Des Poissons, & bestes aquatiques. CHAPITRE III.

DIEU, qui a peuplé la terre de diverses especes d'Animaux, tant pour le service de l'homme, que pour la decoration & embellissement de cet Univers, à aussi peuplé la mer & les rivieres d'autant ou plus de diversité de poissons, qui tous subsistent dans leurs propres especes, bien que tous les jours l'homme en tire une partie de sa nourriture, & les poissons gloutons qui font la guerre aux autres dans le profond des abysmes, en engloutissent & mangent à l'infiny; ce sont les merveilles de Dieu.

On sait par experience que les poissons marins se delectent aux eaux douces, aussi bien qu'en lamer, puis que par-fois on en pesche dans nos rivieres. Mais ce qui est admirable en tout poisson, soit marin ou d'eau douce, est qu'il cognoissent le temps & les lieux qui leur sont commodes: & ainsi nos pescheurs de Molues jugerent à trois jours pres, le temps qu'elle devoient arriver, & ne furent point trompez, & en suitte les Maquereaux qui vont en corps d'armée, serrez les uns contre les autres, le petit bout du museau à fleur d'eau, pour descouvrir les embusches des pescheurs. Cela est admirable, mais bien plus encore de ce qu'ils vivent & se resjouyssent dans la mer salée, & neantmoins s'y nourissent d'eau douce, qui est entre-meslee, que par une maniere admirable, ils sçavent discerner & succer avec la bouche parmy la salee, comme dit Albert le Grand: voire estans morts, si l'on les cuit avec l'eau salee, ils demeurent neantmoins doux. Mais quant aux poissons qui sont engendrez dans l'eau douce, & qui s'en nourrissent; ils rennent facilement le goust du sel, lors qu'ils sont cuits dans l'eau salee. Or de mesme que nos pescheurs ont la cognoissance de la nature de nos poissons, & comme ils sçavent choisir les saisons & le temps pour se porter dans les contrees qui leur sont commodes, aussi nos Sauvages, aydez de la raison & de l'experience, sçavent aussi fort bien choisir le temps de la pesche, quel poisson vient en Automne, ou en Esté, ou en l'une, ou l'autre saison.

Pour ce qui est des poissons qui se retrouvent dans les rivieres & lacs au pays de nos Hurons, & particulierement à la mer douce: Les principaux sont l'Assihendo, duquel nous avons parlé ailleurs, & des Truites, qu'ils appellent Ahouyoche, lesquelles sont de des mesuree grandeur pour la pluspart, & n'y en ay veu aucune qui ne soit plus grosse que les plus grande que nous ayons par-deçà: leur chair est communement rouge, sinon à quelques-unes qu'elle se voit jaune ou orangee. Les Brochets, appellez Soyuissan, qu'ils y peschent aussi avec les Esturgeons, nommez Hixyahon, estonnent les personnes, tant il s'y en voit des merveilleusement grands.

Quelques sepmaines apres la pesche des grands poissons, ils vont à celle de l'Einchataon qui est un poisson quelque peu approchant aux Barbeaux de par-deçà, longs d'environ un pied & demy, ou peu moins: ce poisson leur sert pour donner goust à leur Sagamité pendant l'hyver, c'est pourquoy ils en font grand estat, aussi bien que du grand poisson, & afin qu'il fasse mieux sentir leur potage, ils ne l'esventrent point, & le conservent pendu par monceaux aux perches de leurs Cabanes; mais je vous asseure qu'au temps de Caresme, & quand il commence à faire chaud, qu'il pue & sent si furieusement mauvais, que cela nous faisoit bondir le coeur, & à eux ce leur estoit muse & civette.

En autre saison ils y peschent, à la ceine une autre espece de poisson, qui semble estre de nos Harangs, mis des plus petits, lesquels ils mangent fraiz & boucanez. Et comme ils sont tres-sçavans, aussi bien que nos pescheurs de Molues, à cognoistre un ou deux jours pres, le temps que viennent les poissons de chacune espece, ils ne manquent point quand il faut d'aller au petit poisson, qu'ils appellent Anhairfiq, & en peschent un infinité avec leur ceine, & cette pesche du petit poisson se faict en commun, puis le partagent par grandes escuellées, duquel nous avions nostre part, comme bourgeois & habitant du lieu. Ils peschent & prennent aussi de plusieurs autres sortes & especes de poissons, mais comme ils nous sont incogneus, & qu'il ne s'en trouve point de pareils en nos rivieres, je n'en fais point aussi de mention.

Estant arrivé au lieu, nommé par les Hurons Onchrandéen & par nous le Cap de Victoire ou de Massacre, au temps de la traite où diverses Nations de Sauvages s'estoient assemblez, je vis en la Cabane d'un Montagnet un certain poisson, qu'ils appellent Chaoufaron, gros comme un grand Brochet, il n'estoit qu'un des petits; car il s'en voit de beaucoup plus grands. Il avoit un fort long bec, comme celuy d'une Becasse, & avoit deux rang de dents fort aiguës & dangereuses, d'abord ne voyant que ce long bec, qui passoit au travers une fente de la Cabane en dehors, je croyois que ce fust de quelque oyseau rare; ce qui me donna la curiosité de le voir de plus pres; mais je trouvay que c'estoit d'un poisson qui avoit toute la forme du corps tirant au Brochet, mais armé de tres-fortes & dures escailles, de couleur gris argenté. Il faict la guerre à tous les autres poissons qui sont dans les lacs & rivieres. Les Sauvages font grand estat de la teste, & se saignent avec les dents de ce poisson à l'endroit de la douleur, qui se passe soudainement, à ce qu'ils disent.

Les Castors de Canada, appellez par les Montagnets Amiscou, & par nos Hurons Tsoutayé, ont esté la cause principale que plusieurs Marchands de France on traversé ce grand Océan pour s'enrichir de leurs despouilles, & se revestir de leurs superfluitez, ils en apportent en telle quantité toutes les annees, que je ne sçay comme on n'en voit la fin.

Le Castor est un animal, à peu pres de la grosseur d'un Mouton tondu, ou un peu moins, la couleur de son poil est chastaignée, & y en a peu de bien noirs. Il a les pieds courts, ceux de devant faicts a ongles, & ceux de derriere en nageoires, comme les Oyes, la queue est comme escaillée, de la forme presque d'une Sole, toutesfois l'escaille ne se leve point. Quant à la teste elle est courte, presque ronde, ayant au devant quatre grandes dents trenchantes, l'une aupres de l'autre, deux en haut, & deux en-bas. De ces dents il coupe des petits arbres, & des perches en plusieurs pieces, dont il bastist sa maison, & mesme par succession de temps il en coupe par fois de bien gros, quand il s'y en trouve qui l'empeschent de dresser son petit bastiment, lequel est faict de sorte (chose admirable) qu'il n'y entre nul vent, d'autant que tout est couvert & fermé, sinon un trou qui conduit dessous l'eau, & par là se va pourmener où il veut; puis une autre sortie en une autre part, hors la riviere ou le lac par où il va à terre, & trompe le chasseur. Et en cela, comme en toute autre chose, se voit aparrement reluire la divine providence, qui donne jusqu'aux moindres animaux de la terre l'instinct nature, & le moyen de leur conservation.

Or ces animaux voulans bastir leurs petites cavernes, ils s'assemblent par troupes dans les forests sombre & espaisses: s'estans assembles ils s'en vont couper des rameauz d'arbres belles dents, qui leur servent à cet effet de coignée, & les traisnent jusqu'au lieu où ils bastissent & continuent de le faire, jusqu'à ce qu'ils en ont assez pour achever leur ouvrage. Quelques-uns tiennent que ces petits animaux ont une invention admirable à charrier le bois, & disent qu'ils choisissent celuy de leur trouppe qui est le plus faineant ou accablé de vieillesse & le faisant coucher sur son dos vous disposent fort bien des rameaux entre ses jambes, puis le traisnent comme un chariot jusqu'au lieu destiné, & continuent le mesme exercice tant qu'il y en ait à suffisance. J'ay veu quelques unes de ces Cabanes sur le bord de la grand'riviere, au pays des Algoumequins; mais elles me sembloient admirables, & telles que la main de l'homme n'y pourroit rien adjouster: le dessus sembloit un couvercle à lexive, & le dedans estoit departy en deux ou trois estages, au plus haut desquels les Castors se tiennent ordinairement, entant qu'ils craignent l'inondation & la pluye.

La chasse du Castor se faict ordinairement en hyver, pour ce principalement qu'il se tient dans sa Cabane, & que son poil tient en cette saison là, & vaut fort peu en esté. Les Sauvages voulans donc prendre le Castor, ils occupent premierement tous les passages par où il se peut eschapper, puis percent la glace du lac gelé, à l'endroict de sa Cabane, puis l'un d'eux met le bras dans le trou, attendant sa venue, tandis qu'un autre va par dessus cette glace frappant avec un baston sur icelle, pour l'estonner & faire retourner à son giste: lors il faut estre habile à le prendre au colet; car si on le happe par quelque endroict où il puisse mordre, il fera une mauvaise blesseure. Ils le prennent aussi en esté, en tendant des filets avec des pieux fichez dans l'eau, dans lesquels, sortans de leurs Cabanes, ils sont pris & tuez, puis mangez fraiz ou boucanez, à la volonté des Sauvages. La chair ou poisson, comme on voudra l'appeller, m'en sembloit tres bonne, particulierement la queue, de laquelle ses Sauvages font estat comme d'un manger tres excellent, comme de faict elle l'est, & les pattes aussi. Pour la peau ils la passent assez bien comme toutes les autres, qu'ils traitent par apres aux François, ou s'en servent à se couvrir; et des quatre grandes dents ils en polissent leurs escuelles, qu'ils font avec des noeuds de bois.

Ils ont aussi des Rats musquez, appellez Ondahya, desquels ils mangent la chair, & conservent les peaux & roignons musquez: ils ont le poil court & doux comme une taupe, & les yeux fort petits, ils mangent avec leurs deux pattes de devant, debout comme Escureux, ils paissent l'herbe sur terre, & le blanc des joncs au fond des lacs & rivieres. Il y a plaisir à les voir manger & faire leurs petits tours pendant qu'ils sont jeunes: car quand ils sont à leur entiere & parfaicte grandeur, qui approche à celle d'un grand Lapin, ils ont une longue queue comme le Singe, qui ne les rent point agreables. J'en avois un tres-joly, de la grandeur des nostres, que j'apportois de la petite Nation en Canada, je le nourrissois de blanc de joncs, & d'une certaine herbe, ressemblant au chien-dent, que je cueillois sur les chemins, & faisois de ce petit animal tout ce que je voulois, sans qu'il me mordist aucunement, aussi n'y sont-ils pas sujets; mais il estoit si coquin qu'il vouloit tousjours coucher la nuit dans l'une des manches de mon habit, et cela fut la cause de sa mort: car ayant un jour cabané dans une Sapiniere, & porté la nuict loin de moy ce petit animal, pour la crainte que j'avois de l'estouffer; car nous estions couchez sur un costeau fort penchant, où à peine nous pouvions nous tenir, (le mauvais temps nous ayans contraincts de cabaner en si fascheux lieu) cette bestiole, apres avoir mangé ce que je luy avois donné, me vint retrouver à mon premier sommeil, & ne pouvant trouver nos manches il se mit dans les replis de nostre habit, ou je le trouvay mort le lendemain matin, & servit pour le commencement de desjeuner de nostre Aigle.

En plusieurs rivieres & lacs, il y a grande quantité de Tortues, qu'ils appellent Angyahouiche, ils en mangent la chair apres qu'elles ont esté cuittes vives, les pattes contremonts, sous la cendre chaude, ou bouillies en eaue, elles sortent ordinairement de l'eau quant il faict soleil, & se tiennent arrangées sous quelque longue piece de bois tombée, mais à mesme temps qu'on pense s'en approcher, elles sautent & s'eslancent dans l'eau comme grenouilles: je pensois au commencement m'en approcher de pres, mais je trouvay bien que je n'estois pas assez habile & ne sçavois l'invention.

Ils ont de fort grandes Couleuvres, & de diverses sortes, qu'ils appellent Fioointfiq, desquelles ils prennent les plus longues peaux, & en font des fronteaux de parade qui leur pendent par derriere une bonne aulne de longueur, & plus, de chacun costé.

Outre les Grenouilles que nous avons par deçà, qu'ils appellent Kiorontsiché, ils en ont encore d'une autre espece, qu'ils appellent Oüaron, & quelques-uns les appellent Crapaux, bien qu'ils n'ayent aucun venin; mais je ne les tiens point en cette qualité, quoy que je n'aye veu en tous ces païs des Hurons aucune espece de nos Crapaux, ny ouy dire qu'il y en ait, sinon en Canada. Il est vray qu'une personne pour exacte qu'elle soit, ne peut entierement sçavoir ny observer tout ce qui est d'un païs, ny voir & ouyr tout ce qui s'y passe, & c'est la raison pourquoy les Historiens & Voyageurs ne se trouvent pas toujours d'accord en plusieurs choses.

Ces Oüarons, ou grosses Grenouilles, sont verdes, & deux ou trois fois grosses comme les communes; mais elles ont une voix si grosse & si puissante, qu'on les entent de plus d'un quart de lieue loin le soir, en temps serain; sur le bord des lacs & rivieres, & sembleront (à qui n'en auroit encore point veu) que ce fust d'animaux vingt fois plus gros: pour moy je confesse ingenuement que je ne sçavois que penser eu commencement; entendant de ces grosses vois, & m'imaginois que c'estoit de quelque Dragon, ou bien de quelqu'autre gros animal à nous incogneu. J'ay ouy dire à nos Religieux dans le pays, qu'ils ne feroient aucune difficulté d'en manger, en guise de Grenouilles: mais pour moy, je doute si je l'aurois voulu faire, n'estant pas encore bien asseuré de leur netteté.

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