CHAPITRE IV.

Dieu, qui a peuplé la terre de diverses especes d'animaux, tant pour le service de l'homme, que pour la decoration & embelissement de cet univers, a aussi peuplé la mer & les rivieres d'autant, ou plus, de diversité de poissons, qui tous subsistent dans leurs propres especes, & en nombre presque infiny, bien que tous les jours l'homme en tire une partie de sa nourriture, & les poissons gloutons qui font la guerre aux autres dans le profond des abysmes, en engloutissent & mangent à l'infiny: ce sont les merveilles de Dieu.

Il est vray que les poissons n'ont rien de commun avec les hommes, & qu'il y en a bien peu qui s'accoustument, & adoucissent avec eux, & entendent quand on les appelle, & prennent à manger de leur main, comme la Murène du Romain Crassus tant celebrée de tous; & toutesfois ils ont esté creez avant les autres animaux, & avant l'homme mesme, & n'ont jamais esté sujets à la malediction non plus que les eauës, qui les environnent, car Dieu maudissant Adam n'a maudit les eaux, pour ce qu'il n'a beu de l'eau contre le commandement de Dieu, mais bien mangé du fruict de la terre, qui luy estoit deffendu. On sçait par experience, que les poissons marins se delectent aux eaux douces auffi bien qu'en la mer, puis que par fois on en pesche dans nos rivieres; Mais ce qui est admirable en tout poisson, soit marin, ou d'eau douce, est; qu'ils cognoissent le temps & les lieux qui leur sont commodes & ainsi nos pescheurs de molues jugèrent à trois jours prés, le temps qu'elles devoient arriver, & ne furent point trompez, & en suitte les maquereaux qui vont en corps d'armée, serrez les uns contre les autres comme un bataillon bien rangé, le petit bout du museau à fleur d'eau, pour descouvrir les embuches, des pescheurs.

Cela est admirable, mais bien plus encore de ce qu'ils vivent & se resjouissant dans la mer salée, & neantmoins s'y nourrissent d'eau douce, qui y est entre-meslée, que, par une maniere admirable, ils sçavent discerner & succer avec la bouche parmy la salée, comme dit Albert le Grand: voire estans morts si l'on les cuit avec l'eau salée, ils demeurent neantmoins doux. Mais quand aux poissons, qui sont engendrez dans l'eau douce & qui s'en nourrissent, ils prennent facilement le goust du sel, lors qu'ils sont cuits dans l'eau salée. Ce font secrets de la nature.

Or de mesme que nos pescheurs ont la cognoissance de la nature de nos poissons, & comme ils sçavent choisir les saisons & le temps pour se porter dans les contrées qui leur sont commodes, aussi nos Sauvages aydez de la raison & de l'expérience, sçavent aussi fort bien choisir le temps de ls pesche, quel poisson vient en Automne ou en Esté, ou quel en l'une ou en l'autre saison.

Pour ce qui est des poissons qui se retrouvent dans les rivieres & lacs au païs de nos Hurons, & particulièrement à la mer douce. Les principaux sont l'assihendo, duquel nous avons parlé ailleurs, & des truites qu'ils appellent ahouyoche, lesquelles sont de desmesurée grandeur pour la pluspart, & n'y en ay veu aucune qui ne soit plus grosse que les plus grandes que nous ayons par deçà: leur chair est communement rouge sinon à quelqu'unes qu'elle se voit jaune ou orangée, mais excellemment bonne.

Les brochets, appellez soruissan, qu'ils y peschent aussi, avec les esturgeons, nommez hixrahon, estonnent les personnes, tant il s'y en voit de merveilleusement grands, & friands au delà de toutes nos especes de poissons: je le sçay par experience, car j'en ay fait les espreuves dans la necessité, qui me faisoit trouver la sauce à l'eau douce & bonne comme beurre fraiz, & puis on dira qu'on ne sçauroit manger le poisson, sans le sel, l'espice ou le vinaigre, on se trompe, car je le mangeois sortant de l'eau seule & le trouvois bon.

Quelques sepmaines après la pesche des grands poissons, ils vont à celle de l'einchataon, qui est un poisson un peu approchant aux barbeaux de par deça, long d'environ un pied & demy, ou peu moins: ce poisson leur sert pour donner goust à leur sagamité pendant l'Hyver, c'est pourquoy ils en font autant d'estat comme du grand, poisson, & afin qu'il fasse mieux sentir leur potage, ils ne l'esventrent point, & le conservent pendu par monceaux aux perches de leurs cabanes; mais je vous asseure qu'au temps de Caresme, ou quand il commence à faire chaud, qu'il put et sent si extremement mauvais, que cela nous faisoit bondir le coeur, & à eux ce leur estoit muse & civette.

En autre saison ils y peschent à la ceine une certaine espece de poisson, qui semblent estre de nos harangs, mais des plus petits, lesquels ils mangent frais & boucanez. Et comme ils sont tres-sçavants aussi bien que nos pescheurs de moluës, à cognoistre un ou deux jours prés, le temps que viennent les poissons de chacune espece, ils ne manquent point d'aller au petit poisson, qu'ils appellent auhaitsique, & en peschent une infinité avec leur ceine, & cette pesche du petit poisson se faict en commun, qu'ils partagent entr'eux par grandes escuellées, duquel nous avions nostre part comme bourgeois de leur bourgade sainct Joseph, ou Quieunonascaran.

Ils peschent aussi de plusieurs autres especes de poissons, mais comme ils nous sont incognus, & qu'il ne s'en trouve point de pareils en nos rivieres, je n'en fais point aussi de mention.

L'anguille en sa saison, est une manne qui n'a point de prix chez nos Montagnais. J'ay admiré l'extreme abondance de ce poisson en quelqu'unes des rivieres de nostre Canada où il s'en pesche tous les ans vers l'Automne une infinité de centaines & qui viennent fort à propos, car n'estoit ce secours on se trouveroit souvent bien empesché en quelques mois de l'année principalement les Sauvages & nos Religieux en usent comme viande, envoyée du Ciel, pour leur soulagement & consolation. Ils la peschent en deux façons, avec une nasse ou avec un harpon, ce qui se faict la nuict à la clarté du feu. Ils font des nasses avec assez d'industrie, longues, & grosses, capables de contenir cinq & six cens anguilles: la mer estant basse les placent sut le sable en quelque lieu propre & reculé, les asseurent en sorte que les marées ne les peuvent emporter; aux deux costez ils amassent des pierres, qu'ils étendent comme une chaisne ou petite muraille de part & d'autre, afin que ce poisson qui va tousjours au fond rencontrant cet obstacle, se glisse doucement vers l'emboucheure de la nasse où le conduisent ces pierres: la mer venant à se grossir couvre la nasse, puis se rabaissant, on la va visiter: par fois, on y trouve cent ou deux cens anguilles d'une marée, quelquefois plus, & d'autrefois point du tout, selon les vents & les temps. Quand la mer est agitée, on en prend beaucoup, quand elle est calme, peu ou point, mais alors ils ont recours à leur harpon, comme je vis faire en la mer douce, proche un village des cheveux relevez, tirant aux Hurons.

Voicy comme les Sauvages font seicherie de ces poissons. Ils les laissent un peu egouster, puis leur couppent la teste & la queuë, il les ouvrent par le dos, puis les ayans vuidés ils les tailladent, afin que la fumée entre par tout: les perches de leurs cabanes en sont toutes chargées, estans bien boucanez, ils les accouplent & en font de gros paquets environ d'une centaine à la fois. Voyla leurs vivres principaux jusques à la neige, qui leur donne de l'orignac & autres animaux.

Comme j'estois en nostre Convent de Kebec prest de partir pour les Hurons, nos freres eschaperent un loup marin s'esgayant au Soleil sur le bord de l'eauë, car leur canot n'ayant pû assez tost ranger la terre à cause de la violence du flux, il s'eschappa, autrement il estoit à eux pour quelque coups de baston, qui est la maniere de les tuer, car ne pouvans courir ils sont aysement pris s'ils sont tant soit peu esloignez de leur element naturel. Voyla comment les Montagnais en prennent souvent, & en font de bons festins, mais ils ne se prennent qu'en de certaines saisons.

Au lieu nommé par les Hurons Onthrandéen, & par nous le Cap de victoire, ou diverses Nations de Sauvages s'estoient assemblés; je vis, en la cabane d'un Montagnais un certain poisson, que quelqu'uns appellent Chaousarou gros comme un grand brochet, il n'estoit qu'un des médiocres, car il s'en voit de beaucoup plus grands & qui ont jusque à 8, 9, & 10 pieds à ce qu'on dit; il avoit un bec d'environ un pied & demy de long, fait à peu prés comme celuy d'une becasse, sinon qu'il a l'extremité mousse & non pointu, gros à proportion du corps.

Il a double rang de dens fort aigues & dangereuses, d'abord ne voyans que ce long bec qui passoit au travers une fente de la cabane en dehors, je croyois que ce fust de quelque oyseau rare, ce qui me donna la curiosité de le voir de plus prés, mais je trouvay que c'estoit d'un poisson qui avoit toute la forme du corps tirant au brochet: mais armé de tres-fortes & dures escailles, de couleur gris argenté, & difficile à percer.

Ce poisson a une industrie merveilleuse (à ce qu'on dit,) quand il veut prendre quelque oyseaux, il se tient dedans des joncs ou roseaux, qui sont sur les rives du lac, & met le bec hors de l'eau sans se bouger de façon que lorsque les oyseaux viennent se reposer sur le bec, pensant que ce soit un tronc de bois, il est si subtil, que serrant le bec qu'il tient entr'ouvert, il les tire pat les pieds sous l'eau & les devore. Il ne fait pas seulement la guerre aux oyseaux, mais à tous les autres poissons qui ne luy peuvent resister. Les Sauvages font grand estat de la teste, & se saignent avec les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur, qui se passe soudainement à ce qu'ils disent.

Les castors nommez par les Montagnais Amiscou, & par nos Hurons Tfoutayé, sont la cause principale que plusieurs marchands François traversent ce grand Ocean, pour s'enrichir de leur despouilles, & se revestir de leurs superfluitez, desquels ils apportent si grande quantité toutes les années, que je ne sçay comment on n'en voit la fin.

Ces animaux à ce que l'on tient, sont fort feconds, les femelles portent jusques à cinq & six petits chaque année: mais les Sauvages trouvans une cabane tuent tout, grands & petits, & masles & femelles: il y a danger qu'en fin il n'exterminent tout à fait l'espece en ces païs, comme il en est arrivé aux Hurons.

Cest animal est à peu prés gros comme un mouton tondu ou peu moins, & qui se peut apprivoiser, car nos Religieux de Kebec en avoient un qui les suivoit comme un petit chien & moy mesme en ay veu un autre pareil qu'on nourissoit de tendrons de Vigne. Il a le poil fort doux & le duvet plus que le velour, de couleur chastaignée, & y en a peu de bien noirs. Il a les pieds fort cours & fort propres pour nager, particulièrement ceux de derriere, car ils ont une peau continue entre les ongles, à la façon des oyseaux de rivieres, ou des loups marins; sa queuë n'a point de poil, ny d'escailles qui se puissent lever, elle est toute platte & faicte presque comme une sole sinon qu'elle est plus en ovale & n'a point de bouquet au bout, elles sont de diverses longueurs & grosseurs selon l'animal, je n'en ay point manié ny mangé, qui passent un pied, mais d'un manger fort bon & plus excellent que la chair du corps, qui est tenu pour amphitie, c'est à dire qu'on en peut manger en tout temps, quoy que j'en aye veu faire quelque difficulté en quelque lieu de nostre Europe, car un gentil-homme de ma cognoissance, en ayant tué un en caresme proche de Nancy, nous n'en mangeâmes que la queue & les pattes de derriere, qu'on tenoit pour poisson & le reste viande. Quant à la teste elle est courte & presque ronde, ayant en gueule sur le devant quatre grandes dents tranchantes comme rasoirs, sçavoir deux en haut & deux en bas, desquelles un certain pensa avoir le bras coupé, en en voulant prendre un qu'il avoit blessé à mort d'un coup d'arquebuse au bord de la riviere.

De ces dents il couppe aysement des petits arbres & des perches en plusieurs pieces, dont il bastit sa maison, & mesme à succession de temps, il en couppe parfois de bien gros, quand il s'y en trouve qui l'empeschent de dresser son petit bastiment, lequel est fait de sorte (chose admirable) qu'il n'y entre nul vent, d'autant que tout est couvert & fermé avec du bois & de la terre, si bien liez & unis par ensemble qu'il n'y a mousquet qui la transperce à ce qu'on dit: il y a un trou qui conduit dessous l'eau, & par là se va pourmener le castor où il veut; puis une autre sortie par où il va à terre, & tromper le chasseur. Et en cela, comme en toute autre chose, & voit appertement reluire, la divine providence, qui donne jusqu'aux moindres, animaux de la terre, l'insctinct naturel, & le moyen de leur conservation.

Or ces animaux voulans bastir leurs petites cavernes, ils s'assemblent par troupes dans les forests sombres & espaisses s'estans assemblez ils vont coupper des rameaux d'arbres à belles dents, qui leur servent à cet effect de cognées & les traisnent jusques au lieu ou ils bastissent, & continuent de le faire jusqu'à ce qu'ils en ayent assez pour achever leur ouvrage.

Quelques uns tiennent que ces petits animaux ont une invention admirable à charier le bois, & disent qu'ils choisissent celuy de leur trouppe, qui est le plus faineant ou accablé de vieillesse, & le faisant coucher sur son dos, vous disposent fort bien des rameaux entre ses jambes, puis le traisnent comme un chariot jusqu'au lieu destiné, & continuent le mesme exercice tant qu'il y en ait à suffisance. J'ay veu plusieurs de ces cabanes sur le bord de la grand riviere au pais des Algoumequins, mais elles me sembloient admirables & telles que la main de l'homme n'y pourroit rien adjouster: le dessus sembloit un couvercle à lescive, & le dedans estoit departy en 2 ou 3 estages, l'estage d'embas est sur le bord de l'eau, celuy d'en haut est au dessus du fleuve, quand le froid a glacé les rivieres & les lacs, le castor se tient retiré en l'estage d'en haut, où il a faict sa provision de bois pour manger pendant l'Hyver, il ne laisse pas neantmoins de descendre de cest estage, en celuy d'embas, il se glisse sous les glaces, mais sa retraité plus ordinaire est en l'estage d'en haut, d'autant qu'il craint l'inondation & la pluye.

La chasse du castor se faict ordinairement en hyver, pour ce principallement qu'il se tient dans sa cabane, & que son poil tient en cette saison là & vaut fort peu en esté. Les Sauvages voulans prendre le castor, ils occupent premierement tous les passages par où il se peut eschaper, puis percent la glace du lac gelé, l'endroit de la cabane, puis l'un d'eux met le bras dans le trou attendant sa venue, tandis qu'un autre va par dessus cette glace frappant avec un baston sur icelle pour l'estonner & faire retourner à son giste; lors il faut estre habile pour le prendre au colet, car si on le happe par quelque endroit où il puisse mordre, il fera une mauvaise blessure comme j'ay dit. Ils le prennent aussi à la rets & sous la glace par cest autre invention, on fend la glace en long, proche de la cabane du castor, on met par la fente un rets & du bois qui sert d'amorce, ce pauvre animal venant chercher à manger s'enlace dans ces filets faicts de bonne & forte ficelle double, & encor ne faut il pas tarder à les tirer, car ils seroient bien-tost en pièces; estant sorty de l'eau pat l'ouverture faite en la glace, ils l'assomment avec un gros baston.

Au Printemps le castor se prend à l'attrappe amorcée du bois dont il mange, les Sauvages sont très-bien entendus en ces attrappes, & nous en monstrerent de plusieurs sortes au païs des Hurons, pour diverses sortes d'animaux, dont j'admirois les inventions que nous n'avons pas icy, de l'une desquelles le P. Joseph se servit pour attraper deux renars qui glapissoient toutes les matinées & au soir és environs de nostre cabane, d'où ils ne pouvoient avoir rien à manger. Quelquefois les chiens rencontrant la castor hors la cabane d'où il sort souvent pour paitre ou pour s'aprovisionner, le poursuivent & le prennent aisement, car il ne peut courir viste & n'a de deffence que de sa dent.

Il y en a quelqu'uns, qui disent que si l'on prend du castor trempé en eau, & qu'on le respande sur la mer, c'est un remede asseuré pour faire fuyr la troupe des baleines, & les faire enfoncer dans la mer, combien qu'elles rugissent horriblement, & que cela s'observe en Laponie & Norvegie mais comme je n'en ay point veu l'experience je ne le veux asseurer ny maintenir une chose que je tiens fort douteuse.

Ils ont aussi des rats musqués qu'ils appellent ondathra, qui ne sont de nostre Europe, ny de ceux d'Egypte, desquels on dit comme des musquez qu'ils se servent des deux pieds de devant comme de mains, & marchent debouts des deux pieds de derriere comme les singes. Le rat d'inde est aussi differant de tous ceux là, duquel je diray un petit mot.

On l'appelle rat musqué, pour ce qu'en effet une partie de son corps prise au Printemps sent le musc, en autre temps elle n'a point d'odeur. Les Sauvages en mangent la chair qu'ils font rostir dedans le feu, & conservent les peaux & roignons musquez: ils ont le poil noir, court & doux, presque comme celuy d'une taupe, & les yeux fort petits, ils mangent comme les escurieux avec leurs deux pattes de devant, ils paissent l'herbe sur terre, & le blanc des joncs au fond des lacs & rivieres Il y a plaisir à les voir manger & faire leurs petits tours pendant qu'ils sont jeunes: car quand ils sont à leur entiere & parfaicte grandeur qui approche celle d'un jeune levraut, ils ont une longue queue de guenon, qui ne les rends point aggréables. J'en avois un tres-joly, grand comme un escurieux suisse, que j'apportois de la petite Nation à Kebec, je le nourrissois du blanc des joncs, & d'une certaine herbe, ressemblant au chiendent que je cueillois sur les chemins, & faisois de ce petit animal tout ce que je voulois, sans qu'il me mordit, aussi n'y sont ils pas sujets, il estoit si mignard qu'il vouloit toutes les nuits coucher dans l'une des manches de nostre habit, & cela fut la cause de sa mort; car ayant un jour cabané dans une sapiniere, & porté la nuit loin de moy ce petit animal pour la crainte que j'avois de l'estouffer, car nous estions couchez à platte terre sur vn costeau, fort penchant, où à peine nous pouvions nous tenir couchez sans rouller, (le mauvais temps nous ayans contraints de cabaner en lieu si incommode) cette bestiole, aprés avoir mangé ce que je luy avoit donné, me vint retrouver à mon premier sommeil, & ne pouvant trouver l'ouverture de nos manches, il se mit dans le replis de nostre habit; où je le trouvay mort le lendemain matin, & servit pour le petit dejeuner de mon aigle, qui en eut bien devoré d'autres, car comme disoient mes Sauvages, il estoit un démon qui ne pouvoit estre rassasié.

En plusieurs rivieres & estangs, il y a grande quantité de tortues, qu'ils appellent Angyahouiche, ils en mangent la chair cuite dans de l'eau, ou sous les cendres chaudes, les pattes contre-mont, ce qui me faisoit horreur & reprenois mes barbares, de cette rudesse, car j'eusse mieux aymé les tuer auparavant que de les mettre sous les braziers & les voir debattre. O mon Dieu ce n'est pas vertu en moy, mais je ne peux faire de mal à une beste innocente. Elles sortent ordinairement de l'eau quand il fait Soleil, & se tiennent arrangées, sur quelque longue pièce de bois tombée, mais, à mesme temps qu'on pense s'en approcher, elles s'eslancent toutes dedans l'eau comme grenouilles, & trouvay par expérience que je n'estois pas assez habile, pour les prendre & n'en sçavoit l'invention.

Il y a dans le pais des grandes couleuvres & de diverses sortes qu'ils appellent Tioointsique, desquelles ils prennent les peaux des plus longues, & en font des fronteaux de parade, qui leur pendent par derrière une bonne aulne de longueur, & plus de chacun costé, c'estoit bien n'apprehender point la salleté de ces animaux, veneneux que de les escorcher, & s'en servir à un tel usage, mais je me suis plusieurs fois estonné de voir les petits garçons se jetter l'un l'autre en se jouant de petits serpens tout envie & n'en estre point offencé, & plus encore du deffunct sieur Hebert habitant de Kebec, lequel trouvant des couleuvres en son chemin les jettoit dans son desert pour en nettoyer les crapaux & autres venins qui grattoient ses plantes.

Outre les grenouilles que nous avons par deçà, qu'ils appellent kiotoutsiche, ils en ont encore d'une autre espece qu'ils appellent ouraon, quelqu'uns les appellent crapaux, bien qu'ils n'ayent aucun venin & soient de la couleur des grenouilles, mais je ne les tient point en cette qualité, quoy que je n'aye veu en tout les païs Hurons aucune espece de nos crapaux, ny ouy dire qu'il y en ait, sinon en Canada où j'en ay veu plusieurs avec adversion pour l'horreur naturelle que j'ay contre ces animaux, telle que quand il n'y auroit point d'autre punition du péché que d'habiter en lieux remplis de crapaux. je ne sçay comment on se pourroit jamais porter à un seul peché mortel volontairement, & cependant l'enfer est bien autre chose, car ce mal n'en est que le moindre. Je viens de dire que je n'ay point veu de ces vilaines bestes en la Province des Hurons, il ne s'ensuit pas neantmoins qu'il n'y en puisse avoir, car une personne pour exacte qu'elle soit, ne peut entièrement sçavoir ny observer tout ce qui est d'un païs, ny voir ny ouyr tout ce qui s'y passe, & c'est la raison pourquoy les historiens & voyageurs ne se trouvent pas tousjours d'accord en plusieurs choses.

Ces ouraons, ou gosses grenouilles, sont verdes, & deux ou trois fois grosses comme les communes, m'ais elles ont une voix si puissante qu'il sembleroit (à qui n'en auroit encore point veu) que ce fust d'animaux 20 fois plus gros: pour moy je confesse ingenuëment que je ne sçavois que penser au commencement, entendant de ces grosses voix le soir sur le bord des eaux à plus d'un quart de lieuë de moy, & m'imaginois que c'estoit de quelque dragon, ou bien de quelqu'autre animal gros comme un boeuf. J'ay ouy dire à nos Religieux dans le païs, qu'ils ne feroient aucune difficulté d'en manger, en guise de grenouilles mais pour moy je doute si je l'aurais voulu faire, n'estant pas encore bien asseuré de leur netteté.

L'on m'a souvent fait récit du poisson remora, à qui l'on attribue la vertu naturelle de pouvoir arrester les plus grands vaisseaux voguans en pleine mer, mais je n'en ay veu aucun en toute nostre traverse, y en la mer, ny dans les fleuves & rivieres de tout nostre Canada, qui me fait croire ou que c'est une fable faicte à plaisir ou qu'ils sont rares, & ne se retrouvent qu'en certaines mers: j'en ay veu seulement un de mort à Paris que je contemplay à loisir, admirant qu'en un si petit animal Dieu ait logé tant de vertu, car il n'est pas plus grand qu'un harang, a le corps fait comme un rouget avec de certaines petites scies ou rateliers faits de petites pointes comme aiguilles, qui leur prennent par mesure & en droicte ligne depuis la teste jusques à la queuë que ce soit en ses petites scies que gist sa force, je n'en sçay rien, car Dieu seul le cognoist, mais nous pouvons admirer le Créateur en ceste merveille & dire en nous humiliant que la foiblesse de l'homme est bien grande & qu'il ne se doit point prendre à Dieu, puis qu'un si petit animal a assez de force pour arrester un million d'hommes, & faire perir les plus grands Roys.

O pauvres petits vermisseaux que nous sommes. Je dis que vous autres les grands de la terre & qui faites trembler tout l'univers, avez un grand sujet de vous abaisser devant Dieu, car estant hommes, vous estes moins que poussiere devant luy, qui vous peut tous aneantir en un seul clein d'oeil de sa divine volonté. Ne mesprisez donc personne de peur qu'un moindre que vous ne vous surmonte: ne soyez pas comme ce grand Empereur des Turcs, lequel méprisant le petit Scauderbeque, fut surmonté par sept fois d'iceluy (juste punition de Dieu) ainsi voyons nous ce petit remora arrester le cours des plus grands Navires qui sembloient se moquer des plus grandes tourmentes de la mer, autant en dit on d'un autre petit poisson qu'on nomme achan, si bien qu'outre le remora il y a un autre poisson capable de rendre les vaisseaux immobiles.

On dit aussi du rat d'Inde qu'il fait mourir les plus grands cocodrilles, ce qui est merveilleux, car il n'est pas plus grand qu'un lapin & cependant l'emporte en dessus de ce grand furieux & tres-cruel animal. J'en ay veu un duquel un castor beaucoup plus grand n'ozoit approcher pour avoir esté une fois touché de sa dent. Il est d'un poil gris argenté fort beau, & a un museau pointu comme un renard & la queuë longue & estendue comme une guenon, mais non si difforme.

Des fruicts, plantes, arbres, & richesses du pays.

Share on Twitter Share on Facebook