ont à quatre fins: pour agréer à leurs Demons, qu'ils pensent leur faire du bien, ou pour faire feste à quelqu'un de leurs amis ou alliez, pour se resjouyr de quelque signalée victoire, ou pour prevenir & guerir les maladies & infirmitez qui leur arrivent.

Lorsqu'il se doit faire quelques dances, nuds, ou couverts de leurs brayers, à la disposition du malade, du Médecin, ou des Capitaines du lieu; le cry s'en fait par toutes les rues de la ville ou village, à ce que tous les jeunes hommes, femmes & filles, s'y trouvent à l'heure & jour ordonné, matachiez & parez, de ce qu'ils ont de plus beau & précieux, pour faire honneur à la feste, & obtenir par ces cérémonies l'entière guerison, d'une telle personne malade, qu'ils nomment publiquement, à quoy obeïssent punctuellement toutes les jeunes gens mariez ou non mariez, & mesmes plusieurs vieillards, & femmes decrepites par devotion. Les villages circonvoisins ont le mesme advertissement, & s'y portent avec la mesme affection à la liberté d'un chacun, car on n'y contraint personne.

Cependant on dispose l'une des plus grandes cabanes du lieu, & là estans tous arrivez, ceux qui ny sont que pour spectateurs, comme sont les vieillards, les vieilles femmes, et les enfans, se tiennent assis sur les nattes contre les establies, & les autres au dessus, le long de la cabane, puis deux Capitaines estans debouts, chacun une tortue en la main (de celles qui servent à chanter & souffler les malades) chantent ainsi au milieu de la dance, une chanson, à laquelle ils accordent le son de leur tortue, puis estant finie ils font tous une grande acclamation disans, Hé, é, é, é, puis en recommencent une autre, ou repetent la mesme, jusques au nombre des reprises qui auront esté ordonnées, & n'y a que ces deux Capitaines qui chantent, & tout le reste dit seulement, Het, het, het, comme quelqu'un qui aspire avec véhémence, & puis tousjours à la fin de chaque chanson une haute & longue acclamation, disans Hé, é, é, é. Mais ce qui est louable en eux est qu'il ne leur arrive jamais de chanter aucune chanson vilaine, ou scandaleuse, comme l'on faict icy, aussi lors que quelque François chantoit, & qu'ils luy demandoient l'explication de sa chanson, s'il leur disoit qu'elle estoit d'amour, ou mondaine, ils n'en estoient pas contans, & disoient Danstan téhongniande, cela n'est pas bien, & ne le vouloient point escouter.

Toutes ces dances se font en rond, mais les danceurs ne se tiennent point par la main comme par deçà, ains ont tous les poings fermez, les filles les tiennent l'un sur l'autre, esloignez de leur estomach, & les hommes les tiennent aussi fermez; eslevez en l'air, & de toute autre façon, en la maniere d'un homme qui menace; avec mouvement, & du corps, & des pieds, levans l'un, & puis l'autre, desquels ils frappent contre terre à la cadence des chansons, & s'eslevans comme en demy-sauts, & les filles branslans tout le corps, & les pieds de mesme, se retournent au bout de quatre ou cinq petits pas, vers celuy ou celle qui le suit, pour luy faire la reverence d'un hochement de teste. Et ceux ou celles qui se demeinent le mieux, & sont plus à propos toutes ces petites chimagrées, sont estimez entr'eux les meilleurs, danceurs, c'est pourquoy ils ne s'y espargnent pas, non plus qu'en un festin ou quelque bon repas.

Ces dances durent ordinairement une, deux, ou trois aprés disnées, & pour n'y recevoir d'empeschement des habits, quoy que ce soit au plus fort de l'Hyver, ils n'y portent jamais autres vestemens ny couvertures que leurs brayers, sinon que, pour quelqu'autre sujet il soit ordonné de les mettre bas; n'oublians neantmoins jamais leurs colliers, oreillettes, & brasselets, & de se peinturer par fois; comme au cas pareil les hommes se parent de colliers, plumes, peintures, & autres fatras, dont j'en ay veu estre accommodez en mascarades ou Caresme-prenant; ayans une peau d'ours qui leur couvroit le corps, les oreilles dressées au haut de la teste, & la face couverte, excepté les yeux, & ceux cy ne servoient que de portiers, ou bouffons, & ne se mesloient à la dance que par intervalle à cause qu'ils estoient destinez à autre chose.

Je vis un jour un de ces boufons entrer processionnellement dans la cabane où se devoit faire la dance, avec tous ceux qui étaient de la feste, lequel portant sur ses espaules, un grand chien lié, & garotté par les jambes, & le museau, le prit par celles de derrière, & le rua tant de fois contre terre qu'il en mourut, estans mort il l'envoya apprester à la cabane voisine, pour le festin qui se devoit faire à l'issue de la dance.

Que cela ayt esté fait sans dessein ou pour un sacrifice, je n'en ay rien sçeu, car personne ne m'en pû donner l'explication.

Si la dance est ordonnée pour une malade, à la troisiesme ou dernière après disnée, s'il est trouvé expédient, ou ordonné par Loki, elle y est portée, & en l'une des reprises, ou tour de chanson, on la porte, en la seconde on la faict un peu marcher, & dancer, la soustenant par sous les bras, & à la troisiesme, si la force luy peut permettre, ils la font un peu dancer d'elle mesme, sans ayde de personne, luy criant cependant tousjours à pleine teste, Etsagon outsahonne, achieteque anaterseace; c'est à dire, prend courage femme, & tu seras demain guérie, & après les dances finies, ceux qui sont destinez pour le festin y vont, & les autres s'en retournent en leurs maisons.

Il se fit un jour une dance de tous les jeunes hommes, femmes, & filles toutes nues en la presence d'une malade, à laquelle il fallut (traict que je sçay comment excuser, ou passer sous silence) qu'un de ces jeunes hommes luy pissast dans la bouche, & qu'elle avallast cette eau, comme elle fit avec un grand courage, esperans en recevoir guerison: car elle mesme desira que le tout se fit de la sorte, pour accomplir & ne rien obmettre du songe qu'elle en avoit eu la nuit precedante: que si pendant leur reverie, il leur vient encore en la pensée qu'on leur fasse present d'un chien blanc, ou noir, ou d'un grand poisson pour festiner, ou bien de quelque chose à autre usage; à mesme temps le cry s'en faict par toute la ville, afin que si quelqu'un a une telle chose qu'on specifie, qu'il en fasse present à la malade, pour le recouvrement de sa santé: ils sont si secourables qu'ils ne manquent point de la trouver, bien que la chose soit de valeur ou d'importance entr'eux; aymans mieux souffrir & avoir disette des choses, que de manquer au besoin à un malade necessiteux, ou qui aye envie de quelque chose qui soit en leur puissance...

Pour exemple, le Pere Joseph avoit donné un chat à un grand Capitaine, comme un present tres rare, car ils n'ont point de ces animaux. Il arriva qu'une malade songea que si on luy avoit donné ce chat qu'elle seroit bien-tost guerie. Ce Capitaine en fut adverty, qui aussi tost luy envoya son chat bien qu'il l'aymast grandement, & sa fille encore plus, laquelle se voyant privée de cet animal, qu'elle aymoit passionnement, en tomba malade, & mourut de regret, ne pouvant vaincre & surmonter son affection; bien qu'elle ne voulut manquer, à l'ayde & secours qu'elle devoit à son prochain, ce qui nous est d'un grand exemple.

Pour recouvrer nostre dé à coudre, qui nous avoit esté desrobé par un jeune garçon, qui depuis le donna à une fille, je fus au lieu où se faisaient les dances, & ne manquay point de l'y remarquer, & ne ravoir d'une fille qui l'avoit pendu à sa ceinture, avec ses autres matachias, & en attendant l'issue de la dance, je me fis repeter par un Sauvage l'une des chansons qui s'y disoient, dont en voicy une partie.

Ongyata éuhaha, ho, ho, ho, ho, ho,

Eguyotonuhaton, on, on, on, on, on,

Eyontara éintet, onnet, onet, onet,

Eyontara éintet à, à, à, onnet, onnet, onnet, ho, ho, ho.

(Faut repeter chacune ligne deux fois.)

Ayant d'escrit ce petit eschantillon d'une chanson Huronne, j'ay creu qu'il ne seroit pas mal à propos de d'escrire encore icy partie d'une autre chanson, qui se disoit un jour en la cabane du grand Sagamo des Souriquois, à la louange du Diable, qui leur avoit indiqué de la chasse, ainsi que nous apprend l'escot qui s'en dist tesmoin auriculaire & commence ainsi.

Haloet, ho, ho, hé, hé, ha, ha, haloet, ho, ho, hé,

Ce qu'ils chantent par plusieurs fois: le chant est sur ces notes.

Re, fa, sol, sol, re, sol, sol, fa, fa, re, re, sol, sol, fa, fa.

Une chanson finie, ils font tous une grande exclamation, disans Hé, puis recommencent une autre chanson, disans.

Egrigna hau, egrigna hé, hé, hu, hu, ho,

ho, ho, Egrigna, hau, hau, hau.

Le chant de cette cy estoit. Fa, fa, fa, sol, sol, fa, fa, re, re, sol, sol, fa, fa, fa, re, fa, fa, sol, sol, fa.

Ayans faict l'exclamation accoustumée, ils en commencoient une autre qui chantoit.

Tameia Alléluia, tameia à dou veni, hau,

hau, hé, hé.

Le chant estoit: Sol, sol, sol, fa, fa, re, re, re, fa, fa, sol, fa, sol, fa, fa, re, re.

Les Brasiliens en leurs Sabats, font aussi de bon accords, comme:

Hé, hé, hé, hé, hé, hé, hê, hé, hé, hé.

Avec cette notte, Fa, fa, sol, fa, fa, sol, sol, sol, sol, sol.

Et cela faict s'escrioyent d'une façon, & hurlement espouventable, l'espace d'un quart d'heure, & sautoient en l'air avec violence, jusques à en escumer par la bouche, puis recommencerent la musique, disans:

Heu, heüraüre, heüra, heüraüre, heüra,

heüra, ouek.

La note est: Fa, mi, re, sol, sol, sol, fa, mi, re, mi, re, mi, ut, re.

Dans le païs de nos Hurons, il se faict aussi des assemblées de toutes les filles d'un bourg auprès d'une malade, tant à sa priere, suyvant la reverie qu'elle en aura euë, que par l'ordonnance de Loki, pour sa santé & guerison. Les filles ainsi assemblées, on leur demande à toutes, les une aprés les autres, celuy qu'elles veulent des jeunes hommes du bourg, pour dormir avec elles la nuict prochaine: elles en nomment chacune un, qui sont aussitost advertis par les maistres de la ceremonie, lesquels viennent tous au soir en la presence de la malade, dormir d'un bout à l'autre de la cabane, chacun avec celle qui l'a choisi, & passent ainsi toute la nuict, pendant que deux Capitaines aux deux bouts du logis, chantent & sonnent de leur tortue du soir au lendemain matin, que la ceremonie cesse. Dieu vueille abolir une si damnable & mal-heureuse ceremonie, avec toutes celles qui sont de mesme aloy, & que les François, qui les fomentent par leurs mauvais exemples, ouvrent les yeux de leur esprit, pour voir le compte tres-estroict qu'ils en rendront un jour devant Dieu.

De leur mariage & concubinage, & de la difference qu'ils y apportent.

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