CHAPITRE XXVIII.

LEs tourments dont nos Sauvages usent à l'endroit de ceux qui leur sont ennemis, sont si furieusement cruels, qu'ils tesmoignent en effet combien est absolu le pouvoir que le Diable a acquis sur leur malheureux esprit, car ils sont au delà de toute pensée humaine, & si estrangement horribles, qu'il ne se peut imaginer rien de plus douloureux, ny de plus constamment souffert.

Bienheureux celuy qui endure pour le Ciel, & non pour la terre, & malheureux est celuy qui patit sans profit, car l'un est martyr du Diable, & l'autre de Jesus-Christ. Nos Hurons ayans pris quelqu'un de leurs ennemis, aprés l'avoir lié & garotté, luy font une harangue des cruautez, rigueurs, & mauvais traitemens que luy, & les siens, ont exercé à leur endroit, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en endurer autant, & plus s'il se pouvoit, & luy commandent de chanter tout le long du chemin, ce qu'il fait (s'il a du courage assez) mais souvent avec un chant fort triste & lugubre.

Estant arrivé au village, il est receu universellement de tous, & particulièrement des femmes, avec de grands cris & acclamations, battans doucement des doigts le bout de leurs levres, de joye qu'elle ont de voir leurs ennemis prisonniers, ausquels elles font continuellement festin, non seulement pour les engraisser pour la chaudiere, mais pour les rendre plus sensibles aux tourmens.

Ils n'en font pas de mesme aux femmes, & petits enfans, lesquels ils font rarement mourir, & passer par les rigueurs de la Loy, d'autant qu'ils les conservent ordinairement pour leur servir, ou pour en faire des presens à ceux qui en auroient perdu des leurs en guerre, & font estat de ces subrogez, comme s'ils estoient leurs propres enfans, lesquels estans parvenus en aage, vont aussi librement en guerre contre leurs parens, que s'ils estoient naiz ennemis de leur propre patrie, qui est un tesmoignage evident du peu d'amour que les enfans Sauvages ont pour ceux qui leur ont donné l'estre, puis que si tost ils en oublient les bien-faits passez par les presens, comme j'en ay veu l'expérience en plusieurs, ou bien telle est leur coustume passée en loix en toutes ces Nations.

J'ay leu de certains peuples qui conservent leurs jeunes prisonniers de tout sexe, pour les servir, puis les mangent quand la fantasie leur en prends, aprés de longs services; qui est une cruauté bien esloignée de la douceur & humanité de Plutarque, lequel comme il disoit de luy-mesme, n'eust pas voulu tuer le boeuf qui luy eust long temps servy, & encore moins un esclave fait à l'image de Dieu, car celuy qui est cruel aux bestes, l'est ordinairement aux hommes.

Quand nos Hurons ne peuvent emmener toutes les femmes, et filles, avec les enfans qu'il ont pris sur leurs ennemis, il les tuent sur les lieux, & en emportent les testes, ou les peaux, avec la chevelure. Il s'en est veu, mais peu souvent, qu'ayans amené de ces femmes, & filles dans leur pays, le desir de vengeance leur en a faict passer quelqu'unes par les mesmes tourments des hommes, sans que les larmes de ce pauvre sexe, qu'elles ont pour toute deffence, les aye pû esmouvoir à compassion, & exempter pour un peu d'un si furieux orage, plus miserables & malheureuses en cela, que certains Hollandois, lesquels ayans esté pris en qualité d'ennemis, par ceux de la Nation des Loups, & appliquez au feu, verserent tant de larmes sur les braisiers ardans, qu'elles esteignirent avec le feu, la cholere de leurs meurtriers, qui les renvoyerent comme femmes du costé de la Virginie, où ils avoient esté pris.

Les Canadiennes, & Montagnaise reçoivent leurs soldats revenans de la guerre d'une maniere fort differente à celle de nos Huronnes, car à mesme temps qu'elles ont apperçeu les canots ou ouy la voix des hommes, toutes les jeunes femmes, & filles s'encourent sur le bord de la riviere, & là elles attendent de pied coy (leurs ceintures ostées, & leur robes détachées, qu'elles tiennent seulement en estat pour cacher leur nudité) que les canots soient environ à cent, pas d'elles, puis à mesme temps, quitans leurs robes, se jettent toutes dans l'eau, & vont à la nage (car elles sçavent nager comme poissons) empoigner les canots, où sont les prisonniers ou les chevelures de ceux qu'ils ont faict mourir, qu'elles, tirent à bord, puis se saisissent de tout le butin est dedans, comme leur appartenant par droit d'antiquité, comme aux hommes victorieux la gloire du triomphe qui leur est rendu, non pas admirable & ravissant, tels qu'à ces anciens Romains, riches & puissans, mais à la portée de pauvres Sauvages, à qui peu d'honneur sert de beaucoup pour animer leur courage.

Or comme ces Amazones sont prestes de se saisit des canots, & qu'il ny a plus qu'à mettre la main dessus pour les conduire à terre, les hommes les abandonnent, & se jettent tout nuds dans l'eau avec leurs armes en main, & nagent, jusques au bord de la riviere, où ils sont receus du reste du peuple avec une joye & acclamation universelle de tous, leur disans qu'ils sont bien vaillans & courageux d'avoir eu le dessus de leurs ennemis, & amené plusieurs prisonniers, tous lesquels de ce pas, sont conduicts dans la cabane de leur Capitaine, où sa femme & ses amis preparent un magnifique festin de tout ce qu'ils ont de meilleur, qu'ils leur donnent avec autant de gayeté, que s'ils avoient conquis un Empire, ou obtenu la paix pour leur païs.

Il faut que je die ce petit mot, qu'à la vérité, nul ne se peut dire heureux que celuy qui vit contant, ils ont peu & peu de choses les contente, ils sont comme les petits enfans, qui croyent estre beaucoup quand ils ont une plume sur leur bonnet, ou comme les hypocondres qui s'imaginent d'estres Roys, Empereurs ou Papes, & ne commandent qu'à des mousches.

Lorsque les soldats Montagnais se jettent en l'eau, & cedent leurs canots & tout ce qui est dedans aux jeunes femmes & filles, qui leur vont à la rencontre, il ne sont pas si simples que d'y laisser tout leur meilleur butin, mais auparavant que de se faire voir, ils en cachent la pluspart dans les bois, qu'ils vont requérir quelque temps aprés, & ne laissent dans leurs canots que ce qu'ils veulent perdre, & par ainsi les femmes n'ont pas souvent grand chose, & quelquefois rien du tout, car les armes sont journalieres, s'ils ont quelquefois des victoires ils ont aussi souvent des pertes, comme le cancre, qui est pris pensant prendre.

Ils attachent leurs prisonniers à la barre de leur canot avec une corde, qui leur prent par les deux bras au dessus du coude allant par derriere le dos, & une autre entre le genouil & le molet des deux jambes, qu'ils attachent ensemble si estroictement, qu'ils ne peuvent marcher que fort doucement & avec grand peine. Ils uzent quelquefois d'une, autre espece de ligature, bien plus cruelle & inhumaine, envers ceux qu'ils croyent avoir tué plusieurs de leurs parens & amis, car ils leur percent le gras des jambes & des bras avec un cousteau, puis passans une corde au travers des playes, les lient de sorte qu'ils ne peuvent grouiller sans sentir de furieuses douleurs.

Nos Hurons qui prirent quantité de leurs ennemis, pendant que j'estois demeurant dans leurs païs, n'userent pas de cette cruauté, car ils se contenterent simplement de les bien garotter, & engarder de pouvoir prendre la fuitte, & aprés ils les accommoderent en petits damnez.

Les femmes & filles ne vont point au devant avec la mesme ceremonie des Montagnais, & se contentent de leur faire la bien venue dans le village, & de les ayder à brusler, si elles se rencontrent à la cabane où se faict le supplice, car il y en a d'un naturel si tendre, qu'elles ne peuvent voir sans horreur, deschirer les membres d'un miserable. Lorsque les hommes reviennent de la guerre, ils ont accoustumé de chanter d'un ton fort haut, approchant de leur bourg ou village, comme j'ay veu pratiquer à la ville de S. Gabriel, nommée par les Hurons, Quieuindohian, au retour de quelqu'uns des leurs, il y en a aussi d'autres qui ne disent mot, ny de prés ny de loin, entrent & s assoyent dans les cabanes sans saluer personne, sinon qu'ils disent tout bas leur desconvenue à leur plus familiers amis, comme firent ceux que je vis arriver au village de S. Nicolas, autrement nommé Toenchain, ou j'estois pour lors avec Onraon, Malouin de nation.

J'en ay veu d'autres jetter de haut cris en approchans, denotans par ces voix lugubres, la perte de quelqu'uns de leurs compagnons; aussi ne leur faisoit on pas grand accueil, & demandant la raison de ces façons de faire à quelques Sauvagesses, elles me respondirent Danstan teongyande, il n'y a rien de bon, les affaires ne vont pas bien pour nous.

Il est, quelquefois arrivé qu'aucuns de nos Hurons estans poursuivis de prés, se sont neantmoins eschappez, car pour amuzer ceux qui les poursuivent & se donner du temps pour evader & gagner le devant, ils tirent leurs colliers du col, & les jettent au loin arrière d'eux, afin que si l'avarice commande à ses poursuivans de les aller ramasser, ils pensent tousjours les devancer & se mettre en lieu de seureté, ce qui a reussi à plusieurs. J'ay ruminé & creu, que c'est là la principale raison pour laquelle ils portent tous leurs plus beaux colliers en guerre afin de servir d'amorce à leurs ennemis, car de rançon ou de tribut il ne s'en parle point, non plus que d'eschanger un prisonnier pour un autre.

Lors qu'ils joignent un ennemy & qu'ils n'ont qu'à mettre la main dessus, comme nous disons entre nous, rends toy, eux disent Sakien, c'est à dire, assied toy, ce qu'il faict, s'il n'ayme mieux se faire assommer sur la place, on se deffendre jusques à la mort, ce qu'ils ne font pas souvent en ces extremitez, sous esperance de se sauver & déchaper avec le temps, par quelque ruze desquelles il ne manque pas.

Or comme il y a de l'ambition à qui aura des prisonniers, cette mesme ambition ou l'envie de la gloire de son compagnon; est aussi cause que ces prisonniers y trouvent quelquefois leur liberté & souvent leur compte, comme je vous feray voir en l'exemple suivante.

Il arriva un jour, que deux ou trois Hurons, se voulans chacun attribuer un prisonnier Hiroquois & ne s'en pouvans accorder ils en firent juge leur mesme prisonnier, lequel bien advisé se servit de l'occasion & dit. Un tel m'a pris & suis son prisonnier, ce qu'il disoit contre son propre sentiment & expres, pour donner mescontentement à celuy de qui il estoit vray prisonnier: & de faict indigné qu'un autre eut injustement l'honneur qui luy estoit deu, parla en secret la nuict suivante au prisonnier, & luy dit: tu t'es donné & adjugé à un autre qu'à moy qui t'avois pris, je pourrois bien presentement te faire mourir & me vanger de ton mensonge, mais je ne le feray point pour eviter noyse, & te donneray liberté, plustost qu'il aye l'honneur qui m'est deu & ainsi le desliant le fist evader & fuyr secrettement la nuict.

Les prisonniers estans arrivez dans leur ville ou village, on leur continue bien les festins & bonne chere, mais je vous asseure qu'ils en voudroient bien estre exempts & estre bien esloigné de ces caresses, car les tourments qu'ils sçavent qu'on leur prepare, leur donnent bien d'autres pensées que celle de la bonne chere, & si la sagamité est bien ou mal assaisonnée. Ouy les supplices sont si cruels & inhumains, qu'il faut que le diable (car Dieu n'est point avec eux) les assiste pour les pouvoir supporter courageusement comme il font, car il n'y a pas jusques aux femmes & filles aussi cruelles & inhumaines que les hommes, qui inventent de nouvelles façons de les tourmenter, & faire languir pour plus endurer.

Premierement ils leur arrachent les ongles avec les dents, leur couppent les trois principaux doigts de la main, qui servent à tirer de l'arc, puis leur levent toute la peau de la teste avec la chevelure, & mettent sur la teste des cendres ardentes, ou y font degoutter de la gomme fondue, pendant que d'autres disposent des flambeaux d'escorces, avec quoy ils les bruslent tantost sur une partie, puis sur l'autre, & à aucuns ils font manger le coeur de leur parens & amis, qu'ils tiennent prisonniers, tant leur barbarie est incapable d'assouvissement.

Il les font ordinairement marcher, nuds comme la main, au travers un grand nombre de feux, qu'ils font d'un bout à l'autre de la cabane ordonnée, où tout le monde qui y borde les deux costez, ayans en main chacun un tizon allumé, luy en donnent par tout les endroits du corps en passant, puis l'ayant lié à un poteau, luy marquent jartieres autour des jambes avec des haches chaudes, desquelles ils luy frottent aussi les cuisses du haut en bas, & ainsi peu à peu bruslent ce pauvre miserable: & pour luy augmenter ses tres-cuisantes douleurs, luy jettent parfois de l'eau sur le dos, & luy mettent du feu sur les extremitez des doigts, & de sa partie naturelle, puis leur percent les bras prés des poignets & avec des bastons en tirent les nerfs & les arrachent à force, & ne les pouvans avoir les couppent, ce qu'ils endurent avec une confiance incroyable, chantans cependant avec un chant neantmoins fort triste, mille menaces & imprecations contre ces bourreaux & contre toute la nation, disant: il ne me chaut de tous vos tourmens ny de la mort mesme, laquelle je n'ay jamais appréhendée pour aucun hazard, poussez, faictes ce que vous voudrez, je ne mourray point en vilain ny en homme couard, car j'ay tousjours esté vaillant à la guerre, & rien ne m'a pas encore espouvantez.

Et bien vous me tuerez, vous me bruslerez, mais aussi en ay-je tué plusieurs des vostres, si vous me mangez j'en ay mangé plusieurs de vostre nation: & puis j'ay des freres, j'ay des oncles, des cousins & des parens, qui sçauront bien venger ma mort, & vous faire encore plus souffrir de tourmens que vous n'en sçauriez inventer contre moy; neantmoins avec tout ce grand courage, encores y en a il qui se trouvent souvent contraints de jetter de haut cris, que la force des douleurs arrachent du profond de leur estomach, mais tels hommes impatiens, estoient reputez ignominieux & infâmes entre les peuples du Peru avant leur conversion & y prenaient de si prés garde, que si pour aucun tourment, langueurs & supplices, le miserable deffunct avoit tesmoigné le moindre sentiment de douleur, ou en son visage, ou és autres parties de son corps, ou mesme, qu'il luy fut eschapé quelque gemissement ou quelque souspir, alors ils brisoient ses os aprés en avoir mangé la chair, & les jettoient à la voirie ou dans la riviere avec un mespris extreme.

Au contraire s'il s'estoit monstré patient, resolu, constant & mesme farouche dans les tourmens; en tel cas comme ils en avoient mangé la chair & les entrailles, ils seichoient les nerfs & les os au Soleil, puis les ayans mis sur le sommet des montagnes, ils les tenoient pour des Dieux, les adoroient & leur faisoient des sacrifices. Voyla comme entre les peuples les plus brutaux mesme, la patience dans les tourmens, & la confiance parmy les difficultez a tousjours esté en estime, jusques à estre adorée pour un Dieu, & au contraire de l'impatience & des impatiens, desquels les os estoient jettez à la voirie ou dans la riviere, comme indignes d'estre meslez, parmy ceux des gens de bien.

Revenons à nos Hurons.

Ce pauvre corps estant prés d'expirer & rendre les derniers souspirs de la vie, ils le portent hors de la cabane sur un eschaffaut dressé exprés, où la teste luy ayant esté tranchée, le ventre ouvert, & les boyaux distribuez aux enfans, qui les portent en trophée au bout de leurs baguettes par toute la bourgade en signe de victoire, ils le font cuire dans une grande chaudiere, puis le mangent en festin, avec des joyes & liesses qui n'ont point de prix.

Quand les Hiroquois ou autres ennemis, peuvent attraper de nos Hurons, ils leur en font de mesme ou pis s'ils peuvent, car c'est à qui fera mieux ressentir les effets de la hayne à son ennemy. Or si le bon-heur en veut quelquefois à nos Hurons, qu'ils ayent de l'advantage sur leurs ennemis: la chanse se tourne aussi souvent du costé des Hiroquois, qui sçavent donner ordre à leur faict, & comme chacun se tient sur ses gardes & se mesfie de son ennemy, tel vay pour prendre, qui est souvent pris luy mesme au filet.

Les Hiroquois, ne viennent pas pour l'ordinaire guerroier nos Hurons, que les fueilles ne couvrent les arbres, pour à la faveur de ces ombres & fueillages, surprendre nos hommes au despourveu, ce qui leur est assez facile, d'autant qu'il y a beaucoup de bois dans le païs & proche la pluspart des villages, que s'ils nous eussent pris nous autres Religieux, ils nous eussent faict passer par les mesmes tourmens de leurs ennemis, & arraché la barbe de plus, comme ils firent au truchement Bruslé, qu'ils pensoient faire mourir, & lequel fut miraculeusement delivré par la vertu de l'Agnus Dei, qu'il portoit pendu à son col, dont voicy l'histoire.

Il est très-difficile & comme impossible à tous les François encore peu usitez dans le païs de nos Sauvages, de faire des voyages de long cours & courir les bois & forests où il n'y a sentier ny chemin, sans guyde ou sans s'égarer, comme il arrive ordinairement, & moy mesme y ay esté pris. Or je conseillerois volontiers à un chacun, pour ne plus tomber en ces inconveniens, de ne sortir jamais en campagne seul, sans guide ou sans un cadran & bousole, pour ce qu'encor bien que la veue du Soleil à laquelle il se faut apprendre à marcher, soit une asseurée guyde à ceux qui cognoissent son cours, celle de la bousole est encore plus commode à nous autres, qui ne sommes pas naturellement Astrologues commes les sauvages, & puis le Soleil ne se voit pas tousjours, & la bousole peut servir en tout temps, & la nuict & le jour, il n'y a qu'à en sçavoir user. Mais il faut avoir remarqué au préalable avant partir du logis, à quel Rut de vent on desire aller, & à quel autre Rut vous doit demeurer la maison, afin que vostre cadran que vous regarderez souvent, vous redresse si vous venez à manquer, comme il se peut qu'il n'arrive quelquefois.

Ce pauvre Bruslé, quoy qu'assez sçavant dans le pais des Hurons & lieux circonvoisins, se perdit neantmoins, & s'égara de telle forte, que faute d'avoir une de ses bousoles, ou print garde au Soleil, il tourna le dos aux Hurons, traversa force païs, & coucha quelques nuits dans les bois, jusques à un matin qu'ayant trouvé un petit sentier battu, il se rendit par iceluy dans un village d'Hyroquois, où il fut à peine arrivé, qu'il fut saisi & constitué prisonnier, & en suitte condamné à la mort, par le conseil des Sages.

Le pauvre homme bien estonné ne sçavoit à quel Sainct se vouer, car d'esperer miséricorde il sçavoit bien qu'il n'estoit pas en lieu, il eut donc recours à Dieu & à la patience, & se soubmit à ses divines volontez plus par force qu'autrement, car il n'estoit guère devot, tesmoin ce qu'il nous dit un jour, que s'estant trouvé en un autre grand péril de la mort, pour toute prière il dit son Benedicité.

Or je ne sçay s'il le dit icy se voyant prisonnier & dans le premier appareil de la mort, car des-ja ils l'avoient faict coucher de son long contre terre & luy arrachoient la barbe, lors que l'un d'eux avisant un Agnus Dei, qu'il portoit pendu à son col, luy voulant arracher, il se prit à crier & dit à ses bourreaux, que s'ils luy ostoient, Dieu les en chastieroit, comme il fist: car ils n'eurent pas plustost mis la main dessus pour luy tirer du col, que le Ciel auparavant serein, se troubla, & envoya tant d'esclairs, d'orages & de foudres, qu'ils en creurent estre au dernier jour, s'enfuyrent dans leurs cabanes & laisserent là leur prisonnier, qni se leva & s'enfuit comme les autres, mais d'un autre costé.

Je sçay bien que quelque petit esprit se rendra incredule à cecy, n'importe, suffit que les gens de bien & ceux qui ont demeuré dans les païs infidelles, sçachent que Dieu y opère encore de plus grandes merveilles, & souvent par des personnes plus mauvaises, pour faire davantage esclater sa gloire & cognoistre qu'en effect il est seul tout puissant, & peut ce qu'il veut, & faict du bien à qui il luy plaist.

A la fin ce fortuné Bruslé a esté du depuis condamne à la mort, puis mangé par les Hurons, ausquels il avoit si long-temps servy de truchement, & le tout pour une hayne qu'ils conceurent contre luy, pour je ne sçay qu'elle faute qu'il commit à leur endroit, & voyla comme on ne doit point abuser de la bonté de ces peuples, ny s'asseurer par trop à leur patience, pour ce que trop exercée elle se change en furie, & ceste furie en desir de vengeance, qui ne manque jamais de trouver son temps, il y avoit beaucoup d'années qu'il demeuroit avec eux, vivoit quasi comme eux, & servoit de Truchement aux François, & aprés tout cela n'a remporté pour toute recompense, qu'une mort douloureuse & une fin funeste & malheureuse; je prie Dieu qu'il luy fasse misericorde, s'il luy plaist, & aye pitié de son ame.

Il arrive aucunefois que les prisonniers s'eschappent, specialement, la nuict, au temps qu'on les faict promener par dessus les feux, car en courans sur les cuisans brasiers, de leurs pieds ils escartent les tizons, cendres & charbons par la cabane, qui rendent après une telle obscurité qu'on ne s'entrerecognoist point: de sorte qu'on est contraint (pour ne perdre la veuë) de gaigner la porte, & de sortir dehors & luy aussi parmy la presse, & de là il prend l'essor, & s'en va: & s'il ne peut encores pour lors, il se cache en quelque coin à l'escart, attendant l'occasion & l'opportunité de s'evader, & gagner païs. J'en ay veu plusieurs ainsi, eschappez, qui pour preuve nous faisoient voir les trois doigts principaux de leur main droicte couppez.

Entre les Mexicains avant leur conversion il s'y faisoit souvent de très grandes guerres à ce dessein, principalement d'obtenir des prisonniers, pour les faire mourir & sacrifier à leurs Idoles, comme i'ay rapporté en quelque autre endroit de ce volume, de sorte qu'il s'est conté pour tel jour, (cas pitoyable) dans la seule Ville de Mexique capitale du Royaume, jusques à cent mille hommes sacrifiez sous le Roy Moteczuma, & pourquoy cela sinon pour contenter & avoir favorable leurs faux dieux, affamez du sang humain, qui par une invention infernale bastie & forgée sur l'enclume de leur obstination eternelle, ne vouloient qui leur fust sacrifié autre chose que des prisonniers de guerre, afin d'entretenir tousjours les guerres & exterminer ces peuples miserables, car le diable ne demande que la ruyne de ceux qui le se servent. C'est pourquoy lors que les Prestres des Idoles n'avoient pas toutes choses à souhait, & que leurs Dieux ne leur estoient pas secourables, ils alloient par tout trouver les Roys & les Princes, & leur disoient que les Dieu mouroient de faim, & qu'ils eussent souvenance d'eux; alors les Princes s'envoyoient des Ambassadeurs l'un l'autre, & s'entredonnoient advis de la necessité en laquelle les Dieux se trouvoient les convians pour ceste cause à faire levée de gens de guerre pour donner la bataille, afin d'avoir dequoy donner à manger aux Idoles. Ainsi ils marchoient en abondance aux lieux destinez, & venoient aux mains pour aller à la mort, & de la mort aux enfers.

Les prisonniers que les Mexicains obtenoient, estoient menés en haut devant la porte du grand Temple, où le souverain Prestre, leur ouvroit la poictrine avec un cousteau, & leur arrachoit le coeur, qu'il monstroit premierement au Soleil, luy offrant ceste chaleur. & ceste fumée, puis il le jettoit au visage de l'Idole. Les autres Prestres donnoient après du pied aux corps, qui roulant par les degrez s'en alloit en bas, où ceux qui les avoient pris à la guerre se les partageoient & en faisoient des festins solemnels, presque à la maniere de nos Sauvages.

Voyage de nostre Frere Gervais au Cap de Victoire, & de la manière que furent amenez & receus deux prisonniers Hiroquois par les Montagnais.

Share on Twitter Share on Facebook