CHAPITRE XXXV.

JE vous ay rapporté au Chapitre precedent, la harangue, que le deffunct P. Joseph fist aux Sauvages sur le suject du baptesme du petit Neogauachit, vous verrez à la suitte de ce discours que plusieurs la receurent, comme des fruicts du Paradis, & d'autres comme chose indifferente. Car comme il est dit dans l'Evangile, une partie de la semence tomba sur la bonne terre, & l'autre partie sur la pierre dure.

Les barbares ayans ruminé le discours de ce bon Pere, teindrent conseil par entr'eux & resolurent de se faire instruire & de donner de leurs enfans pour estre enseignez en la voye du Ciel, comme il leur avoit esté dit. Ils députerent deux Capitaines pour luy en donner advis, sçavoir Chimeouriniou & Esrouachit, lesquels le prierent de se transporter avec eux à Kebec, où le sieur de Champlain & le Sauvage Mahican atic, l'attendoient à ce suject pour adviser des moyens.

Le Pere Joseph ne perdit point de temps & ayant prié le P. Charles Lallemant Supérieur des RR. PP. Jesuites, (pour lors encores logez avec nous dans nostre Convent) d'y assister, s'en allèrent de compagnie avec les deux Sauvages à Kebec, où le P. Joseph leur reitera les mesmes exhortations qu'il leur avoit faites au temps du festin, & de plus, leur remonstra la necessité qu'il avoit de sçavoir parfaitement leur langue avant que de leur pouvoir entièrement expliquer les mysteres de nostre foy; & que cela ne se pouvoit faire eux estans tousjours errans & vagabons par les bois & les montagnes, qu'avec des longueurs & pertes de temps infinis; & que tout le remede qu'on pouvoit apporter en cela estoit de suivre nostre premier dessein, qui estoit de choisir une place, cultiver les terres & se rendre sedentaires, & que par ce moyen on apprendroit facilement leur langue, on les instruiroit en la foy & se formeroient au gouvernement des François.

Le Père ayant finy son discours, le Capitaine Montagnais prit la parole & fist une harangue, accompagnée de son eloquence ordinaire, dont en voicy la teneur, que j'ay bien voulu vous coucher icy, non pour la rareté de son stile, mais pour la substance que son discours contient, enfermé dans sa simplicité que je confesse estre sincere, comme celle de nos meilleurs Catholiques. Vous qui estes icy assemblez, escoutez, considerez & prestez l'oreille à ce que je vay vous dire, afin que vous en puissiez faire fruict. Il est vray que nous n'avons point d'esprit nous autres barbares, nous le cognoissons bien à present au lieu que du passé nous nous croyons sages, mais aussi faut il advouer que vous en avez bien peu (vous Pere Joseph,) en cette demande que vous nous faites, de cultiver les terres & nous habituer auprès de vous avec toutes nos familles comme nous en avons eu autrefois le dessein par tes remonstrances desquelles depuis long-temps, tu n'a plus ozé dire mot, ou pour y estre contrarié par les François, ou pour considerer toy mesme que nous n'avons point de quoy vivre, ny toy moyen de nous en donner pendant que nous abattrions les arbres & défricherions les terres. Mais si les François avoient du courage assez, de nous en prester pendant un an ou deux, qu'il nous faudroit pour disposer ces terres, nous nous y employerions de bonne volonté avec toutes nos familles, qui ne demanderoient pas mieux, & y ayant dequoy les nourrir, nous irions à la chasse, & rendrions aux François leurs vivres en des pelleteries & fourures plus qu'ils ne nous auraient presté, autrement nous ne pouvons pas nous arrester en un lieu sans mourir de faim; voyez donc si vous pouvez nous assister, & selon vos offres, nous tascherons de satisfaire à vas desirs.

Ceux à qui la chose touchoit de plus prés ne firent point d'autre responce, sinon, qu'il n'y avoit point de provision à Kebec, & qu'on doutoit encore que les Navires arrivassent si tost, & partant qu'on, ne pouvoit leur en prester pour ce coup, puis que les François estoient eux mesmes en necessité; ce qu'entendans les pauvres Sauvages pleins de bonne volonté, ils offrirent nonobstant de leurs enfans pour estre instruicts avec les François, mais à raison qu'il y avoit peu de vivres au magazin, comme je viens de dire, on differa d'en vouloir prendre jusqu'à l'arrivée des Navires.

Les RR. PP. Jesuites receurent neantmoins un petit garçon nepveu de Esrouachit, mais soit qu'il s'ennuiat seul, ou qu'ils n'eussent pas moyen de l'entretenir, il ne leur demeura guere, car la perte de leur vaisseau & du R.P. Noirot, les avoit mis à l'estroit & privé de beaucoup de commoditez, qui leur eussent pû servir en cette belle occasion.

Voicy encor un autre fruict du baptesme du petit Neogauachit & de l'exhortation du Pere Joseph le Caron, envers un Algoumequin nommé Napagabiscou, & par les François Trigatin, lequel à quelque jours de là estant tombé malade, eut si peur de mourir sans estre baptisé, qu'il demanda maintefois & avec tres-grande instance, si que se voyant pressé du mal, il disoit que s'il n'estoit baptisé, qu'il en imputeroit la faute devant Dieu à quiconque luy refuseroit, promettant d'ailleurs que si Dieu luy rendoit la santé, il se feroit instruire aussi tost après son baptesme & vivroit à l'advenir en bon Chrestien.

Tellement qu'un Sauvage nommé Choumin vint advertir le F. Gervais qui estoit encor pour lors au Cap de Victoire de se transporter promptement auprès du malade qui le demandoit à toute instance, mais à peine ledit F. eut il moyen de luy rendre responce & s'informer de sa si soudaine maladie qù'un autre messager arriva en grand haste (lequel depuis a esté baptisé par les PP. Jesuites) pour le faire diligenter, luy disant viste, viste, frere Gervais pour baptizer Napagabiscou, qui t'en prie, car il s'en va mourir; Alors le bon frère luy dit, je veux bien, l'aller secourir & faire mon possible pour le rendre capable du Ciel, mais comment veux-tu que je me transporte là, je ne peux passer la riviere à nage, & n'ay ny canot ny chalouppe pour me conduire. Le Sauvage respondit, c'est à tort que Choumin a laissé retourner son canot, mais, met toy librement sur mes espaules, & je te passeray à la nage, car autrement tu tarderas trop icy.

Considerés un peu, ô Chrestiens l'affection que ce bon Sauvage avoit pour le salut de son frere prochain, luy qui n'en avoit pas encore pour luy mesme pour n'estre pas encore assez illuminé. Il court, il sollicite, il prend soin de son ame, & passe la riviere à nage pour demander le secours du frère Gervais, & la repasse derechef pour luy amener une chalouppe, puis qu'il ne s'estoit voulu mettre sur ses espaules, où il n'eust pas esté trop asseuré, comme en effect quelle apparence à nous autres Religieux couverts de gros habits qui boivent l'eau comme l'esponge, se mettre sur les espaules d'un barbare pour passer un si grand fleuve, le sujet en estoit bon, mais le hazard fort grand.

Apres que ce bon Religieux fut muny d'une Chalouppe, il pria le Truchement Marsolet de le vouloir accompagner comme il promit de tres-bonne volonté, mais comme ils penserent jouer de l'aviron, il survint des flots & des coups de vents si puissans, avec la pluye qui estoit fort violente, qu'on fut contraint de rentrer dans une barque, & attendre là un autre temps plus beau, car les Mattelots refuserent de passer outre.

Comme ils estoient là attendans la fin des pluyes, ils apperceurent deux Sauvages dans le fleuve à nage, qui allerent premièrement à la barque d'où estoit party le Frère Gervais qu'ils cherchoient, puis vindrent à celle où il estoit, auquel ils firent leur legation, & le solliciterent de partir promptement, pour ce que le pauvre malade l'attendoit avec impatience, & une apprehension grande de mourir sans estre baptisé.

Estans arrivez avec quatre ou cinq François qui les accompagnerent, ils trouverent ce pauvre homme dans une convulsion, & une grosse fièvre qui le mettoient dans un doute qu'il en pu reschaper, car n'y ayant là ny Médecin, ny remede, on ne sçavoit que luy faire sinon de l'observer, & voir quand il expireroit. O bon Jesus, ou sommes nous qui nous delicatons tant pour peu de mal, à la moindre indisposition, les Médecins sont à nos chevets, & les remedes sont à foison distribuez à nos maux pour nous sauver la vie du corps pendant que nous perdons souvent celle de l'ame, Seigneur, qui doit estre pour vostre Paradis.

Ce pauvre Sauvage est au destroit, ce pauvre homme est agonizant, les douleurs de la mort l'assaillent de tout costez, crie il au Médecin sauve-moy la vie, non mais revenu de sa convulsion il n'a recours qu'à ceux qui luy peuvent faire part dans l'héritage de Dieu, puis se tournant du costé du frere il luy dit avec un accent plein de devotion. Mon Frere, il y a long-temps que je t'atendois pour estre fait enfant de Dieu, je te prie baptiser celuy qui preferant les interests du Ciel, à ceux de la terre, ne veut que ce que ton Dieu veut, qui est la grâce de le louer à jamais.

Le bon Frère luy demanda s'il y avoit long-temps qu'il avoit ce desir, il respondit qu'il y avoit plus de trois Hyvers qu'il en avoit fait la demande au Pere Joseph, & qu'asseurement il avoit compris que sans le baptesme on n'alloit point en Paradis. Et le bon Religieux continuant ses interrogations, luy demanda par les Truchement Olivier, & Marsolet (car il entendoit fort peu l'Algoumequin) s'il cognoissoit nostre Dieu duquel il parloit, ouy dit il aux effets de sa toute-puissance & bonté, laquelle nous expérimentons, & voyons tous les jours devant nos yeux, & quand bien nous ne le cognoistrions qu'en cet univers, le Ciel, la terre, & la mer qu'il a creée, & tout ce qu'ils contiennent pour nostre service, comme nous pour sa gloire ainsi que nous a eu dit le P. Joseph, cela suffiroit pour le confesser ce qu'il est, tout puissant & Dieu par dessus toutes choses, qui a envoyé son fils unique en ce monde, mourir pour le rachapt des humains.

Puis poursuivant son discours il dit. Je ne me puis pas souvenir, malade comme je suis, de toutes les Instructions que le P. Joseph m'a eu donnée, mais je croy entierement tout ce qu'il croit, & que tu crois aussi, & veux vivre & mourir dans vostre créance, car ceux qui ne sont pas des vostres, ne peuvent jouyr de la vie eternelle, comme vous, ils vont dans un feu sous la terre avec les Manitous, c'est ce que j'ay retenu de plus particulier de vos instructions & enseignemens, tu me feras resouvenir du reste qui m'est necessaire à un autre temps, mais auparavant baptise moy mon Frere, car je seray tousjours en peine, & en doute de mon salut que cela ne soit accomply.

Le Religieux le voyant dans une si bonne resolution & ferme propos du S. Baptesme, luy dit qu'il en estoit fort edifié, mais qu'il falloit de plus estre marry des offences qu'il avoit commises contre Dieu, avec une ferme resolution de n'y plus recidiver, & d'abandonner pour un jamais toutes leur vaines superstitions, & de se faire plus amplement instruire s'il revenoit en convalescence; ce qu'il promit & tesmoigna avec des paroles, & des souspirs qui ne pouvoient proceder que d'un coeur vrayement touché de Dieu, & confus de sa confusion mesme, Ouy, dit-il, je suis grandement fasché de tout le mal que j'ay fait en ma vie, & d'avoir fait le Manitou en tant d'occasions; Tien voyla mon sac qui est là attaché à cette perche, prend-le & tout ce qui est dedans, & le brusle, ou le jette dans la riviere, fais en fin tout ce que tu voudras, car dés à present je te promets que je ne m'en serviray jamais, baptise moy donc.

Il y avoit là plusieurs François, tant Catholiques que Huguenots, lesquels dirent tous que veritablement il le falloit baptiser, & qu'il y auroit conscience de le laisser mourir sans luy donner contentement, puis qu'il avoit rendu de si grands tesmoignages de son bon desir: Mecabau beau-pere du malade le desiroit aussi, ayant desja à cet effet fait assembler plusieurs Sauvages pour le baptesme de son gendre qu'il croyoit luy devoir estre conferé aprés de si grandes prieres, surquoy print sujet nostre Religieux de faire une harangue à toute l'assemblée des merveilles & misericordes de nostre Dieu envers ce pauvre alité, puis luy dit à luy mesme.

Mon frere, tu ne peux ignorer la mauvaise volonté que plusieurs Sauvages ont eu contre nous depuis la mort de la petite fille de Kakemistic, disant qu'elle estoit morte pour avoir esté baptisée, & receu un peu d'eau sur la teste, & leur cholere esl arrivée jusques aux menaces de nous vouloir tous tuer, & partant je veux bien t'advertir, & tous ceux qui sont icy presens, que ce n'est pas le sainct Baptesme qui fait mourir ceux qui le reçoivenr, mais au contraire il donne souvent la santé du corps, avec la vie de l'esprit. Doncque ceux de ta Nation ne dient point que l'eau du Baptesme t'aura fait mourir si Dieu t'appelle de ce monde aprés iceluy, mais que ça esté pour te delivrer des miseres que tu souffre, & te rendre bienheureux en Paradis, à quoy respondit le malade, qu'il le croyoit ainsi & que ceux qui croioient le contraire n'e seroient pas sages.

Lors son beau-pere ayant ouy ses plaintes, & sçeu le mauvais dessein de quelques Sauvages se leva en sursaut & dit: je ne sçay comme il se peut trouver des personnes de si petit esprit, que de croire qu'un peu d'eau soit capable de nous faire mourir; Ne sçait on pas bien qu'il faut que tous les hommes meurent, baptisez & non baptisez, & que nous ne sommes icy que pour un temps. Ce sont des meschans, qui attribuent de si mauvais effets au baptesme que ces Religieux nous conferent pour nostre salut.

Ha, dit-il en cholere si je rencontre jamais de ces malins, je les feray tous mourir, & ne supporteray jamais qu'aucun tort soit fait à ces Peres, encores que mon gendre vienne à mourir, puis se pourmenant à grand pas d'un bout à l'autre de la cabane, avec une hache en la main, disoit d'une voix force. Vous autres de ma Nation, & vous mes amis, parlant aux Algoumequins, (car il estoit Montagnais) je vous dis, que je veux que mon gendre soit baptisez, puis qu'il le veut estre, & qu'il en a le dessein depuis un si long-temps; faut il vouloir du mal à ceux qui nous veulent du bien, rendre des desplaisirs pour des bienfaits, vous avez trop d'esprit pour le vouloir faire, mais je vous asseure que je couperay la teste à tous ceux qui y contrediront, & puis je la porteray aux François, pour preuve que je suis leur amy.

Si son discours fut fort long il n'en fut pas moins animé, car il ne parlait que de tuer, & sembloit qu'il deust assommer tous ceux, de la cabane, tant il se demenoit avec sa hache, non qu'il eut l'esprit troublé & offusqué de colère, car c'est chose qui leur arrrive rarement, observans l'escriture, qui dit fasché vous & ne m'offencé point. Mais pour faire voir son zèle à l'endroit de nous autres qui cherchions leur salut, & qu'asseurement il ne vouloit pas qu'on contredit à une chose si saincte.

Sa ferveur estant un peu appaisée, il s'assit à terre entre le Frere Gervais, & le malade, puis d'une voix douce & pacifique, commença à parler à toute l'assemblée en ces termes. Mes amis; Nous sommes icy assemblez pour une chose de grande importance, qui est le salut de mon gendre, il est malade comme vous voyez, sans esperance qu'il en releve, & pour ce faut travailler pour le repos, de son ame, par le moyen du baptesme qu'on est prest de luy donner, s'y vous estes bien ayse de cecy, vous serez cause que je vivray & mourray content, & par ainsi vivant & mort je seray bienheureux, que si vous nous voulez ensuivre, vous redoublerez vostre joye, & à la fin vous viendrez en Paradis avec nous, où nous devons tous aspirer.

Lors plusieurs Sauvages dirent qu'ils estoient bien contens des resolutions de son gendre, & seroient fort ayses d'en voir les ceremonies, nonobstant tous les discours qu'on avoit tenu que cela faisoit mourir les Hommes, à quoy adjousta un certain Canadien fort plaisamment, que tels hommes estoient de bien peu d'esprit, de croire qu'un peu d'eau que l'on jette sur la teste d'une personne qu'on baptise soit capable de le faire mourir, veu que depuis que nous sommes icy (dit-il) en voyla desja plus de quatre sceaux que l'on a jette sur la teste & par tout le corps de cest autre pauvre malade, & il n'en est pas mort; donc un peu ne fera pas grand mal à ce gendre qu'on le baptise je vous laisse à penser si cela ne donna pas à rire à tous les François qui se trouverent là present, & s'ils ne se mocquerent pas plaisamment de ceux qui arguoient que l'eau du baptesme faisoit mourir, n'usans eux mesmes d'autres rafraichissemens plus salutaire pour adoucir les ardeurs de la fièvre, que de jetter quantité d'eau fraische sur le corps de ceux qui en sont travaillez, & puis dites qu'ils sont bons Médecins, & fournis de bonnes drogues.

En ces entrefaites il survint une grande convulsion à nostre Catecumene, qui le rendit froid comme une glace, & sans aucun sentiment, car ayant estendu ses pieds sur les charbons ardans, ils n'en sentit rien du tout qu'aprés estre revenu de sa pamoison. Le Religieux le voyant en cet estat, creut qu'il estoit trespassé, & blasma sa negligence de ne l'avoir pas assez tost baptisé, mais comme l'on eut bien remué ce corps, il revint à foy. & dit Jesus Maria, en joignant les mains au Ciel selon qu'il avoit appris en nostre Convent de le faire de fois à autre, dequoy toute l'assistance loua Dieu, & se resjouit, puis regardant le bon Frere ayant tousjours les mains jointes il luy dit.

Frere Gervais je m'en vay mourir comme tu vois, je te prie donc de me baptiser presentement, car si je meurt sans l'estre, tu respondras de mon ame devant Dieu, il n'y aura point de ma faute, elle sera toute tienne, quel tesmoignage veux tu davantage de moy que de croire tout ce que tu crois, & te promets que si je retourne en convalescence, que j'yray demeurer proche de toy pour me faire plus amplement instruire; alors tous les François dirent tous d'une commune voix qu'il le falloit baptiser, sans en remettre l'action au Pere Joseph, que le Frere attendoit, peur d'un accident de mort inopiné. A quoy obtemperant le Religieux il pria les deux Truchemens d'expliquer encore une fois les principaux misteres de nostre foye en langue Algoumequine.

Cela estant fait tous se mirent de genouils & dirent le Veni Creator, & le Salve Regina, et le Salve sante Pater, à la fin desquels, le Frere luy demanda derechef s'il croyoit tout ce que luy, & nos autres Freres luy avoient enseigné, & ayant dit que ouy, il entra dans une grande convulsion, pendant laquelle il fut baptisé & peu aprés estimé pour mort, par l'espace de mie heure, aprés laquelle il asseura luy-mesme estre baptisé, ayant ouy les paroles, & senty l'eau tomber sur sa teste, & que du depuis, il n'avoit rien entendu ny senty, de tout ce qu'on luy avoit faict & qu'au reste il estoit à present tout prest de mourir s'il plaisoit à Dieu luy en faire la grace, pour aller bien tost avec luy.

On chanta le Te Deum laudamus, en action de graces, on regala le nouveau Chrestien le mieux que l'on peut, & chacun lui fit offre de son service, avec asseurance d'une amitié eternelle, dequoy il sentit une grande allegresse en son ame, & les remercia.

Son beau-pere qui estoit là present s'adressant alors au Religieux, il luy dit en sa methode simple & ordinaire, mais energique, Mon frere, tous mes parens & amys qui sont icy presens, & moy, sommes bien ayses que tu aye baptisé mon gendre, & fait enfant de Dieu comme toy, ce qu'estant il n'est plus à nous, il est à toy, c'est pourquoy fais en tout ce que tu voudras, gouverne le en sa maladie à la façon de vous autres, seigne le, couppe, tranche, il est à toy, & ne veux plus qu'aucun de nos Manitousiou le chantent. Puis s'adressant aux Sauvages, il leur dit: S'il meurt il ne faut pas que vous en parliez sinistrement, & jugiez mal du Baptesme, comme quelqu'uns ont faits, je porteray son corps en la maison du Pere Joseph, afin de l'y enterrer auprés du sieur Hébert, à quoy s'accorda sa femme, qui jusques alors avoit gardé le silence, contente en son ame du bonheur de son mary.

Le frere Gervais promit de l'assister & servir le jour & la nuit au mieux qu'il luy seroit possible, puis prenant son sac avec tous les instrumens dont il se servoit eu son office de Médecin, en jetta la pierre (dont j'ay parlé au Chapitre des malades) dans la riviere & les petits bastons dans le feu, pour leur oster le moyen de s'en pouvoir plus servir.

Le sieur de Caën lors chef de la traite, ayant sçeu ce bon oeuvre, se transporta auprès du malade auquel il tesmoigna l'ayse & le contentement qu'il avoit de son Baptesme, & luy fit offre de tout ce qui estoit à son pouvoir, luy recommandant d'user librement avec luy comme avec son frere de tous ses vivres pour sa personne en particulier, qu'il ne vouloit pas luy estre espargné, puis, tirant une croix d'or de son col, il la luy mist au sien, disant: Tien voyla une croix precieuse laquelle je te preste, & veux que tu la porte jusques à entière guerison, que tu me la rendras, fais en un grand estat, car il y a dedans du bois de la vraye Croix, sur laquelle est mort le Sauveur de nos ames. Tous les Chrestiens l'adorent & venerent comme gages de leur Redemption, car par le moyen d'icelle le Ciel nous a esté ouvert, & avons esté faits cohéritiers de Jesus-Christ, nostre Dieu, nostre Père, & nostre Tout: se disant, il la baisa reveremment, la fit baiser au malade, & la mit à son col, luy recommandant d'avoir esperance & confiance en Dieu, puis partit pour son bord, laissant ce pauvre nouveau Chrestien en paix, & plein d'affection envers cette Croix, qu'il baisoit incessamment, disant Jesus chouerimit, ego xé saguitan, qui signifie: Jesus aye pitié de moy & je t'aymeray. Voyla ce que vaut un bon Chrestien dans un pays, &, que pleust à Dieu que tous ceux qui ont esté avant, & aprés luy, eussent esté de mesme luy, porté pour le salut des Sauvages, je m'asseure que cela eut grandement profité & advancé leur conversion.

La charge du malade ayant esté donnée à nostre Frere Gervais, par son beau pere. Il luy fit prendre pour premier appareil un peu de theriaque de Venise avec un peu de vin, qui luy fit jetter quantité d'eau, qui le soulagerent grandement, & en suitte les autres medicamens necessaires, jusques à entière guarison, aprés laquelle il rendit la Croix d'or au sieur de Caën, avec les remerciemens & complimens, que son honnesteté luy pû suggerer. Il le remercia aussi des viandes de sa table, desquelles il luy avoit fait part tous les jours de sa maladie puis ayant mis une Croix de bois à son col, à la place de celle d'or, il s'en retourna à sa cabane tres-content, & pleine de bonne volonté pour ses bienfacteurs, & devot envers Dieu.

Pendant la maladie de ce bon homme, sa femme accoucha d'une fille qu'elle presenta à son mary, à laquelle le F. Gervais demanda si elle vouloit qu'on la baptisast, elle respondit simplement que ouy, comme, fit semblablement son mary, & que sa femme le fut aussi, dont le Frère fut fort satisfait.

Je vous ay tantost dit comme ce nouveau Chrestien avoit promis de se venir faire plus amplement instruire, aprés qu'il seroit guery, à quoy il ne manqua point, car l'Automne venu, il se vint cabaner proche de nous, où il passa tout l'Hyver & les deux autres suivans; pendans lesquels il estoit la pluspart du temps avec nos Religieux, desquels il apprint tout ce qui est necessaire à salut, & ne voulut jamais plus chanter les malades, ny parler au diable, comme il souloit avant son baptesme, car en estant fort prié par ceux de sa Nation, il leur respondit qu'il avoit renoncé à tout cela, & qu'il vouloit faire tout ce qu'il avoit promis aux Ca Iscoueouacopet, signifiant par ces mots, ceux qui sont habillez comme les femmes, c'est à dire les Recollects, qui portent leurs habits longs.

Un jour un Sauvage reprochant à nos Peres que nous ne devions pas empescher Napagabiscou, nostre nouveau Chrestien de chanter les malades, & que cela faisoit un grand tort à cause de son experience: On luy dit qu'estant à present Chrestien il ne le devoit plus faire ny aucune de leurs superstitions, ce qui fascha fort ce barbare qui ne laissa pas d'aller trouver Napagabiscou, & luy dire que nos Religieux luy permettoient d'y aller, ce qu'il ne creut pas, & dit qu'il en avoit menty (c'est, une façon de parler assez commune entre les Sauvages) & que nous ne luy avions pas dit cela, & qu'il n'iroit pas: Je suis homme, dit-il, & non point enfant, j'ay promis de ne plus faire le Manitou & je ne le feray plus aussi, quand bien ma femme m'en deust prier pour elle mesme.

Entre les instructions de nos frères on luy enjoignit d'aller toutes les Festes & Dimanches à la saincte Messe, & pour ce qu'ils n'ont aucun Dimanche, on lui faisoit remarquer le septiesme jour, ce qu'il fit dés lors assez exactement, mais pour les jours de festes on l'en advertissoit particulièrement. Un jour qu'il avoit manqué de s'y trouver le R.P. Massé Jesuite le rencontrant luy dit, tu n'as point aujourd'hui assisté à la saincte Messe, cela n'est pas bien, l'autre lui repartit; je ne sçavois pas qu'il y fallut assister aujourd'hui, mais afin que je n'y manque plus, je vai me cabaner en lieu plus commode, & quand tu iras dire la saincte Messe, tu m'appelleras en passant, & je te suivrai pour ny manquer plus.

Il y en a qui ont voulu dire que, ce pauvre baptizé est retourné demeurer parmy ses parens, sans considerer que n'ayant dequoy vivre il a bien fallu qu'il en cherchast où il pouvoit aussi bien que les François dans la necessité, puis que nous n'avons pas le moyen de le nourrir, ny les François la devotion de l'entretenir, mais il ne se trouvera point que depuis son baptesme il aye faict le Manitousiou, ny usé de ses anciennes superstitions, ausquelles ils sont attachez de pere en fils, qui est beaucoup, & partant je dis que n'y ayant point de sa faute, Dieu luy pardonnera beaucoup de choses qu'il n'excuseroit point en nous pour avoir toute occasion de bien faire, & moyen de vivre en vray Chrestien, ou les Sauvages errants sont privez de nos aydes.

D'une petite fille Canadienne baptisée. De sa mort, & de celle du sieur Hebert premier habitant du Canada.

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