CHAPITRE XXXVI.

AU commencement de l'Hyver en l'an mil six cens vingt six. Un Sauvage nommé Kakemistic, lequel, avoit accoustumé de passer une bonne partie des Hyvers proche de Kebec, tant pour en recevoir quelque alliment, s'il tomboit en necessité, que pour faire part aux François de quelque morceau de viande de la chasse, s'ils luy faisoient d'ailleurs courtoisie, prist resolution d'aller Hyverner assez loin des François, mais comme il pleust à Dieu de disposer des choses, il ne fut pas loin qu'il fut contraint de retourner sur ses pas, d'où il estoit venu pour le peu de neige qu'il trouva par tout au mois de Décembre, laquelle à peine pouvoit estre d'un pied de hauteur au plus, qui estoit trop peu pour arrester l'eslan, & puis sa femme estoit fort enceinte, & preste d'accoucher.

Kakemistic avec toute sa famille, composée de huict personnes, prirent donc resolution de retourner vers les François, & passans par nostre petit Convent, ils y sejournerent deux jours, pendant lesquels nos Frères leur donnerent à manger de ce qu'ils avoient, car ces pauvres Sauvages n'avoient pour toute provision qu'un peu d'anguilles boucannées du reste de leur pesche.

Au bout des deux jours ils trousserent bagage pour aller cabanner proche du fort, afin de pouvoir recevoir quelque soulagement des François de l'habitation, mais auparavant partir il pria le Pere Joseph de luy vouloir donner une paire de raquette qui luy faisoient besoin, & quelque peu de vivres pour ayder à nourrir sa famille, pendant qu'il iroit faire un voyage en son pays vers la riviere du Saguenay au Nort Nordest de Kebec. Ce bon Pere Joseph tout bruslant de charité luy accorda, facillement tout ce qu'il desiroit nonobstant la pauvreté du Convent, & luy donna deux paires de raquettes, un sac de pois, & un sac de grosses febves, avec quelques autres petites choses propres à son voyage, car en verité sans exagérer la vertu de ce bon Pere, il estoit tellement porté de leur bien faire (& à tous les Sauvages generalement) qu'il se privoit souvent, luy & ses freres, de ce qui leur faisoit besoin pour les accommoder, dequoy il estoit aucunefois blasmé, par ceux qui ne pouvoient approuver ses liberalitez, & cet excez de charité envers des personnes qui n'estoient pas encores Chrestiens n'y en termes de l'estre.

Le bon Sauvage se voyant si estroitement obligé, fit plusieurs complimens à sa mode, & des remerciemens qui tesmoignoient assez le ressentiment de tant de bienfaits, & entre autre chose, il dit au Pere Joseph, Je voy bien que tu as un bon coeur, & que tu m'aime bien & toute ma famille semblablement, c'est pourquoy je te la recommande, derechef, & te prie de ne permettre qu'elle aye aucune necessité. Si ma femme accouche pendant que je seray absent, ne laisse point mourir l'enfant sans estre baptisé, puis que tu dis qu'il le faut estre pour aller au Ciel, elle en sera bien ayse, & moy aussi, car luy en ayant parlé, elle me l'a tesmoigné; Et aprés plusieurs autres discours l'on, luy promit d'en avoir le soin, & puis partit pour son voyage du Saguenay aprés avoir cabané sa famille proche le fort des François.

Il ne se passa pas un long-temps aprés son depart, que la femme se trouvant mal, elle en fist advertir le P. Joseph & le prier de luy envoyer quelque peu de vivres peur faire ses couches, car ceux de sa nation ne la pouvoient ayder ny secourir de quelque chose que ce soit.

Le pauvre Père ayant receu cet advertissement luy en envoya autant qu'il pu par Pierre Anthoine & le petit Neogauachit, avec commandement de le venir advertir des l'instant qu'ils sçauroient la fin de sa couche, pour aller baptizer l'enfant, à quoy obtempérant ils ne manquerent point, car encore bien qu'elle en fist quelque difficulté au commencement, elle y consentit à la fin, & les pria d'aller quérir le Pere Joseph, pour baptizer la petite fille qu'elle venoit de mettre au monde, assez foible & fluette, ce que sçachant il y accourut promptement pensant la baptizer, mais l'ayant trouvé assez forte en differa le baptesme avec contentement de la mère, jusques à l'arrivée du Pere Charles Lallemant qu'il fut quérir en nostre Convent, luy referant ceste honneur, en recognoissance de la peine qu'ils avoient prise de nous venir seconder à rendre les Sauvages enfans de Dieu. Ce que le R. P. Lallemant luy accorda & retournèrent de compagnie à la cabane de l'accouchée, où ils trouverent le mary arrivé de son voyage, qu'il n'avoit pû accomplir comme il pretendoit, pour la rencontre de deux ours que son chien avoit esventé dans le creux d'un arbre, lesquels il tua, & en apporta de la viande, puis renvoya quérir le reste le lendemain matin par ses domestiques.

Ce pauvre Sauvage se monstra très content de voir sa femme heureusement accouchée & en bonne santé, marry seulement de voir son enfant malade & en danger de mort. Ils eurent ensemble quelque discours, sçavoir s'ils le feroient baptizer ou non, il disoit pour lui qu'il en avoit prié le P. Joseph, & sa femme plus attachée à ses superstitions, vacillant tousjours, n'advouoit point qu'elle y eust consenty, & taschoit de l'en divertir, disans pour ses raisons que cette eau du Baptesme feroit mourir son enfant, comme elle avoit fait plusieurs autres. En ces entrefaites arriverent les PP. Joseph le Caron & Lallemant, lesquels cognoissans ce petit different furent entre le mary & la femme touchant le Baptesme de leur petite fille, les eurent bien tost vaincus de raisons, & faicts consentir derechef qu'elle seroit baptizée, ce qui fut fait par le R.P. Lallemant, à la prière du P. Joseph. L'on ne luy imposa point de nom pour estre proche de sa fin, car elle mourut le soir mesme de sa naissance, non en Payenne, mais en Chrestienne, qui luy donne le juste titre d'enfant de Dieu, & coheritiere de sa gloire.

Le pere & la mere furent fort affligez de la mort de ceste fille plus qu'ils n'eussent esté de celle d'un garçon, entant comme j'ay dit ailleurs, qu'elles ne sortent point de la maison du pere & que si elles se marient il faut d'ordinaire que le gendre vienne demeurer avec elle au logis de son beau pere. L'on consola ces pauvre gens au mieux que l'on peut, après quoy le Père Joseph leur demanda le corps de la deffuncte qu'ils avoient enveloppé à leur mode, pour la mettre en terre saincte au Cimetière proche Kebec, mais le pauvre homme estoit tellement passionné pour sa fille morte, qu'il la vouloit garder, & la porter par tout où il yroit, disant que puis que son ame estoit au Ciel, elle prieroit Latahoquan, qui est le Créateur, pour sa famille, & qu'elle n'auroit jamais de faim. Et comme on luy eut dit qu'à la fin il se lasseroit d'un tel fardeau. Il respondit que du moins il ne la vouloit pas enterrer que ceux de sa Nation ne fussent arrivez à Kebec pour en faire le festin plus solemnel, & leur tesmoigner par effect l'ayse & le contentement qu'il avoit du Baptesme de sa fille, & qu'à present il se pouvoit dire parent & allié de tous les François depuis cette magnificence.

Nonobstant les RP. le gaignerent tellement qu'il consentit qu'elle seroit enterrée en terre saincte, & avec les ceremonies de la saincte Eglise, au plustost qu'il se pourroit, sans attendre la venue de ceux de son pays, qui ne devoit pas estre de long temps. A ceste cérémonie se trouverent deux de nos Religieux, sçavoir le P. Joseph, & le F. Charles, le P. Lallement, & le F. François Jesuite avec plusieurs François de l'habitation, qui tous ensemblement se transporterent à la cabane de la deffuncte, qu'ils prirent & la porterent solemnellement en la Chappelle de Kebec chantans le Psalme ordonné aux enfans, puis le R.P. Lallement ayant dit la saincte Messe on fust l'enterrer au cimetière avec un assez beau convoy pour le pays, car le pere de l'enfant marchoit tout le beau premier couvert d'une peau d'Eslan toute neuve enrichie de matachias & bigarures, & avec luy marchoit le sieur Hébert & les autres François en suitte, selon l'ordre qui leur estoit ordonné, non si gravement mais moins modestement que ce Sauvage pere, qui tenoit mine de quelque signalé Prelat.

L'insolence & l'avarice sont blasmables, mesmes par ceux qui ne cognoissent point Dieu. Quand il fut question d'enterrer le corps il y eut quelque débat entre les François à qui appartiendroit les fourures dans quoy il estoit enveloppé, & vouloient luy arracher, particulierement un certain qui se disoit officier de la Chappelle, si la risée & moquerie des autres ne l'en eussent empesché. Ce que voyant le père de la deffuncte, il ne voulut permettre qu'aucun autre que luy l'enterrast peur du larrecin & des debas des François en quoy il se monstra tres-sage. Il disposa donc la fosse & la para avec des rameaux de sapin tout autour en dedans & mist 3 ou 4 bastons au fond pour empecher, que le corps des-ja enveloppé & garotté, ne touchast à la terre. Estant dans la fosse, il le couvrit d'une escorce de bouleau, & replia par dessus les rameaux de sapin qui sortoient en dehors, puis par dessus plusieurs pieces de bois pour le tenir en seureté contre les bestes, sans vouloir, permettre qu'aucun y jettast de la terre, jusques au lendemain matin qu'à son insceu on l'en couvrit peur de plus grand inconvenient.

Ce bon Sauvage a esté tousjours du depuis grand amy des François, & tesmoigna au renouveau suivant, à tous ceux de sa Nation, l'aise & le contentement qu'il avoit du salut de sa fille, par un festin solemnel qu'il leur fist plus splendidement que de coustume en la memoire de la deffuncte qu'il n'avoit pu faire pour leur absence le jour de la sepulture.

La joye que nous eusmes du salut de cette pauvre ame, fut bien-tost suivie d'une affliction en la mort du sieur Hebert, laquelle fut autant regrettée des Sauvages que des François mesmes, car ils perdoient en luy un vray pere nourricier, un bon amy, & un homme tres-zelé à leur conversion, comme il a tousjours tesmoigné par effect jusques à la mort, qui luy fut aussi heureuse comme sa vie avoit pieusement correspondu à celle d'un vray Chrestien, sans fard ny artifice.

Je ne peux estre blasmé de dire le bien là où il est, & de déclarer la vertu de ce bon homme, pour servir d'exemple à ceux qui viendront aprés luy, puis qu'elle a esclatté devant tous & a esté en bonne odeur à tous. Si je n'en dis point autant des vivans, personne ne doit estre appellé Sainct qu'après sa mort, ny jugé comme meschant, jusques aprés le trespas, pour ce qu'on peut tousjours déchoir de sa perfection ou sortir du vice pour la vertu. Un jour juge de l'autre, mais le dernier juge de tous disoit un Philosophe, & par ainsi il faut attendre aprés la mort pour juger de l'homme.

Dieu voulant retirer à soy ce bon personnage & le recompenser des travaux qu'il avoit souffert pour Jesus-Christ, luy envoya une maladie, de laquelle il mourut 5 ou 6 sepmaines après le baptesme de ceste petite fille de Kakemistic. Mais auparavant que de rendre son ame entre les mains de son Createur, il le mist en l'estat qu'il desiroit mourir, receut tous les Sacremens de nostre P. Joseph le Caron, & disposa de ses affaires au grand contentement de tous les siens. Apres quoy il fist approcher de son lict, sa femme & ses enfans ausquels il fist une briesve exhortation de la vanité de cette vie, des tresors du Ciel & du mérite que l'on acquiert devant Dieu en travaillant pour le salut du prochain. Je meurs contant, leur disoit-il, puis qu'il a pleu à nostre Seigneur me faire la grâce de voir mourir devant moy des Sauvages convertis. J'ay passé les mers pour les venir secourir plustost que pour aucun autre interest particulier, & mourrois volontiers pour leur conversion, si tel estoit le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie de les aymer comme je les ay aymez, & de les assister selon vostre pouvoir, Dieu vous en sçaura gré & vous en recompensera en Paradis: ils sont créatures raisonnables comme nous & peuvent aymer un mesme Dieu que nous s'ils en avoient la cognoissance à laquelle je vous supplie de leur ayder par vos bons exemples: & vos prieres.

Je vous exhorte aussi à la paix & à l'amour maternel & filial, que vous devez respectivernent les uns aux autres, car en cela vous accomplirez la Loy de Dieu fondée en charité, cette vie est de peu de durée, & celle à venir est pour l'éternité, je suis prest à l'aller devant mon Dieu, qui est mon juge, auquel il faut que je rende compte de toute ma vie passée, priez le pour moy, afin que je puisse trouver grace devant sa face, & que je sois un jour du nombre de ses esleus; puis levant sa main il leur donna à tous sa benediction, & rendit son ame entre les bras de son Créateur, le 25 jour de Janvier 1617, jour de la Conversion fainct Paul, & fut enterré au Cimetière de nostre Convent au pied de la grand Croix, comme il avoit demandé estant chez nous, deux ou trois jours avant que tomber malade, comme si Dieu luy eut donné quelque sentiment de sa mort prochaine.

Histoire de la conversion & baptesme de Mecabau Montagnais, avec l'exhortation qu'il fit à sa femme & à ses enfans avant sa mort.

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