CHAPITRE V.

Il est presque impossible que ceux qui font profession de descrire les choses qui se retrouvent dans l'estendue d'un grand pays ne se trompent quelque fois comme ont fait, ceux qui ont dit que dans l'Amerique il n'y avoit anciennement aucuns cedres ny vignes, car nous en avons veu en abondance, & mesmes des Isles, qui en estoient toutes couvertes dans le pays de nos Hurons, & és contrées Algoumequines qui n'y ont jamais esté apportées d'ailleurs, bien est il vray qu'il n'y avoit avant la venuë des Espagnols, aucuns orangers, limoniers, grenadiers, figuiers, poiriers, de coings, ny oliviers, & entre les grains, il ny avoit non plus de froment, seigles, n'y de toutes les sortes de bleds, excepté de celuy que nous appelons d'Inde, ny du ris, des melons, ny beaucoup d'autres especes de fruicts, de plantes, & de racines que nous avons en nos jardins, & par la campagne, & és forests de nostre Europe, aussi en ont ils plusieurs autres sortes, & especes que nous n'avons pas icy & qui nous sont aussi rares, qu'à eux les nostres.

Parlant en general & naifvement des choses comme elles sont, il faut advouer qu'il n'y a aucun fruict en tout le pays de nos Canadiens, Montagnais, Algoumequins, & Hurons, qui merite le nom d'excellent, & desquels l'on doive faire estat, il y en a bien quelque petits, comme je diray presentement, mais c'est peu de chose en comparaison d'une bonne poire, ou d'une bonne pomme, que nostre Europe nous fournit à foison; Dieu l'a ainsi voulu, sa divine Majesté l'a ainsi ordonné, qui sçait qu'en y plantant la foy, il est nécessaire qu'on leur fasse gouster des douceurs dont jouissent en leur pays, ceux qui font profession de la mesme foy, pour leur rendre nostre joug plus aymable, & leur servitude plus tolerable. O Dieu j'ay tousjours peur que nos malices, avec nos delices y passent aussi-tost que la foy.

Au pays des Algoumequins, & dans celuy de nos Hurons, il y a en beaucoup d'endroits, contrées, Isles, le long des rivieres, & parmy les bois, si grande quantité de blüets, que les Hurons appellent ohentagué, & autres petits fruicts qu'ils appellent d'un nom general hahique, que les Sauvages en font seicheries pour leur Hyver, comme nous faisons icy des prunes seichées au Soleil pour nos malades, & cela sert de confitures, de sel, & d'espices, pour donner goust à leur sagamité, & pour mettre dans les petit pains qu'ils font cuire sous les cendres. Nous en mangeasmes en quantité sur les chemins, comme aussi des fraises qu'ils nomment tichionte, avec de certaines graines rougeastres, & gosses comme gros pois, que je trouvois tres bonnes, mais je n'en ay point veu en Canada, ny en France de pareilles, non plus que de plusieurs autres petits fruits & graines incognues par deçà, desquelles nous mangions comme mets délicieux quand nous en pouvions trouver, ce qui se faict en la saison.

Il y en a de rouges qui semblent presque du corail, & qui viennent quasi contre terre par petits bouquets, avec deux ou trois fueilles ressemblans aux lauriers qui luy donnent bonne grace, & semblent de tres beaux bouquets & serviroient pour tels s'il y en avoit icy. Il y a de ces autres grains plus gros encore une fois, comme j'ay tantost dit, de couleur noiraste, & qui viennent en des tiges, hautes d'une coudée. Il y a aussi des arbres qui semblent de l'espine blanche, qui portent de petites pommes dures, & grosses comme avelines, mais non pas gueres bonnes. Il y a aussi d'autres graines rouges, nommées Toca, ressemblans à nos cornioles; mais elles n'ont ny noyaux ny pepins, quelqu'un peut estre en pourra douter, mais il doit estre satisfait en ce que je l'asseure y avoir pris garde, & qu'il n'y en a point du tout, bien que ce fruict soit assez gros, les Hurons les mangent crues, & en mettent aussi dans leurs petits pains.

Ils ont aussi des noyers en plusieurs endroit, qui portent des noix un peu differentes aux nostres, j'en ay veu qui sont comme en triangle, & l'escorce verte exterieure sent un goust comme terebentine, & ne s'arrache que difficilement de sa coque dure, mais le mal est qu'elles ont peu de chair, & le noyau petit comme une amande faute de culture.

Ils ont aussi en quelque contrée des chatainiers, & des cerisiers, dont les cerises ne sont gueres plus grosses que grozelles de tremis, à faute d'estre antées & labourées, il y en a en beaucoup de lieux, & par les bois, & par les champs, desquelles neantmoins on fait assez peu d'estat. Pour les prunes, nommées Tonestes, qui se retrouvent au pays de nos Hurons, elles ressemblent à nos damas violets, ou rouges, sinon, qu'elles ne sont pas si bonnes de beaucoup, car la couleur trompe, & sont aspres & rudes au goust, si elles n'ont senti de la gelée: c'est pourquoy les Sauvagesses, aprés les avoir soigneusement amassées, les enfouyent en terre quelques sepmaines pour les adoucir, puis les en retirent, les essuyent, & les mangent. Mais je croy que si ces prunes estoient antées, qu'elles perdroient leur acrimonie & rudesse qui les rend desagreables au goust, auparavant la gelée, car elles sont tres belles, fort rondes, & d'un rouge violet comme nos plus gros damas violet.

Il se trouve des poires, ainsi appellées poires, certains petits fruicts un peu plus gros que des poix, de couleur noirastre & mol; tres-bon à manger à la cueillier comme bluës, qui viennent sur des petits arbres, qui ont des fueilles semblables aux poiriers sauvages de deça, mais leur fruict en est du tout different. Pour des framboises, & meures champestres, grozelle, & autres semblables fruicts que nous cognoissons, il s'en trouve assez en des endroits, comme semblablement des vignes & raisins, desquels on pourroit faire de fort bon vin au pays des Hurons, s'ils avoient invention de les cultiver & façonner, mais faute de plus grande science, ils se contentent d'en manger le raisin, & les fruicts sans en faire du vin.

Les racines que nous appelions Canadiennes, ou pommes de Canada, qu'eux appellent Orasqueinta, sont assez peu communes, dans le pays, ils les mangent aussi tost crues que cuites, comme semblablement d'une autre sorte de racine, ressemblant aux panays, qu'ils appellent Sondhratates, lesquelles sont à la vérité meilleures de beaucoup: mais on nous en donnoit peu souvent, & lors seulement que les Sauvages avoient receu de nous quelque present, ou que nous les visitions dans leurs cabanes.

Dans le Navire Anglois que nous prismes sur mer, il y avoit quantité de patates, fort grosses, & tres-excellentes, les unes jaunes, violettes, blanches, & d'autres de diverses couleurs, desquelles nous nous servimes tres à propos, car en toutes sauces qu'on les mettait elles estoient tres-bonnes & ravissantes. J'en cherchay aux Hurons & n'en pû trouver, ny n'en pû dire le nom aux Sauvages, ce qui me fit repentir de n'en avoir porté avec moy, car bien que cette racine ne porte point de graine, estant couppée par morceaux, & plantée en terre, elle grossit en peu de temps, & multiplie comme les pommes de Canada à ce qu'on dit.

Nos Hurons ont de petits oignons blancs nommez Anonque, qui portent seulement deux fueilles semblables à celles du muguet: ils sentent autant l'ail que l'oignon sans qu'on puisse dire proprement auquel ils ressemblent le plus quant au goust, nous nous en servions dans nostre sagamité pour luy donner quelque saveur, & d'une espece de marjoleine sauvage qu'ils appellent Ongnehon, de laquelle les Sauvages ne vouloient point manger lors qu'il y avoit de ces herbes, & encor moins sentir l'haleine, si tant soit peu nous avions mangé de ces oignons, ou ails crus, comme nous faisions aucunefois (contraincts de la necessité), avec un peu de pourpier, & de sel, sans pain, sans huyle, & sans vinaigre.

Les Sauvages en mangent neantmoins de cuits sous la cendre lors qu'ils sont en leur vraye maturité & grosseur, & non jamais dans leur menestre, non plus que d'aucune autre sorte d'herbes, desquelles ils font très-peu d'estat, bien que le pourpier, ou pourceleine leur soit commun, & que naturellement il vienne dans leurs champs labourez, parmy le bled & les citrouilles.

Dans les forest, il se voit quantité de cedres, nommez Asquara, l'odeur duquel est contraire aux serpens, c'est pourquoy les Sauvages se servent souvent de leurs rameaux allans en voyages pour se coucher dessus, il y a aussi de tres-beaux chesnes gros à merveilles, des fouteaux, herables, & merisiers ou guyniers, & un grand nombre d'autres bois de mesme espece des nostres, & d'autres qui nous sont incognus: entre lesquels ils ont un certain arbre nommé atti, duquel ils reçoivent des commoditez nompareilles.

Premièrement ils en tirent de grandes lanières d'escorces, qu'ils appellent Ouhara: lesquelles ils font bouillir, & les rendent en fin comme chanvre, de laquelle ils font leurs cordes, & leurs sacs, & sans estre bouillie ny accommodée, elle leur sert encore à coudre leur robes, plats & escuelles d'escorce de bouleau & toute autre chose lors que les nerfs d'eslan leur manquent. Ils en lient aussi les bois & & perches de leurs cabanes, & en envelopent leurs playes & blessures, & cette ligature est tellement bonne & forte qu'on n'en sçauroit desirer une meilleure & de moindre coust.

Le muguet qu'ils ont en leur pays, a bien la fueille du tout semblable au nostre, mais la fleur en est du tout differente, car outre qu'elle est de couleur tirant sur le violet, elle est faite en façon d'estoile, grande & large, comme petit Narcis: mais la plus belle plante que j'aye veue aux Hurons, est (à mon advis) celle qu'ils appellent Angyahouiche Orichya, c'est à dire, chausse de tortue: car sa fueille ressemble en tout, (excepté à la couleur) au gros de la cuisse d'un houmard, ou escrevice de mer, & est ferme & creuse au dedans comme un gobelet, duquel on se pourroit servir à un besoin pour boire la rosée qu'on y trouve tous les matins en Esté.

J'ay veu en quelque endroit sur le chemin des Hurons, de beaux lys incarnats, qui ne portent sur leur tyge qu'une ou deux fleurs, & comme je n'ay point veu en tout le pays Huron aucuns martagons, ou lys orangez, comme ceux de Canada, ny de cardinales, aussi n'ay je point veu en tout le Canada aucuns lys incarnats, ny chauffes de tortues, ny plusieurs autres especes de plantes que j'ay veues aux Hurons, ou s'il y en a, je ne l'ay point sceu.

Pour les roses, qu'ils appellent Eindauhatayon: nos hurons en ont de simples, mais ils n'en font aucun estat, non plus que d'aucunes autres fleurs qu'ils ayent dans le pays: car tout leur deduit est d'avoir des parures & affiquets qui soient de durée, & non des chappeaux, & bouquets de fleurs, qui fletrissent sitost qu'elles ont paru belles, ainsi est-il de toutes les beautez de ce siecle, qui ne doivent ravir nos yeux, & nostre entendement, que pour y contempler la beauté d'un Dieu, & les richesses de sa gloire.

Ils font estat du tourne-sol, qu'ils sement en quantité en plusieurs endroits, à cause de l'huyle qu'ils tirent de sa graine, laquelle leur sert non seulement à gresser leur cheveux, mais aussi à manger, & en plusieurs autres usages, & voicy l'invention comme ils la tirent. La graine estant bien meure, & arrachée nettement de sa tige, les filles la reduisent en farine dans le grand mortier, puis la font bouillir avec de l'eau dans une grande chaudière, & à succession de temps elle rend son huile qui nage par dessus le bouillon, que les Sauvages amassent avec des cueillieres propres & serrent dans leurs calbasses, & non seulement cette huyle est bonne à manger comme j'ay dit, mais aussi la graine pillée, que les Sauvages mangent comme chose qu'ils estiment excellente, & que j'ay gousté avec admiration. Mais comment est-ce que ce peuple Sauvage a pû trouver l'invention de tirer d'une huyle que nous ignorons, sinon à l'ayde de la divine providence, qui donne à un chacun le moyen de sa conservation, ce qu'autrement n'estant point policé ny instruit ce peuple resteroit miserable, où les brutes mesmes trouvent leur consolation & entretien.

Il y a tout plein d'autres petites fleurettes, plantes, arbres & racines mais comme la chose en est de si petite importance qu'elle ne merite pas l'escriture, nous n'en faisons point icy de mention, pour donner lieu au traité des autres richesses qui se retrouvent en cette grande estendue de pays, non encores entierement cognus, car la misere de l'homme est telle, & particulierement de ceux qui n'ont la gloire de Dieu, & le salut du prochain pour but & reigle de leurs actions, que s'il n'y a dans un pays quelque chose de valeur qui les y amorce, ils n'en font jamais d'estat y eut il à gaigner le Ciel, & un monde d'ames pour le Paradis, comme l'experience nous l'a souvent fait voir, & experimenter à nostre regret.

Au retour de mon voyage, lors que je m'efforçois de faire entendre aux courtisans la necessité que nos pauvres Sauvages avoient d'un secours puissant, qui favorisast leur conversion, & qu'il y avoit cent mille ames à gaigner à Jesus Christ, plusieurs mal devots me demandoient s'il y avoit cent mille escus à gaigner auprés, & que le reste leur estoit de peu de consideration. O coeurs de bronze vous n'estes point, du party de Dieu, non plus que plusieurs autres de vostre condition, qui vivent dans des maximes bien contraires à celles de Dieu & pour dire vray il y a bien peu de salut dans la Cour, où par flaterie, on y fait des Saints qui auront l'Enfer pour leur gloire.

Helas si le bon S. Denys, & les autres Ss. Martyrs, qui nous ont les premiers apporté la parole de Dieu, eussent eu ces basses pensées de la terre, nous serions encores, à estre Chrestiens, ils avoient la charité & nous n'en avons point, ils sont morts en procurant nostre salut, & nous ne voulons rien contribuer en procurant celuy des Sauvages desquels on fait estat comme de bestes brutes, à la condamnation de si mauvais Juges.

Voicy ô mal devots bien des richesses que je vay vous mettre devant les yeux, ausquelles vous aspirez, souspirez, & aspirez continuellement avec tant d'inquietudes, mais elles ne sont point pour vous, ny pour tous ceux qui comme vous n'ont autre pensée que le luxe, & la vanité de gens douillets qui n'ont point de courage.

Le Peru est la plus fameuse partie de toutes les Provinces du Nouveau Monde, d'un air temperé, & bien peuplé, voire le plus riche en or & argent qui soit peut-estre au monde. Lors que les Espagnols prindrent possession de ce pays, & tindrent le Roy Atabaliba prisonnier, ce Prince offrit pour sa rançon, de remplir tout d'or le lieu auquel il estoit detenu prisonnier, qui estoit long de 22 pieds, & large de 17, & de telle hauteur que luy mesme pourroit atteindre du bout de ses doigts, se tenant sur le bout de ses orteils, ou s'ils aymoient mieux de l'argent il en donneroit deux foix cette place pleine jusque au plancher.

Et bien messieurs vous voudriez bien que le Canada fut en mesme paralelle, vous donneriez volontiers cinq sols pour avoir une chartée d'escus, ouy mais cela ne se peut faire car les richesses de la nouvelle France, ne montent pas à si haut pris, neantmoins encores ne doivent elles pas estre mesprisées pour si peu qu'il y en aye.

Premierement il y a quantité de pelleteries, de diverses especes d'animaux, terrestres & amphibies, comme vous avez pu remarquer dans le Chapitre qui traicte des animaux terrestres & aquatiques. Il y a des mines de cuivre desquelles on pourroit tirer du profit, s'il y avoit du monde, & des ouvriers qui y voulussent travailler fidellement, ce qui se pourroit faire, si on y avoit estably des Colonies, car environ 80 ou 10 lieuës des Hurons, il à une mine de cuivre rouge, de laquelle le Truchement Bruslé me monstra un lingot au retour d'un voyage qu'il fit à la Nation voisine, avec un nommé Grenolle.

On tient qu'il y a encore vers le Saguenay, & mesme qu'on y trouve de l'or, des rubis & autres pierreries. De plus quelqu'uns asseurent qu'au pays des Souriquois, il y a non seulement des mines de cuivre, mais aussi de l'acier, parmy les rochers, lequel estans fondu, on en pourroit faire de tres-bons trenchans; puis de certaines pierres bleuës transparentes, lesquelles ne vallent moins que les turquoises, & c'est ce qui nous a donné le plaisir de voir quelquefois des nouveaux venus, aussi simples que neufs, avoir tousjours les yeux attachez sur le galay, & par tout les chemins où ils passoient pour voir s'ils pourroient rencontrer parmy les pierres, & les les cailloux, quelque pierrerie rare & de prix.

Aux rochers de cuyvre, & en quelque autres se trouvent aussi aucunefois des petits rochers couverts de diamants y attachez, & peux dire en avoir amassé & recueilly moy mesme vers nostre Convent de nostre Dame des Anges dont quelqu'uns sembloient sortir de la main du Lapidaire, tant ils estoient beaux, luisans & bien baillez, mais entre tous ceux que j'ay jamais veu de ces pays là, je croy que celluy que Monsieur le Prince de Portugal m'a fait voir est le plus beau, le plus net, le plus grand, & le mieux taillé de tous. Je ne veux neantmoins asseurer qu'ils soient fins, mais seulement qu'ils sont tres-beaux, & escrivent sur le verre.

Il me semble qu'on pourroit encor trouver des mines de fer en quelque endroit, & plusieurs autres mineraux, si on y vouloit chercher & faire la despence necessaire. Pour du bois il y en a abondance, & des forests de tres-grandes estendues, des pierres, de la chaux, & de toutes autres sortes de materiaux propres à construire des maisons, edifices. Je pourrois aussi faire mention de beaucoup d'autres petites commoditez qui se retrouvent dans le pays mais la chose ne le merite pas, non plus que de parler du profit qui provenoit des cendres qui se transportoient en France, puis qu'elles ont esté delaissées comme de peu de rapport en comparaison des fraiz qu'il y convenoit faire, bien qu'elles fussent meilleures, & plus fortes de beaucoup que celles qui se font en nos foyers, dont on a veu l'experience une infinité de fois.

De nostre partement du pays des Hurons pour le Canada, & de ce qui nous arriva en chemin jusques au lac des Bisseriniens.

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