CHAPITRE XXXIII.

PRiez les uns pour les autres afin que vous soyez sauvez, disoit l'Apostre sainct-Jacques. Je ne m'estendray pas davantage pour vous faire voir combien merite celuy qui prie pour son prochain, que de vous rapporter une memorable sentence de la Bien heureuse saincte Angelique de Foligny laquelle à autant gravement que veritablement dit ces mots dignes de sa perfection: peut estre que l'on se mocquera de moy de ce que je vay vous dire, mais neantmoins il est vray; que j'ay receu plus de graces de Dieu, priant pour autruy que priant pour moy mesmes.

Ce qui s confirme par l'histoire suivante extraicte des Croniques de nostre sainct Ordre, aprés laquelle il ne faut plus de preuve ny d'autres tesmoignage du bien qui nous revient de prier pour autruy, quoy que nous soyons grand pecheurs, car Dieu ne se laisse jamais vaincre de courtoisie, & est tousjours prest à donner pour peu qu'on le prie avec foy. Un certain Religieux & parfaict Frere Mineur homme de tres-saincte vie, prioit ordinairement tous ceux à qui il parloit d'avoir memoire de luy en leurs prières. Advint un jour, comme il entroit en quelque ville, qu'il rencontra une femme fort visieuse,& malvivante, qui le saluant, luy rendit aussi-tost le réciproque, & la pria tres-humblement de prier Dieu, & la Vierge pour luy. Mais ceste femme toute estonnée d'un propos si nouveau en son endroit, luy respondit, helas! mon pere, mes prières vous seroient inutiles & ne vous serviroient de rien: parce que je suis la plus grande pecheresse du monde. Qu'elle que vous soyez, repart le Religieux, je vous supplie de m'obliger de ce bien, ô chose admirable: si-tost qu'elle fut entrée en l'Eglise, elle fit la reverence à une image de la saincte Vierge, & alors elle se ressouvint du Religieux, incontinent se mit à genoux devant icelle image, disant, l'Ave Maria pour luy, elle n'eust si-tost achevé ladite oraison, qu'elle fust ravie en esprit, & vit la Vierge Mere de Dieu, tenant son fils bien aymé entre ses bras, qui le prioit pour elle, luy disant, (Monseigneur, je vous supplie escoutez, s'il vous plaist l'oraison de ceste pecheresse,) & quoy ma mere, respondit l'enfant, (comment voulez-vous que j'escoute l'oraison odieuse de ma grande ennemie, encores qu'elle prie pour mon grand amy?) he! mon fils, repliqua la Vierge, de grace, faites luy misericorde, & vous la rendez amie, pour l'amour de vostre grand amy.

Ceste pauvre femme retournée à soy, grandement estonnée d'une telle apparition, courut incontinent trouver le Religieux, & luy raconta ce qu'elle avoit veu en son esprit, aprés luy fit une entière & parfaite confession de tous ses pechez, & depuis s'estudia du tout à fuir le vice; & servir devotement ceste tant secourable Advocate des pecheurs.

Environ les mois d'Avril & May les pluyes furent tres-grandes & presque continuelles au païs de nos Hurons (au contraire de la France qui fut fort seiche cette année là) de sorte que les Sauvages estoient dans de grandes appréhensions que tous les bleds des champs deussent perir, & dans cette affliction qui leur est fort sensible, ne sçavoient plus à qui avoir recours sinon à nous, car des-ja toutes leurs inventions & superstitions avoient esté inutilement employées, c'est ce qui les fist recourir au vray Dieu qui leur départit misericordieusement les effects de sa divine providence. Ils tindrent donc conseil entre les principaux Capitaines & vieillards, & adviserent à un dernier & salutaire remede, qui n'estoit pas vrayement Sauvage, mais digne de personnes plus illuminées. Ils firent apporter un tonneau de médiocre grandeur, au milieu de la cabane du grand Capitaine ou se tenoit le conseil, & ordonnerent que tous ceux du bourg qui auroient un champ de bled encemencé y apporteroient une escuellée de bled de leur cabane, & ceux qui avoient deux champs en apporteraient deux escuellées,& ainsi des autres, puis l'offreroient & dedieroient à l'un de nous trois, pour l'obliger avec ses deux autres confreres, de prier Dieu pour eux.

Cela faict, ils me manderent par un nommé Grenole de me trouver au conseil, où ils desiroient me communiquer quelque affaire d'importance, aussi pour recevoir un tonneau de bled qu'ils m'avoient dédié.

Avec l'advis de mes confreres je m'y en allay, & m'assis auprés du grand Capitaine, lequel me dit: Mon Nepveu: nous t'avons envoyé quérir, pour t'adviser que si les pluyes ne cessent bientost, nos bleds se pourriront, & toy & tes confreres avec nous, mourrons tous de faim, mais comme vous estes gens de grand esprit, nous avons eu recours & vous & esperons que vous obtiendrez de vostre Pere qui est au Ciel, quelque remede & assistance à la necessité presente, qui nous menace d'une totale ruyne.

Vous nous avez tousjours annoncé qu'il estoit tres-bon, & avoit tout pouvoir au ciel & en la terre si ainsi est qu'il soit tout puissant & puisse ce qu'il veut; il peut donc nous retirer de nos miseres, & nous donner un temps favorable & propice, prie le donc, avec tes autres confrères, de faire cesser les pluyes & le mauvais temps, qui nous conduit infailliblement dans la famine. S'il continue encore quelque temps, & nous ne te serons pas ingrats ny mescognoissans: car voyla des-ja un tonneau de bled que nous t'avions dedié en attendant mieux.

Son discours finy, & ses raisons deduites, je luy remonstray que tout ce que nous leur avions dit & enseigné estoit tres-veritable, mais qu'il estoit à la liberté d'un Pere d'exaucer oa rejetter les prières de son enfant, & que pour chastier, ou faire grâce & misericorde, il estoit toujours la mesme bonté, y ayant autant d'amour au refus qu'à l'octroy, & luy dis, pour exemple: voy la deux de tes petits enfans, Andaracouy & Aroussen, car ainsi s'appelloient ils, quelquefois tu leur accorde ce qu'ils te demandent, & d'autres fois non, que si tu les refuses & les laisse contristez, ce n'est pas pour hayne, que tu leur portes, ny pour mal que tu leur veuille; ains pour ce que tu juge mieux qu'eux que cela ne leur est pas propre, ou que ce chastiment leur est necessaire. Ainsi en use Dieu nostre Pere très sage, envers nous ses petits enfans, & serviteurs.

Ce Capitaine un peu grossier en matière spirituelle, me répliqua, & dit: Mon Nepveu, il n'y a point de comparaison de vous à ces petits enfans, car n'ayans point d'esprit ils font souvent de folles demandes, & moy qui fuis père sage & de beaucoup d'esprit je les exauce ou refuse avec raison. Mais pour vous qui estes grandement sages & ne demandez rien inconsiderement & qui ne soit tres-bon & equitable, vostre Pere qui est au Ciel n'a garde de vous esconduire, que s'il ne vous exauce & que nos bleds viennent à se perdre, nous croyrons que vous n'estes pas véritables, & que vostre Jesus n'est point si bon ny si puissant que vous nous avez annoncé. Je luy repliquay tout ce qui estoit necessaire là dessus, & luy remis en mémoire que des-ja en plusieurs occasions ils avoient experimenté le secours d'un Dieu & d'un Créateur si bon & pitoyable, & qu'il les assisterait encore à cette presente & pressante necessité, & leur donneroit du bled plus que suffisamment, pourveu qu'ils nous voulussent croire & quitassent leurs vices, & que si Dieu les chastioit parfois, c'estoit pour ce qu'ils estoient tousjours vicieux & ne sortoient point de leurs mauvaises habitudes, & que s'ils se corrigeoient, ils luy seroient agréables & les traitteroit aprés sans qu'ils manquassent de rien.

Ce bon homme prenant goust à tout ce que je luy disois, me dit: ô mon Nepveu je veux donc estre enfant de Dieu comme toy, je luy respondis tu n'en es point encore capable, ô mon oncle & il faut encore un peu attendre que tu te sois corrigé, car Dieu ne veut point d'enfant s'il ne renonce aux superstitions & qu'il ne se contente de sa propre femme, sans aller à celles d'autruy, & si tu le fais nous te baptiserons, & aprés ta mort ton ame s'en ira bienheureuse avec luy en Paradis.

Le conseil achevé, le bled d'Inde fut porté en nostre cabane, & m'y en retournay, où j'advertis mes confreres de tout ce qui s'estoit passé, & qu'il falloit serieusement & instamment prier Dieu pour ce pauvre peuple, à ce qu'il daignast les regarder de son oeil de misericorde & leur donnast un temps propre & necessaire à leurs bleds, pour de là les faire admirer ses merveilles. Mais à peine eusmes nous commencé nos petites prieres & esté processionnellement à l'entour de nostre petite cabane (le P. Joseph revestu) en disant les Litanies & autres prières propres, que N. S. tres-bon & misericordieux fist à mesme temps cesser les pluyes, tellement que le Ciel, qui auparavant estoit par tout couvert de nuées obscures qui se deschargeoienr abondamment sur la terre, se fist serain, & toutes ces nuées se ramasserent en un globe au dessus du bourg, qui tout à coup s'alla fondre derrière les bois, sans qu'on en apperceut jamais tomber une seule goutte d'eau. Et ce beau temps dura environ trois sepmaines au grand contentement, estonnement & admiration des Sauvages, qui satisfaicts d'une telle faveur celeste nous en resterent fort affectionnez, avec deliberation de faire passer en conseil, que de là en avant ils nous appelleroient Peres, qui estoit beaucoup gaigné sur leur esprit, & à nous une grande obligation de rendre infinies graces à nostre Seigneur, qui nous avoit exaucé, veu qu'il n'usent jamais de ce mot Pere, qu'envers les vieillards de leur nation, & non envers les estrangers, par une certaine vanité qu'ils ont de tenir, tousjours le dessus.

Quelqu'uns ensuitte nous appelloient Arondiouane, c'est à dire Prophete ou homme qui predit les choses à venir & peut changer les temps, car entr'eux il y a de certains Sorciers, Medecins ou Magiciens, qui ont accez au diable & qui font estat de prédire les choses futures & de faire tonner ou cesser les orages, & ceux là sont les plus estimez entr'eux, comme entre nous les plus grands Saincts, non qu'ils les estiment Saincts, mais admirables & sçachant les choses à venir. C'est tout ce qu'ils pouvoient dire d'excellent de nous, car pour nous appeller Oxiou Ondaki, qui veut dire demon ou Ange, cela estoit quelque degré au dessous de ceste premiere qualité.

Bref les Sauvages nous eurent une telle créance & avoient tant d'opinions de nous depuis ceste faveur celeste, que cela nous estoit à peine, pour ce qu'ils en inferoient & s'imaginoient que Dieu ne nous esconduiroit jamais d'aucune chose que luy demandassions, & que nous pouvions tourner le Ciel & la terre à nostre volonté (par maniere de dire) c'est pourquoy il leur en falloit faire rabatre de beaucoup & les adviser que Dieu ne faict pas tousjours miracle, & que nous n'estions pas digne d'estre tousjours exaucez mais souvent corrigez.

Il m'arriva un jourqu'estant allé visiter un Sauvage de nos meilleurs amis, grandement honneste homme, & qui sentoit plustost son bon Chrestien que non pas son Sauvage, comme je discourois avec luy & pensois monstrer nostre cachet, pour luy en faire admirer l'image qui estoit de la saincte Vierge, une fille subtilement s'en saisit & le jette de costé dans les cendres pour n'en estre trouvée saisie & le ramasser aprés ma sortie. J'estois marry que ce cachet m'eut esté ainsi desrobé, & dis à ceste fille que je soupçonnois, tu te ris à present de mon cachet perdu, mais sache que s'il ne m'est rendu, que tu pleureras demain & mourras bien tost, car Dieu n'ayme point les larronnesses & les chastie, ce que je disois simplement pour l'intimider & faire rendre son larrecin, comme elle fist à la fin l'ayant moy mesme ramassé du lieu qu'elle me monstra l'avoir jetté.

Le lendemain matin à heure de dix estant retourné voir mon Sauvage, je trouvay cette fille toute esplorée, malade & travaillée de grands vomissemens, estonné & marry de la voir en cet estat je m'informay de la cause de son mal & de ses pleurs, l'on me dit que c'estoit le chastiment de Jesus que je luy avois predit & que devant mourir elle desiroit s'en retourner à la nation du petun d'où elle estoit, pour ne mourir hors de son païs, je la consolay alors & luy dis qu'elle ne mourroit point pour ce coup ny ne sentiroit davantage de mal, puisque ce cachet avoit esté retrouvé, mais qu'elle avisast une autre fois de ne plus desrober, puis que cela desplairoit au bon Jesus, elle me demanda derechef si elle n'en mourroit point, je luy dis que non, aprés quoy elle resta entièrement guérie & consolée & ne parla plus de retourner en son païs comme elle faisoit auparavant.

Comme ils estimoient que les plus grands Capitaines François estoient douez d'un plus grand esprit, & qu'ayans un si grand esprit ils pouvoient faire les choses plus-difficiles & non les pauvres qui n'avoient point d'esprit. Ils inferoient de là que le Roy (comme le plus grand Capitaine des François,) faisoit les plus grandes chaudières, & les autres Capitaines les moindres & plus petits meubles. Je les tiray de cette folle pensée lors qu'ils nous en presenterent à raccomoder, car leur ayant dit que c'estoit l'ouvrage des pauvres artizans & non du Roy ny des grands, l'admirant ils nous dirent: les pauvres ont donc de l'esprit en vostre païs & d'où vient donc que ce sont les Capitaines de Kebec qui ont toute les marchandises & non les autres, c'est que les pauvres leur donnent leur travail, & les riches les nourrissent.

Ils nous prierent quelquefois de fort bonne grace, de faire pancher en bas les oreilles droictes de leurs chiens, pour les rendre semblables à ceux de Kebec, & de tuer cest importun Tonnere qui les estourdissoit de son bruit, car ils croyoient qu'il estoit un oyseau fort délicat qu'on mangeoit en France, couvert de fort belles plumes, & nous demandoient si les pennaches de nos gens estoient de ses plumes, & s'il avoit bien de la graisse, & pourquoy il faisoit tant de bruit, & de la cause de ces esclairs, & de ces roulemens, & je satisfaisois selon ma petite capacité à leur demande, & les détrompois leur faisant voir qu'ils ne devoient penser si peu apparemment des choses, ny croire à tous esprits, de quoy ils restoient fort contens & satisfaits, car ils sont bien ayse d'apprendre, & d'ouyr discourir des choses qu'ils ignorent, pourveu qu'on leur parle serieusement, & en vérité, & non point en gaussant, ou niaisant, comme faisoient nos François.

Ils furent fort estonnez entre autre chose, aussi bien que plusieurs simples gens d'icy, d'ouir dire que la terre fut ronde, & suspendue sans autre apppuy que de la puissance de Dieu, que l'on yoyageast à L'entour d'icelle, & qu'il y eut des Nations au dessous de nous, & mesme que le Soleil fit son cours à l'entour; car ils pensoient que la terre fut posée fur le fond des abysmes des eauës, & qu'au milieu d'icelle il y eut un trou dans lequel le Soleil se couchoit jusques au lendemain matin qu'il sortoit par l'autre extrémité.

Cette opinion est quasi conforme à celle des Peruennois, lesquels quand ils voyoient que le Soleil se couchoit, & qui sembloit se précipiter dans la mer, qui en toute l'estendue du Peru est du costé du Ponent, ils disoient qu'il entroit dedans où par la violence de sa chaleur il desseichoit la pluspart des eauës, & qu'à l'imitation d'un bon nageur, il faisoit le plongeon par dessous la terre qu'ils croyoient estre sur l'eau, pour sortir le jour d'après des portes de l'Orient ce qu'ils, ne disoient que du coucher du Soleil sans parler de celuy de la Lune ny des autres estoiles. De toutes lesquelles choses oa peut inférer, qu'ils n'estoient gueres sçavans en l'Astrologie, & fort ignorans en ces sçiences pour n'y avoir pas eu de Maistres.

Histoire d'une femme Huronne baptisée, & d'un jeune Montagnais auquel le Diable s'apparut sous diverses formes. Du festin qui fut fait à son baptesme, & de la harangue des Sauvages.

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