CHAPITRE XVII.

NOus lisons, que Cesar, Prince accomply & doué d'une honnesteté & pudeur admirable, louoit grandement les Allemans d'avoir eu en leur ancienne vie sauvage telle continence, qu'ils reputoient chose tres-vilaine, à un jeune homme, d'avoir la compagnie, d'une femme ou fille avant l'aage de vingt ans, & Solon Salamain, commanda par ses loix aux Atheniens, que nulle ozast se marier qu'il n'eust aussi attaint l'aage de vingt ans, & le bon Lycurgus ordonna aux Lacedemoniens, de ne prendre femme qu'ils n'eussent accomplis les 25 ans, mais le Philosophe Protheus, prohiba aux Egyptiens, de ne contracter mariage, qu'ils n'eussent passé les trente, tellement que si quelqu'un s'avançast à prendre femme avant le temps ainsi limité, estoit decreté & commandé par la loy, de chastier publiquement le pere, & d'estimer les enfans non legitimes.

C'est sans difficulté qu'on peut approuver ces loix pour bonnes ou pour mauvaises, louables en une chose & dangereuses en l'autre, mais à les prendre comme on voudra, tousjours les infidèles & les Payens mesmes, se sont faicts admirer des Chrestiens, comme plus retenus & continens. Et quoy peur de scandale on est aujourd'huy contrainct de marier des enfans à des enfans, qui n'engendrent que d'autres enfans foibles & delicats, d'où il arrive tant d'employ pour les medecins, mais il vaut mieux le marier que le brusler, dit l'Apostre, & faire une chose licite qu'illicite, car d'y apporter un reglement, la coustume estant tournée en habitude, elle s'est rendue irrremediable, & comme passée en loy & d'en poser d'autres, si les Legislateurs les observoient eux mesmes, elles ne serviroient que pour chastier les petits & donner l'essor aux grands du monde, qui croyent que toutes choses leur sont permises, pour ce que les Loix sont semblables aux toiles des araignés, disoit Solon, entant qu'en icelles, il n'y a que les pauvres & debiles, qui y soient prins, mais les riches & puissans les rompent & destruisent.

La jeunesse entre nos Hurons, Quieunontateronons & autres peuples sedentaires, a un peu trop de liberté au vice, car les jeunes hommes ont licence de s'addonner au mal si tost qu'ils peuvent, & les filles de se prostituer si tost qu'elles en sont capables, neantmoins je peux dire avec verité, de n'y avoir jamais veu donner un seul baiser, ny veu faire un geste ou regard impudique, & pour cette raison, j'ose affermer qu'ils sont moins suject à ce vice que l'on n'est par deçà, dont on peut attribuer la cause non à la Loy; car avant nous ils n'en avoient encor receu aucune, mais à leur nudité principalement de la teste, partie au deffaut des espiceries & du vin, & partie à l'usage ordinaire qu'ils ont du petun, la fumée duquel estourdit les sens & monte au cerveau & puis pour le peu d'atraicts de ces objects, plus degoustans que ravissans, à quiconque a tant soit peu de retenue, & l'oeil aucunement chaste.

Les jeunes hommes, qui ne se veulent point marier, ny obliger à une femme, tiennent ordinairement des filles à pot & à feu, qui leur servent en la mesme manière que s'ils en estoient les marys, il n'y a que le seul nom de differance, car ils ne les appellent point Atenonha femme, ains Asqua, compagne ou concubine, & vivent ensemble autant long-temps qu'il leur plaist, sans perdre ny les uns ny les autres la mesme liberté qu'ils avoient de courir les cabanes, & sans ceste licence de chercher amis, je croy que beaucoup de filles resteroient vierges & sans marys, pour estre le nombre plus grand que celuy des hommes à mon advis, il en est presque de mesme en France, où les guerres consomment une infinité d'hommes, de la vîent que l'on y a basty plus de Monasteres de filles depuis trente ans ença, qu'il ne s'y en estoit estably mil ans auparavant, de quoy nostre Seigneur reçoit gloire, & ses espouzes le Paradis.

Quand un jeune homme veut avoir une fille en mariage, il faut qu'il la demande à ses pere & mere, sans le contentement desquels la fille n'est point à luy, bien que le plus souvent la fille ne prend point leur consentement ny advis, sinon les plus sages. Cest amant voulant faire l'amour à sa maistresse & acquerir ses bonnes graces, il se peinturera le visage & s'accommodera de ses plus beaux matachias, puis presentera à sa maistresse quelque colliers, brasselets, ou oreillettes de pourceleine, & si la fille a ce serviteur aggreable elle reçoit ces presens, cela faict, cest amoureux viendra coucher avec elle 3 ou 4 nuicts, & jusque là, il n'y a point encor de mariage parfaict, ny de promesse donnée, pour ce qu'après ce dormir il arrive assez souvent que l'amitié se refroidit, & que la fille qui a souffert ce passe droict n'affectionne pas pour cela ce serviteur, & faut après qu'il se retire sans plus parler de mariage, comme il arriva de nostre temps à un jeune homme de la bourgade de sainct Nicolas ou Touenchain, congédié par la seconde fille du grand Capitaine Auoindaon, dequoy le père mesme se plaignit à nous, bien qu'il ne la voulut contraindre de passer outre au mariage qu'il eut fort desiré.

Les parties estans d'accord & le consentement des pere & mere donné, on procede à la ceremonie du mariage, par un festin où tout les parens & amis des accordez sont invitez. Tout le monde estant assemblé & chacun en son rang assis sur son seant. Le pere de la fille ou le maistre de la ceremonie à ce deputé, dit hautement devant toute l'assemblée, comme tels & tels se marient ensemble & qu'à cette occasion a esté faicte cette assemblée & ce festin, à quoy tous respondent ho onnianne, voilà qui est bien.

Le tout estant approuvé & la chaudière nette chacun se retire, aprés avoir congratulé les nouveaux mariés d'un ho, ho, ho, puis si c'est en Hyver (à cause que pour lois les mesnages sont fournis de ce qui leur est necessaire) chaque femme est tenue de porter à la nouvelle mariée un faisceau de bois pour sa provision, d'autant qu'elle ne le pourroit pas faire seule, & aussi qu'il luy convient vaquer à d'autres choses pour son nouveau mesnage, qui est tousjours assez riche, puis qu'il est assorty du contentement & de la paix, qui en est la principale pièce.

Ceste courtoisie des femmes, ne se pratique pas envers toutes les nouvelles mariées, n'y en toutes les Provinces, mais j'ay appris qu'en quelque Province de nostre mesme Amerique la coustume estoit que les parens leur portaient chacun sa pièce de mesnage & de leur emmeublement qui est une chose fort commode, & que nous voyons pratiquer en quelque contrée de la Germanie.

Or il faut notter qu'ils gardent trois degrez de consanguinité, dans lesquels, ils n'ont point accoustumé de faire mariage; sçavoir est du fils avec sa mere, du pere avec sa fille, du frere avec sa soeur & du cousin avec sa cousine, comme je recognu appertement un jour, que je monstré une fille à un Huron & luy demanday si elle estoit sa femme ou sa concubine, lequel me respondit qu'elle n'estoit ny l'une ny l'autre, ouy bien sa cousine & qu'ils n'avoient pas accoustumé de coucher avec celles qui leur estoient si proches parentes, qui est une observation fort louable, en comparaison de certains Gentils du Peru avant leur conversion, lesquels se marioient indifferemment à qui que ce fust, soeurs, filles & mesmes à leurs meres. Mais hors cela toutes choses sont permises à nos Huronnes & à leurs voisines.

De douaire il ne s'en parle point, non plus que de trousseaux, ny de possessions & encore moins d'argent, aussi quand il arrive divorce, le mary, n'est tenu de rien, ny la femme de luy rendre compte, chacun prenant ce qui luy appartient, qui n'est pas souvent grand chose, un peu de fourrures, un peu de rassades, & quelque escuelles. Item Voyla tout, car les richesses principales qu'ils demandent en la personne qu'ils recherchent, sont celles de l'esprit & non de la terre, car mieux vaut un homme ou une fille sans argent, que de l'argent sans homme ou fille vertueuse, c'est le sentiment de tous les bons Chrestiens, qui s'accordent en cela avec tous les barbares.

Neantmoins si à succession de temps il prenoit envie à l'un de nos barbares, de repudier sa femme pour quelque suject que ce soit, comme il n'y a point eu de contract: passé par devant Notaires, aussi est-il facile de rompre leur mariage, & suffit au mary de dire aux parens de sa femme, & à elle mesme, qu'elle ne vaut rien & qu'elle se pourvoye ailleurs, ce qu'elle fait, du moins elle sort & vit en commun comme les autres, jusques à ce que quelqu'autre la recherche, & non seulement les hommes procurent ce divorce quand les femmes leur en ont donné quelque suject, mais aussi les femmes quittent quelquefois leurs marys quand ils ne leur agréent point, ou qu'elles en ayment un autre, tellement qu'il s'y en trouve qui ont eu quantité de marys, lesquels marys se remarient à d'autres femmes, & les femmes d'autre hommes, le tout, sans difficulté & sans jalousie, qu'un autre jouisse de leur couche. Il n'y a que pour les enfans lesquels ils partagent ordinairement par moitié, les filles à la mere & les garçons au pere, ainsi qu'ils jugent expedient, car ils ne suivent pas tousjours un mesme ordre entr'eux pour c'est égard.

Les Montagnais & Canadiens observent bien une partie des ceremonies des Hurons en leurs amourettes & mariages, mais encores ont ils quelques choses de particulieres & plus honestes, qui ne sont neantmoins propres qu'à des barbares, & gens qui ne fuyent pas le hazard de tomber au peché.

Quand un jeune Montagnais desire avoir une fille en mariage, il hante simplement sa cabane peinturé & enjolivé de diverses couleurs, & luy declare l'amour qu'il a pour elle, & elle au réciproque luy tesmoigne de l'affection, si elle a ses entretiens aggreables, sinon elle luy donne son congé. Estant le bien venu il luy fait quelque present, lequel elle reçoit pour arre de son affection, cela faict cet amoureux viendra coucher avec elle, lors qu'il luy plaira, non de nuict, mais en plain jour, enveloppez tous deux d'une couverture, sans se toucher, car il n'est pas permis de faire rien d'indecent, mais seulement s'entretenir & discourir de leur amour en la presence de tout le monde & non point en cachette.

Le jeune homme aggreant à la fille & la fille au garçon, il en parle à ses pere & mere & à leur deffaut à ses plus proches parens, & ses parens à ceux de la fille, qui considèrent avant de rien conclure, le personnage & son humeur, s'il n'est point paresseux, querelleur, mauvais chasseur ou addonné aux femmes, car encor que ce dernier vice ne soit point en mespris chez eux, si ne font ils point estat de ceux qui s'y addonnent.

Or de mesme que l'on s'informe des garçons & de leur deffauts, la mesme enqueste se faict pour les filles & de leurs imperfections, l'on voit s'y elle est point une coureuse, une cajoleuse ou une desbauchée addonnée aux hommes, car de telles filles ils n'en font estat non plus que des chiennes, (ainsi les appellent ils). L'on demande aussi si elle est point une paresseuse, querelleuse, menteuse ou acariastre, car pour rien ils n'en voudroient, si elle travaille bien proprement aux petits ouvrages qu'elle a à faire, comme escuelles d'escorces raquettes à courir sur les neiges & vestements, ayans tous deux les conditions requises, les peres & meres prennent jour pour les marier, & en attendant le temps expiré, les parens de la fille avec la fille mesme, travaillent aux robes pour les futurs espoux & à disposer tout son emmeublement, qui n'arrive pas jusques dans l'excès, car je vous asseure que quand elles ont une couverture, une chaudiere & quelques escuelles d'escorces les voyla prou contantes & riches.

Pour le garçon il est aussi reciproquement assisté de ses parens, car son pere luy fournit d'un canot d'escorce avec les avirons, de quelques rets & filets pour la pesche, d'une hache, d'une espée, d'un arc & fleches, mais ce qui est excellent & qui tesmoigne en effect une douce & amiable societé en ceux qui n'ont jamais eu de pédagogue que la simple nature est; qu'un chacun des parens & amys des futurs espoux vont à la pesche ou à la chasse selon la saison, pour faire le festin des nopces où au jour assigné, tous les parens s'estans assemblez & l'espousée parée d'une belle robe neuve bien matachiée & le visage huylé & peint de diverses couleurs, elle en faict autant à son futur mary, qui s'en tient d'autant plus beau qu'il est mieux coloré & barré d'huiles & de peintures.

Toute la cérémonie se paracheve au festin, où chacun tasche de se consoler, après lequel, le gendre demeure de famille avec sa femme au logis de son beau père ou de sa belle mere, & ne s'en retire que pour quelque différent ou mesintelligence. Ils ne prennent aussi ordinairement que chacun une femme, bien qu'il s'y en est rencontré qui en avoit jusques à 3 ou 4 mais fort rarement, sinon un qui en avoit jusques à 7 en divers endroits, ce qui ne se voit jamais parmy nos Hurons, qui ont avec leur femme toute liberté de courir aux autres (mais sans violence aucune,) ce que n'ont pas nos Montagnais, qui mesprisent d'ailleurs ces hommes, chargez de plusieurs femmes, comme ennemis de l'honnesteté. Mais comme il est impossible qu'il n'y arrive quelquefois des disgraces dans un mesnage, nos Montagnais pour paisibles qu'ils soient, chassent aucunefois leur femmes au loin, mais par le moyen de leurs amis, ils sont facilement reconciliez & si remettent ensemble, ce qui ne se faict pas si aysement entre nos Hurons, où un chacun a bien tost trouvé party quand l'un des deux abandonne l'autre.

De la naissance & de quelque ceremonies que les Sauvagesses pratiquent à l'endroit des enfans nouveaux nais. De l'amour que les peres ont pour eux & de l'imposition des noms & surnoms.

Share on Twitter Share on Facebook