CHAPITRE III.

CE n'est pas de merveille qu'il se trouve de certains animaux en quelques contrées qui ne se voyent point en d'autres, car il y en a qui ne se plaisent qu'au froid & les autres à la chaleur: c'est pourquoy en quelque Royaumes d'Afrique, il n'y a nulles bestes à quatre pieds, lesquelles n'y peuvent vivre pour l'extreme chaleur qu'il y faict: pour ce mesme suject on n'y voit ny sanglier, ny cerf, ny chevre, ny ours, au rapport de quelques Autheurs, sinon que les Espagnols y en ayent faict passer.

Et ceux qui ont traicté du nouveau monde & de l'Amerique entiere, asseurent qu'avant que les mesme Espagnols l'eussent conquise, il n'y avoit ny chiens, ny moutons, ny brebis, ny chevres, ny pourceaux, ny chats, ny asnes, ny boeufs, ny chevaux, chameaux, mulets, ny elephans, de tous lesquels il ny en avoit non plus dans tout le Canada, excepté des chiens, lesquels sont encore un peu differens des nostres de deça.

Mais à present & depuis longues années, il se trouve dans ce nouveau monde ou Mexique, une presque infinie multitude de toutes les especes d'animaux necessaires au service & nourriture de l'homme, que les Espagnols y ont faict conduire des parties d'Europe, d'Asie & d'Afrique.

Il n'y a que nostre pauvre Canada qui en est tres mal pourveu. On y a seulement faict passer quelques vaches, chevres; pourceaux & & volailles communes & rien plus. Nos Religieux y ont eu faict passer un asne & une asnesse, tant pour peupler, que pour le service qu'on en pouvoit esperer en un païs où il n'y a d'animaux de charge, mais les hyvernans de Kebec, les ont tellement fatiguez qu'en fin ils y ont fait mourir l'asne, & n'y reste plus que l'asnesse, que nous laissons tout l'Esté coucher emmy les champs, & en liberté de se nourrir où elle veut, sinon pendant l'Hyver qu'elle se retire en une petite estable, que nos Religieux luy ont faict accommoder à la basse court de nostre petit Convent.

Il arriva un petit traict gentil en la descente de ces deux animaux, car comme les Sauvages furent advertis qu'il y avoit aux barques deux bestes etrangeres, tous accoururent au port pour en avoir la veuë, & se tindrent là coy tandis qu'on les debarquoit, qui ne fut pas sans peine, mais le plaisir fut à leur beau ramage, car quand ils commencèrent d'entonner leur notte, qu'ils rehaussoient à l'envie à mesure qu'ils sentoient le doux air de la terre, tous les Sauvages en prirent telle espouvante, qu'ils s'enfuyrent tous à vauderoute emmy les bois, sans qu'aucun regardat derriere-soy, pour se deffendre de ses desmons, ô que voyla de furieuses bestes, disoient ils, que les François nous ont amenez, ou pour nous devorer, ou pour nous resjouir de leur airs musicaux.

Je ne sçay si on les eut voulu vendre aux Sauvages, combien de castors ils en eussent bien offerts, pour estre les premiers qui ayent entré dans le païs, mais j'ay appris (dans l'histoire) que les premiers que les Espagnols firent passer au Peru, il s'en vendit un dans la ville de Huamanca, en l'an 1557, quatre cens huictante ducats, & trois cens septante six marauedis, à Garcillasso de la Vega, pour en faire saillir ses juments & en avoir des mulets. Il en fist depuis achepter un autre huict cens quarante ducats, & il n'eust pas valu en Espagne plus de six ducats, tant les choses rares sont estimées, comme une chevre, qui a esté vendue jusques à cent & dix ducats, mais maintenant elles y ont si bien multiplié depuis ce temps là, que si l'on en faict cas aujourd'huy, ce n'est seulement que pour en avoir la peau & si on avoit le soin de passer de mesme de toutes nos especes d'animaux dans le Canada, on en verroit avec le temps la mesme multitude, mais il y faudroit aussi des familles, pour les gouverner.

Or bien que le pais de nos Hurons soit desnué de beaucoup d'especes d'animaux que nous avons icy. Dieu le Créateur leur en a pourveu de plusieurs autres sortes, qui leur sont utiles, & desquels le païs ne manque non plus que l'air & les rivieres, d'oyseau & de poissons.

Ils ont trois diverses espece de renards tous differens en poil & en couleur, & non en finesse & cautelle, car ils ont la mesme nature des nostres de deçà, mais beaucoup plus estimez pour leurs fourures, très-excellentes & riches.

L'espece la plus rare & la plus riche des trois, sont ceux qu'ils appellent, Hahyuha, lesquels ont tous le poil noir comme gey, & pour cette cause grandement estimez, jusques à valoir plusieurs centaines d'escus la piece entre les Allemands & peuples; Septentrionnaux pour des fourures, ou bords à leurs bonnets.

La seconde espece la plus estimée, sont ceux qui'ils appellent Tsinantontonque, lesquels ont une barre ou liziere de poil noir, qui leur prend le long du dos, & passe par dessous la ventre, large de quatre doigts ou environ, le reste est aucunement roux & grisatre.

La troisiesme espece sont les communs, appellez, Andasatey, ceux cy sont presque de mesme grosseur, & du poil des nostres, sinon que la peau semble mieux fournie, & le poil un peu plus grisatre. De toutes lesquelles especes, il nous en fut donné quelque peaux par des Sauvages estrangers, nous venans visiter en nostre maison Huronne, lesquelles sont demeurées à nos François aprés nous en estre servy pendant les grands; froids.

Ils ont aussi trois sortes d'escurieux differends, & tous trois plus beaux & plus petits que ceux de nostre Europe. Les plus estimez & rares sont les escurieux volans, nommez Sahouesquanta, qui ont la couleur cendrée, la teste un peu grosse, le poil doux & court, & les yeux petits: Ils sont appellez volans, non qu'ils ayent des ailles, mais à raison qu'ils ont une certaine peau aux deux costez, prenans de la patte de derrière à celle de devant, qu'ils replient fort proprement contre leur ventre quand ils marchent puis l'estendent quand ils volent, comme ils font aysement d'arbre en arbre, & de terre jusques au dessus.

Les premiers que je vis furent trois jeunes qui nous furent apportez par l'une des filles du grand Capitaine Auiondaon, que je receus sans sçavoir que c'estoit; jusques à l'arrivée du Père Joseph à qui je les donnay à nourrir, comme il fit un assez long-temps, mais qui à la fin se laisserent mourir, ou par trop de froid, ou pour ne les sçavoir accommoder, dequoy nous eusmes quelque regret, car c'estoit un present digne d'une personne de condition, joint qu'ils sont assez rares dans le pays.

La seconde espece qu'ils appellent Ohihoin, & nous Suisses, à cause de leur bigarure sont ceux qui sont rayez & barrez universellement par tout le corps, d'une raye blanche, puis d'une rousse, grize & noiraste, qui les rendent tres-beaux & agréables, mais qui mordent comme perdus, s'ils ne sont apprivoisez, ou que l'on ne s'en donne de garde.

La troisiesme espece, sont ceux qui sont presque du poil, & de la couleur des nostres, qu'ils appellent Aroussen, & ny a presque autre différence, sinon qu'ils sont plus petits.

Au temps de la pesche que j'estois cabané dans une Isle de la mer douce, j'y vis un grand nombre de ces animaux profiter de nostre pesche, desquels j'eu plusieurs de ceux que mes Sauvages tuerent à coups de flesches, & en pris un Suisse dans le creu d'un arbre tombé.

Ils ont en plusieurs endroits des Lievres, & lapins qu'ils appellent Quentonmalisia, les sapinieres & petits bois sont les lieux de leur retraite, à la sortie desquels les Sauvages tendent des lacets, mais ils en prennent bien peu souvent, quoy qu'il y en ait en quantité sur le chemin des Quieunontateronons, car les cordelettes n'estant ny bonnes ny assez fortes, ils les couppent aysement quand ils s'y trouvent attrappez, ou bien en autre façon, les Sauvages les tuent avec leurs arcs ou matras.

Les loups cerviers nommez Toutsitsoute, de la peau desquels les grands font tant d'estat pour leurs fourures plus riches, en quelque Nation sont assez frequents. Mais les loups communs qu'ils appellent Anarisque, sont assez rares par tout, aussi en estiment ils grandement la peau, de laquelle ils font de riches robes de Capitaines, comme de celle d'une espece de leopard ou chat sauvage qu'ils appellent Tiron. Il y a un pays en cette grande estendue de terre, que nous surnommons la Nation de Chat, pour raison de ces chats, petits loups ou leoparts qui se retrouvent dans leur pays, desquels ils font leur robes qu'ils parsemenr, & embellissent de quantité de queues d'animaux cousues tout alentour des bords, & par le milieu du corps, és endroicts où elles paroissent le plus. Ces chats ne sont gueres plus grands que renards, mais ils ont le poil du tout semblable à celuy d'un loup commun, car j'y fus moy mesme trompé au choix.

Ils ont vers les Neutres une autre espece d'animaux nommez Otay, ressemblant à un escurieux grand comme un petit lapin d'un poil tres-noir, & si doux, poly & beau qu'il semble de la panne. Ils font grand cas de ces peaux desquelles ils font des robes & couvertures, où il y en entre bien une soixantaine qu'ils embellissent par tout à lentour, des testes, & des queues, de ces animaux qui leur donnent bonne grace, & rendent riches en leur estime.

Les enfant du diable que les Hurons appellent Scangaresse, & le commun des Montagnais Babougi Manitou, ou Ouinesque; est une beste fort puante de la grandeur d'un chat ou d'un jeune renard, mais elle a la teste un peu moins aiguë, & la peau couverte d'un gros poil rude & enfumé, & sa grosse queue retroussée de mesme, elle se cache en Hyver sous la neige, & ne sort point qu'au commencement de la Lune du mois de Mars laquelle les Montagnais nomment Ouinescon pismi qui signifie la Lune de la Ouimesque. Cet animal outre qu'il est de fort mauvaise odeur est tres-malicieux, & d'un laid regard, ils jettent (à ce qu'on dit) parmy leurs excremens des petits serpens, longs & déliez, lesquels ne vivent néanmoins gueres long-temps. J'en pensois apporter une peau passée, mais un François passager me l'ayant demandée je la luy donnai.

Les eslans ou orignals en Huron Sondareinta sont frequents & en grand nombre au pays des Montagnais, & fort rares à celuy des Hurons sinon à la contrée du Nort, d'autant que ces animaux se plaisent dans les pays froids & montagneux, plus qu'aux pays chauds & temperé. C'est l'animal le plus haut qui soit aprés le chameau: car il est plus haut que le cheval, il a le poil ordinairement grison, quelquefois fauve, & assez long, mais un peu rude, sa teste est fort longue & porte son bois double & branchu comme le cerf, mais large & plat en quelque façon comme celuy d'un dain, & long de trois pieds ou environ. Le pied en est fourchu comme celuy du cerf, mais beaucoup plus plantureux, la chair en est courte & fort delicate, & la langue très-excellente, il paist aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante manne des Canadiens, & Montagnais, pendant l'Hyver, comme le poisson pendant l'Esté. L'on en nourrissoit un jeune au Fort de Kebec destiné pour la France, que je fus voir, mais il ne pû estre guery de la morsure des chiens qui l'avoient arresté, & mourut quelque temps aprés. On tient que la femelle porte tousjours deux petits & tousjours malle & femelle, neantmoins la chose n'est pas tellement infaillible qu'on n'aye quelquefois veu le contraire.

Il y a en plusieurs contrées des caribous, ou asnes sauvages, que quelqu'uns appellent ausquoy à mon advis les montagnais en prennent assez souvent, desquels il nous donnerent un pied, qui estoit creux & si leger de la corne, & fait de telle sorte, qu'on peut aysement croire ce qu'on dit de cet animal qu'il marche sur les neiges sans y enfoncer, mais je n'en veux point asseurer par ce que je n'en ay point veu l'experience, & me contente de dire que je donnay ce pied à un François qui me le demanda avec importunité, autrement je l'aurois apporté icy.

Les ours nommez Agnouoin, sont plus, communs dans le Canada que les loups, & y en a de deux sortes, sçavoir, noir & blanc mais les blancs sont beaucoup plus grands & plus dangereux que les noirs, car ils combatent les hommes, & les devorent, ils habitent particulierement (à ce qu'on dit) vers l'Isle Danticosti à l'embouchure du fleuve S. Laurent, qui n'est frequenté que de bien peu de Sauvages, mais les contrées plus ordinaires où se nourissent ces animaux farouches sont les hautes montagnes, & les pays très-froids.

On tient qu'au Temple de sainct Olaus en Normandie qui despend de l'Archevesché de Trudun, & aux pieds du siege Pontifical, on y void la peau d'un ours, qui surpasse en blancheur la neige, ou le lis, elle est large de quatorze pieds. Marc Pole asseure avoir veu en Tartarie des ours blancs de vingt aulnes de longueur, ce que j'ay peine à croire, encore qu'Olaus en fasse mention, pour ce qu'il semble que le conte soit hors de raison, & dit pour faire admirer les simples. Albert le Grand, & plusieurs autres avec luy, racontent que les ours blancs nagent au profond de la mer, & qu'ils y peschent & mangent les poissons ce qui nous est facile à croire en ce que nous voyons les communs mesme, entrer librement dans les eauës, se plonger & nager comme les poissons, tesmoin celuy que je conduit au pays des Hurons, lequel vouloit se jetter dans toutes les eaux qu'il rencontroit en chemin, ou pour se sauver ou pour s'esgayer, & avois de la peine assez de l'en retirer avec la corde qui tenoit à son col, lequel pour revanche (malicieuse beste) vouloit jetter à mes jambes, mais à mesme temps je luy relevois la teste en haut, & ayant bien grondé il s'appaisoit & continuoit son chemin à costé de moy.

Les ours sont tres-bons à manger, c'est pourquoy nos Sauvages en font un grand estat, & tiennent sa chair fort chère, je ne sçay à quoy l'accomparer, car elle ne sent ny le boeuf, ny le mouton, & encore moins le cerf, mais plustost le chevreau, les vieux ont un autre goust, & sont gras comme lard. Il m'arriva de dire à Monsieur le Mareschal de Bassompiere que j'avois mangé de la chair d'ours, & l'avois trouvée bonne. Il m'asseura que au dernier voyage qu'il fit en Suisse pour le Roy il en avoit aussi mangé en un festin que luy firent les Suisses, & ne l'avoit point trouvée mauvaise. Nos Sauvages les engraissent (car la graisse est leur succre) avec une manière facile, ils font une petite tour au milieu de leurs cabanes, avec des pieux picquez en terre, & la ils enferment la beste, à laquelle ils donnent à manger par les entredeux des bois, des restes de sagamité, sans crainte des pattes & de leurs dents, & estant bien grasse, ils en font un bon festin à tout manger.

Le Pere Joseph le Caron m'a raconté dans le pays, qu'hyvernant avec les Montagnais, ils trouverent dans le creux d'un chesne, une ourse avec ses petits couchez sur quatre ou cinq petites branches de cedre, environnez de tout costez de tres-hautes neiges, sans avoir rien à manger, & sans aucune apparence qu'ils fussent sortis de là pour aller chercher de la provision depuis trois mois & plus, que la terre estoit par tout couverte de ces hautes neiges: cela m'a fait croire avec luy, ou que la provision de ces animaux estoit faillie depuis peu, ou que Dieu, qui a soin & nourrist es petits corbeaux delaissez, substante par une manière à nous incognuë, ces pauvres animaux au temps de la necessité: ils les tuerent sans difficulté, car ils n'eussent sceu s'eschapper ou se deffendre, & en firent bonne chere, avec les ceremonies accoustumées entr'eux, qui sont telles (à ce que j'ay ouy dire,) que toutes les filles nubiles, & les jeunes femmes mariées, qui n'ont point encore eu d'enfans, tant celles de la cabane où l'ours doit estre mangé, que des autres voisines, s'en vont dehors, & ne r'entrent point tant qu'il y reste aucun morceau de cet animal, dont elles ne goustent point, & ne sçay pourquoy.

Les cerfs qu'ils appellent Sconoton, sont plus communs dans le pays des Neutres, qu'en toutes les autres contrées Huronnes, mais, ils sont un peu plus petits que les nostres de deça, & tres-legers du pied, neantmoins ces Attiuoindarons avec leurs petites raquettes attachées sous leurs pieds, courent sur les neiges avec la mesme vitesse des cerfs, & en prennent en quantité, par d'autres inventions qui ne sont pas en usage en nostre Europe. Ils en font boucaner d'entiers pour leur Hyver, & n'ostenr point les fumées des entrailles qu'ils font cuire ensemble avec les intestins dans la sagamité. Cela faisoit un peu estonner nos François au commencement, mais; il falloir avoir patience & s'accoustumer à manger de tout, car il n'y avoit pas là de viande à choisir, ny de rue aux ours pour avoir du rosty.

Il y a quantité de porcs-epics, lesquels les Canadiens sçavent attraper pour leur nourriture, & des pointes pour leurs matachias, j'ay dit aillieurs comme ils leur sçavent donner couleur, & s'en servir, parquoy je ne le repeteray point icy. Ils ont aussi des martres assez belles, desquelles ils font de bonnes fourures pour se couvrir en Hyver, & après les traittent aux François.

On tient qu'il y a des dains en quelque contrées, mais pour des Buffles, le P. Joseph m'a asseuré en avoir veu des peaux entières entre les mains d'un Sauvage de pays fort esloigné, je n'en ay point veu, mais je croy ce bon Pere.

Parlons à present des chiens & de leur naturel; car entre tous les animaux qui servent à l'homme, il tient le premier rang pour la fidélité, nous en avons des exemples très remarquables, & qui nous font admirer, tesmoin celuy qui portoit à la bouche de son Maistre estendu mort sur un eschafaut, le pain que les passans luy donnoient par compassion, & qui aprés se noya voulant sauver son Maistre jetté dans le Tibre, 3 jours aprés son execution. Voicy une autre exemple presque pareille, & plus recente que nous apprend l'ordinaire arrivé de la ville de Minden en Allemagne, datté du 13 Mars 1655, un cavalier que son cheval avoit jetté dans la riviere, pendans ces grandes inondations d'eaux, estoit desja à fonds, & se noyoit, lors qu'un chien qu'il nourrissoit de longue main & luy tenoit tousjours compagnie, faisant le plongeon, le prit à belles dents par les cheveux, & luy tint la teste hors de l'eau, tant que les bateliers de là auprès le tirèrent de ce péril, & luy firent confesser qu'il devoit à son chien la vie que son cheval luy avoit ostée.

Je rapporteroy icy tour plein d'autres exemples de cette fidelité canine, n'estoit la brieveté que je me suis proposée & qui m'oblige de passer beaucoup de choses sous silence, mais encor ne veux je point obmettre de dire comme je passois un jour par une bourgade chez un Gentilhomme de nos amis; son chien s'esgayant seul dans la campagne prit un lievre à la course, lequel un certain paysan sceut si bien cajoler qu'il luy enleva sa prise & l'emporta en sa maison, dequoy le chien indigné au possible le suivit & l'ataqua diverses fois, mais n'en ayant pû tirer raison, il en fut faire ses plaintes à son Maistre, avec de souspirs & abbayemens qui tesmoignoient assez ses ressentimens, & que quelque malheur luy estoit arrivé; en fin le sieur Moriset, ainsi s'appelloit ce Gentilhomme, voulut s'esclaircir des plaintes de son chien, & pourquoy il le tiroit & monstroit de sortir à la porte, il suivit donc cette beste qui le conduit droit au logis de ce paysan, lequel se croyant descouvert s'accusa de luy mesme, disant qu'il luy alloit porter un lievre qu'il avoit osté à fon chien, peur qu'un autre le prist. Je sçavois bien, dit alors le Gentilhomme, que mon chien avoit raison de m'amener icy, une autre fois n'usez plus de pareille courtoisie.

Fidelité & recognoissance telle qu'elle fait honte à celle de l'homme, qui n'a d'amitié que pour ses interests particuliers, où le chien n'a pour tout espoir qu'un morceau de pain, souvent meslé des effects de vostre cholere, sans que les coups le fassent bouger de vos pieds, couché contre terre, les pattes eslevées comme vous demandant pardon, innocent qu'il est à vous son criminel. Que pleust à Dieu que nous fussions ainsi humble devant Dieu, au temps de sa visite, & que les miseres ausquelles l'homme est sujet fussent un affermissement de nostre fidelité envers de Dieu de qui nous dependons.

Tout ce que l'on peut trouver de blasmable au chien, & qui ternit sa fidelité, est un mauvais naturel qu'il a envers son semblable affligé, car si un chien est accablé, ou mal traité d'un autre, incontinent tous les autres chiens se jettent encor dessus, sans s'informer s'il a tort ou non, c'est assez qu'ils le voyent abayé pour l'accabler s'ils peuvent, ainsi en font les cruels politiques en ce monde envers les gens de bien ordinairement affligez. On dit du pourceau tout au contraire du chien, que si l'un d'eux crie à l'aide, tous les autres vont au secours, cela estant, le pourceau a donc le naturel meilleur que l'homme meschant, & Dieu vueille que dans des congregations bien sainctes, aussi bien que dans le monde, on en voye point ce malheureux naturel du chien, d'affliger l'affligé, & mespriser celuy qui n'est point favorisé, ce que font ordinairement les gausseurs, & ceux qui n'ont jamais sçeu que c'est d'honnesteté au monde.

Les chiens du Canada sont un peu differens des nostres, sinon au naturel, & au sentiment, qui ne leur est point mauvais. Ils hurlent plustost qu'ils n'abayent & ont tous les oreilles droites comme renards, mais au reste tout semblables aux matins de mediocre grandeur de nos villageois, arrestent l'eslan & descouvrent le giste de la beste, & sont de fort petite despence à leur maistre, mais au reste, plus propre à la cuisine qu'à tout autre service.

La chair en est assez bonne & sent aucunement le porc, peut-estre à cause des salletez des rues de quoy ils se nourrissent principalement, j'en mangeois assez peu souvent, car une telle viande est fort estimée dans le pays, c'est pourquoy je n'en avois pas si souvent que j'eusse bien desiré. Ils sont fort importuns dans les cabanes, marchent sur vous, & s'ils rencontrent le pot au descouvert ils ont incontinent leur museau aigu dans la sagamité, qui n'en est pas estimée moins nette.

Il y a une espece de grosses souris aux Hurons que je n'ay point veu ailleurs. Ils les appellent Tachro, une fois plus grosses que les communes qu'ils appellent Tsongyatan, & moins puissantes que les rats desquels je n'ay point veu aux Hurons, & ne sçay s'il y en a aucun non plus qu'au Peru avant la venue des Espagnols; où on dit qu'il y en a à present dans les villes basses, & par la campagne, de si prodigieux, qu'il n'est point de chat si hardy soit-il, qui les oze combatre, & non pas mesme les regarder, cela estant on peut croire que l'origine en est venue de ceux qui s'engendrent dans les Navires, qui pourroient avoir esté portés à terre dans les hardes des Espagnols lors qu'ils y descendirent pour la conqueste du pays, & que le climat, où toutes, autres choses viennent dans leur plus grande perfection ait fait grossir ces animaux au delà de l'ordinaire.

Mais ce qui est plus probable, je croy que ces rats sont entrez dans les Indes, & le Peru, comme ils entrent aux ports de France, ou vous voyez que peu de temps aprés que les navires ont esté deschargez, & qu'il ny a plus de quoy manger, ils sçavent trouver les cables sur lesquels ils se coulent à terre file à file, & puis se logent aux premieres hostelleries sans fouriers, s'ils ne sont empeschez par les petits garçons, qui à coups de bastons leur font furieusement la guerre, mais de jour, car la nuict ils font mieux leur debarquement.

Il est vray que si nos Hurons sont exempts de rats, ils ont des souris communes en grand nombre qui leur font un merveilleux degast de bled, & de poisson sec, quand elles y peuvent atteindre. Les Sauvages mangent le tachro sans horreur aussi faisoient mes confreres ceux que nous prenions la nuict sous des pieges, dans nostre cabane, sans que nous les peussions autrement discerner des souris communes qu'à la grosseur, & à la rareté, car nous en prenions peu souvent, & quantité des autres que l'on jettoit aux champs comme nuisibles.

S'ils ont des souris sans nombre ils ont des puces à l'infiny, qu'ils appellent Touhauc, & particulièrement pendant l'Esté, desquelles ils seroient fort tourmentez s'ils estoient chargez d'habits, mais ils sont vestus à la legère un petit brayer de cuir, & la robe quand ils veulent.

Pour les petits vermisseaux qu'ils nomment Tsiuoy, les femmes les mangent avec delectation & plaisir, & y font une chasse aussi exacte qu'on pourroit faire à un excellent gibier, mais ils en ont tres-peu en comparaison des puces. Quelqu'uns ont voulu dire que les Sauvages ne mangent ces petits vermissaaux que par vengeance, disans je morderay qui m'a mordu, mais ils se sont trompez, car il n'y a ordinairement que les femmes qui en mangent & ce par delice, & non point les hommes, du moins je ne leur en ay point veu manger, ny faire estat comme font les femmes, & les filles indifferemment.

L'invention quelles ont pour les avoir de leurs fourures est gentille, elles picquent 2 battons en terre, l'un d'un costé, & l'autre de l'autre devant le feu, puis elles y attachent la peau le poil en dehors or ces vermisseaux sentans la chaleur sortent du fond du poil, & se tiennent à l'extrémité, où ils sont pris par les Sauvagesses, & croquez entre leurs dents; une merveilleuse coustume s'observoit jadis en quelque Provinces des Indes Occidentales, où l'oisiveté n'avoit point de lieu. Les pauvres impotens qui n'avoient ny moyens pour vivre, ny santé pour en gaigner, devoient payer au Roy un nombre de cornets de ces vermisseaux qu'il leur avoit enjoint, afin de les obliger à occuper le temps, & à se tenir nettement.

Des Poissons, & bestes aquatiques.

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