CHAPITRE VIII.

NOus partismes donc de cette ancre de terre, mais ayans à peine advancé une demie heure de chemin, nous apperceumes deux cabanes que nous creumes estre de l'Isle, dressées en un cul de sac, en lieu eminent, d'où on pouvoit descouvrir de loing tous ceux qui entroienr dans leurs terres. Mes Sauvages les voyans eurent opinion que c'estoient sentinelles posées pour leur en empecher le passage, & qu'il estoit necessaire de les aller recognoistre, & sçavoir d'eux si c'estoit à nous à qui ils en vouloient, & là dessus me prierent de me cacher dans le canot, afin que n'estant apperceu d'eux, je peusse estre tesmoin auriculaire de leur discourtoisie & dispute, pour leur en faire aprés une reprimande, & qu'ils n'auroient garde car disoient-ils, s'ils vous appercevoient avant de nous parler, ils n'auroient garde de nous gourmander, & par ainsi vous seriez en doute de leur malice, & de nostre juste apprehension.

Nous approchames de ces deux cabanes en la posture qu'ils desirerent, & leur par lames un assez long-temps, mais ces pauvres gens ne songeoient à rien moins qu'à nous, & ne s'estoient là cabanez que pour la pesche, & la chasse, à quoy ils s'occupoient pour vivre, & par ainsi nous reprismes promptement nostre routte, & allames passer par un lac assez grand, & de là par la riviere qui conduit au village, laissant à main gauche le droit chemin de Kebec, d'où on comptoit de là environ cent quatre vingts lieuës.

Je loue mon Dieu de toutes choses, & le prie que ma peine & mon travail luy soient agreables, mais il est vray que nous pensames perir ce jour là en deux tres-mauvais endroits proche la cheute du lac dans la riviere, où l'eau par ses soudains souslevemens, & ses ondes inopinées, nous penserent engloutir & coulera fond.

Ces perils passez, nous fusmes descendre dans un petit bois taillis, tout couvert de fraizes, desquelles nous fismes nostre meilleur repas, & reprimes nouvelles forces pour passer jusques à nos Quieunontateronons, où nous arrivames ce jour là mesme, après avoir faict vingt lieues & plus de chemin.

Ce village estoit placé sur le bord de la riviere dans une belle pleine, d'où nous fumes apperceus à plus d'une lieuë du port, où presque tous les Sauvages se rendirent avec de grandes huées, & des bruits qui nous estourdissoient, car on n'entendoit par tout qu'une voix, ou par complimens, ou pour se mocquer nous, qui nous rengions à leur mercy, je croy neantmoins le premier par une raison qu'ils esperoient profiter de nos; vivres, car à mesme temps que nous eumes mis pied à terre, ils sauterent dans notre canot, & se saisirent de nos bleds, & farines pour les eschanger à leur devotion, contre des pelleteries qu'ils ont à foison, mais comme la charité bien ordonnée commence soy-mesme, sçachans que nos vivres nous faisoient besoin, j'y mis le hola, (car mes gens n'osoient dire mot,) & par ce moyen tout nous fut conservé, & porté au lieu que choisimes pour cabaner, un petit jet de pierre esloigné du village, pour eviter leurs trop fréquentes visites.

Il ne faut point douter neantmoins, que ces Honqueronons ne vissent bien (comme ils nous en firent quelque reproches) que les bleds & farines n'estoient point à moy, & que ce que ie m'en disois le maistre, estoit de l'invention de mes gens qui m'en avoient prié, pour les conserver, & s'exempter de leur violence & importunité, mais il leur fallut avoir patience, & mortifier leur sentiment, car ils n'osoient m'attaquer, ou me faire du desplaisir, peur du retour à la traite de Kebec, où ils ont accoustumé d'aller, tous les ans faire leur emploite & rapporter des marchandises.

Ce peuple est (à mon advis) le plus reveche, le plus superbe & le moins courtois de tous ceux que j'ay jamais conversé en toutes les terres du Canada, du moins me l'a il semblé, pour le peu que je les aye pratiqué, mais aussi est il le mieux couverte, le mieux matachié, & le plus jolivement paré de tous, comme si à la braverie estoit inseparablement atachée la superbe, & la vanité, comme nous voyons en quelque parens de nos Religieux, lesquels semblent avoir honte de s'advouer pour tels, pour les voir pauvrement habillez, maltraitez, mesprisez des gens de neant, crottez, mal chaussez; & mandier par les rues avec la besace, comme pauvres de Jesus-Christ. O siecle perverty, o vanité deplorable, vous mesprisez ceux qui ont choisi la bassesse pour l'amour de Jesus-Christ, mais ce sera à vostre confusion, car ils seront un jour vos juges & condamneront vostre mespris, car pourquoy en faites vous moins d'estat que s'ils estoient seculier.

Les jeunes femmes, & filles sembloient des Nymphes, tant elles estoient bien ajustées, & des Comediennes, tant elles estoient legeres du pied, vous les voyez la teste levée par le village, couvertes de matachias, sauter, courir, & se resjouir plaisamment, comme si elles eussent esté asseurées d'une eternelle felicité, ainsi au vray dire elle n'ont pas peur d'un Enfer, ny de perdre un Paradis, qu'elles ayent quelque chose à manger, les voyla contentes, si elles n'ont rien elles ont la patience.

Nous passames tout le reste du jour, dans nostre cabane, & encore le suivant, pour la venue du Truchement Bruslé, puis nous troussames bagage, dés le lendemain matin, car nous mourions là de faim sans pouvoir obtenir un seul morceau de poisson qu'à prix desraisonnable, peut estre par un ressentiment de ne leur avoir laissé nos bleds & farines à l'abandon, comme ils s'estoient promis. Ils ne lassoient pourtant de nous venir voir en nostre cabane, mais plustost pour nous observer que pour s'instruire de leur salut, & nous faire offre de leur service.

Au partir de ce village, nous allames cabaner en un lieu tres-propre pour la pesche, d'où nous eumes du poisson de diverses especes plus que suffisamment pour tout ce jour là; nous en fismes de rostis, & du bouillis, sans autre sauce que du bon appétit, mais mes gens qui n'escailloient point celuy qu'ils deminssoient dans le brouet, non plus que celuy qui se mangeoit en autre façon (telle estant leur coustume) estoit la cause qu'à chaque cueillerée de sagamité qu'on prenoit, il en falloit cracher une partie dehors & pour une autre incivilité, s'ils avoient un morceau de viande à deminsser, ils se servoient de leur pieds crottez pour la tenir, & d'un meschant cousteau pour la couper.

Les grands orages qu'il fit ce jour là, & qui durèrent jusques au lendemain matin, nous firent loger fort incommodement dans un marets, ou d'avanture nous trouvames un chien égaré, que mes Sauvages prirent, & tuèrent à coups de haches, puis le firent bouillir pour nostre soupper. Comme au chef ils me presenterent la teste, mais je vous asseure que sa grand'gueule beante la rendoit si hideuse, & de mauvaise grace, que je n'eus pas assez de courage pour en manger, & me contentay d'un morceau de la cuisse, que je trouvay tres-bonne.

Ces bons Sauvages me desnichoient parfois des aigles, mais comme ce sont oyseaux tres lourds, quand j'estois las de les porter, nous en faisions chaudieres, & nous servoient de pitance, excepté d'une qu'ils ne voulurent point manger, je ne sçay par quelle superstition, car comme j'estois occupé hors de la cabane avec quelque Sauvages, ils luy tordirent le col pour avoir ses cousteaux, & la jetterent au loing, me donnant à entendre qu'elle estoit morte d'elle mesme, & qu'ils n'y avoient pas cooperé, ce que je ne pû croire & pour preuve je leur monstray le col rompu, & neantmoins ils n'en voulurent jamais manger, ny prendre la peine de la faire cuire, peut-estre pour avoir esté estouffée.

Le jour ensuivant, aprés avoir tout porté à cinq ou six sauts, & passé par des lieux tres-perilleux, nous primes giste en un petit hameau d'Algoumequins, sur le bord de la riviere, qui a en cet endroit plus d'une bonne lieuë de large, je fus visiter tout ce peu de cabanes qu'il y avoit là, faites en rond, & desquelles l'entrée estoit fort estroite, bouchée d'une petite peau d'eslan, mais si pauvres au dedans, qu'elles me sembloient voir les hermitages des anciens Peres hermites de la Thebayde, selon qu'on les despeint.

Le lieu estoit aussi pauvre & sterile comme les maisons, car ce n'estoit qu'un rocher couvert d'un peu de sable par endroits, & de quelque petits arbrisseaux qui servoient de retraite aux oyseaux, je fus par tout chercher des fraizes, & des bluëts, mais tout estoit desja dissipé, car comme ces petits fruicts servent de manne aux Algoumequins, ils les amassent soigneusement pour en faire seicherie. Le truchement Bruslé qui nous suivoit de prés, nous y vint trouver & s'y logea, mais aussi incommodement que nous.

Le matin venu nous batimes aux champs sans tambour, car il n'y avoit point de plaisir en lieu si miserable, & vismes environ midy deux Arcs-en-Ciel, fort visibles & apparens, qui tenoient devant nous les deux bords du fleuve, comme deux arcades, sous lesquelles il sembloit à tout moment que deussions passer. Il y a eu de certains peuples qui l'ont eu en telle veneration: Que s'ils le voyoient paroistre en l'air, ils fermoient la bouche aussi-tost, & y portoient la main devant, pour ce qu'ils s'imaginoient que s'ils l'ouvroient tant soit peu, leurs dents en seroient pourries & gastées. Je n'ay point veu pratiquer cette sottise entre nos Hurons, mais ils en croyent bien d'autres, qui ne vaillent guère mieux.

Le soir arrivé, mes Sauvages mangerent un aigle, de laquelle je ne mangeay pas seulement du bottillon, & encor moins de la chair, car il estoit jour de Vendredy, ces pauvres gens m'en demanderent la raison, car ils sçavoient bien ma necessité, & le peu que nous avions pris le matin avant partir, & ayant sceu que je le faisois pour l'amour du bon Jesus, ils en resterent fort edifiez & contens, car comme ils sont exactes observateurs de leurs ceremonies, ils trouvoient aussi tres-bon que nous fissions selon nostre croyance, & eussent trouvé mauvais qu'eussions fait du contraire pour aucun respect.

Si tost qu'il commença à faire jour nous nous mismes sur l'eau, couvertes par tout d'un nombre presque infiny de papillons, en l'estenduë de plus de trois heures de chemin, & la riviere qui sembloit un lac en cette espace, large de plus de demye lieuë estoit de mesme par tout couverte de ces petits animaux, de sorte que j'eusse auparavant douté, s'il y en auroit bien eu autant en tout le reste du Canada, comme il s'y en estoit noyé dans cette seule riviere. De dire quel vent les avoit là amenez, & comme il s'y en est pu trouver un si grand nombre en un seul endroit, c'est ce que je sçay moins que des mosquites, & cousins, qui sont engendrez de la pourriture des bois.

Passé cette mer de papillons, nous trouvames une cheute d'eau dans laquelle un François nommé la Montagne, pensa tomber avec tous ses Sauvages, d'où ils ne se fussent jamais retirez que morts & brisez des rochers. Leur imprudence les avoit mis dans ce danger, pour n'avoir pas assez tost pris terre, & s'ils ne se fussent promptement jettez dans l'eau, le courant les jettoit infailliblement dans le précipice, & de là à la mort, qu'estoit la fin de leur voyage.

Du saut de la chaudiere, de la petite Nation, & de la difficulté que nous eumes avec les Algoumequins, & Montagnais, du tresor publique des Hurons, & la suitte de nostre voyage jusques à Kebec.

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