Des fruicts, plantes, arbres & richesses du pays. CHAPITRE IIII

EN beaucoup d'endroicts, contrees, isles & pays, le long des rivieres, & dans les bois, il y a si grande quantité de Blues, que les Hurons appellent Ohentaqué, & autres petits fruicts, qu'ils appellent d'un nom general Hahique, que les Sauvages en font seicherie pour l'hyver, comme nous faisons des prunes seichées au soleil, & cela leur sert de confitures pour les malades, & pour donner goust à leur Sagamité, & aussi pour mettre dans les petits pains qu'ils font cuire sous les cendres. Nous en mangeasmes en quantité sur les chemins, comme aussi des fraizes, qu'ils nomment Tichionte, avec de certaines graines rougeastres, & grosses comme gros pois, que je trouvois tres bonnes; mais je n'en ay point veu en Canada ny en France de pareilles, non plus que plusieurs autres sortes de petits fruicts & graines inconnues par deçà, desquelles nous mangions, comme mets delicieux quant nous en pouvions trouver. Il y en a de rouges qui semblent presque du Corail, & qui viennent quasi contre terre par petits bouquets, avec deux ou trois feuilles, ressemblans au Lainier, qui luy donnent bonne grace, & semblent de tres-beaux bouquets & serviroient pour tels s'il y en avoit icy. Il y a de ces autres grains plus encore une fois, comme j'ay tantost dict, de couleur noiraste, & qui viennent en des tiges, hautes d'une coudee. Il y a aussi des arbres qui semblent de l'Espine blanche, qui portent de petites pommes dures, & grosses comme avelines, mais non pas gueres bonnes. Il y a aussi d'autres graines rouges, comme Toca, ressemblans à nos Cornioles, mais elles n'ont ny noyaux ny pepins, les Hurons les mangent crues & en mettent aussi dans leurs petits pains.

Ils ont aussi des Noyers en plusieurs endroicts, qui portent des Noix un peu differentes aux nostres; j'en ay veu qui sont comme en triangle, & l'escorce verte exterieure sent un goust comme Terebinte, & ne s'arrache que difficilement de la coque dure. Ils ont aussi en quelques contree des Chastagniers, qui portent de petites Chastaignes, mais pour des Noisettes & des Guynes, qui ne sont qu'un peu plus grosse que Grozelles de tremis, à faute d'estre cultivées & autres; il y en a en beaucoup de lieux, & par les bois & par les champs, desquelles neantmoins on faict assez peu d'estat: mais pour les Prunes, nommees Tonestes, qui se trouvent au pays de nos Hurons: elles ressemblent à nos Damas violets ou rouges, sinon qu'elles ne sont pas si bonnes de beaucoup, car la couleur trompe, & sont aspres & rudes au goust, si elles n'ont senty de la gelee: c'est pourquoy les Sauvagesses apres les avopir soigneusement amassees, les enfouyent en terre quelques sepmaines pour les adoucir, puis les en retirent, les essuyent, & les mangent. Mais je croy que si ces Prunes estoient antees, qu'elles perdroient cette acrimonie & rudesse, qui les rend desagreables au goust, auparavant la gelee.

Il se trouve des Poires, ainsi appellees Poires, certains petits fruicts un peu plus gros que les pois, de couleur noirastre & mol, tres-bon à manger à la cueillier comme Blues, qui viennent sur des petits arbres, qui ont les fueilles semblables aux poiriers sauvages de deçà, mais leur fruict en est du tout different. Pour des Framboises, Meures champestres, Grozelles & autres semblables fruicts que nous cognoissons, il s'en trouve assez en des endroicts, comme semblablement des Vignes & Raisins, desquels on pourroit faire de fort bon vins au pays des Hurons, s'ils avoient l'invention de les cultiver & façonner: mais faute de plus grande science, ils se contentent d'en manger le raisin & les fruicts.

Les racines que nous appellons Canadiennes, ou pommes du Canada, qu'eus appellent Orasquemta, sont assez peu communes dans le pays, ils les mangent aussi tost crues que cuites, comme semblablement une autre sorte de racine, ressemblant aux Panays, qu'ils appellent Sondhratates; lesquelles sont à la verité meilleures de beaucoup: mais on nous en donnoit peu souvent, & lors seulement que les Sauvages avoient receu de nous quelque presens, ou que nous les visitions dans leurs Cabanes.

Ils ont aussi des petits Oignons nommés Anonqué, qui portent seulement deux fueilles, semblables à celles du Muguet, ils sentent autant l'Ail que l'Oignon; nous nous en servions à mettre dans nostre Sagamité pour luy donner goust, comme d'une certaine petite herbe, qui a le goust & la façon approchante de la Marjoleine sauvage, qu'ils appellent Ongnehon: mais lors que nous avions mangé de ces Oignons & Ails crus, comme nous faisions avec un peu de pourpier sans-pain, lors que nous n'avions autre chose: ils ne vouloient nullement nous approcher, ny sentir nostre haleine, disans que cela sentoit trop mauvais, & crachaient contre terre par horreur. Ils en mangent neantmoins de cuits sous la cendre, lors qu'ils sont en leur vraye maturité & grosseur, & non jamais dans leur Menestre, non plus que toute autre sorte d'herbes, desquelles ils font tres-peu d'estat, bien que le pourpier ou pourceleine leur soit fort commun, & que naturellement il croisse dans leurs champs de bled & de citrouilles.

Dans les forests, il se voit quantité de Cedres, nommez Asquata, de tres-beaux & gros Chesnes, des Fouteaux, Herables, Merisiers ou Guyniers, & un grand nombre d'autres bois de mesme espece des nostres, & d'autres qui nous sont incogneus, entre lesquels ils ont un certain arbre nommé Atti, duquel ils reçoivent & tirent des commoditez nompareilles.

Premierement, ils en tirent de grandes lanieres d'escorces, qu'ils appellent Oühara: il les font bouillir, & les rendent enfin comme chanvre, de laquelle ils font leurs cordes & leurs sacs, & sans estre bouillie ny accommodee, elle leur sert encore à coudre leurs robbes, & toute autre chose, à faute de nerfs d'Eslan: puis leurs plats & escuelles d'escorces de Bouleau, & aussi pour lier & attacher les bois & perches de leurs Cabanes, & à enveloper leurs playes & blesseures, & cette ligature est tellement bonne & serre qu'on n'en sçauroit desirer une meilleure & de moindre coust.

Aux lieux marescageux & humides, il y croist une plante nommée Ononhasquara, qui porte un tres bon chanvre, les Sauvagesses la cueillent & arrachent en saison, & l'accommodent comme nous faisons le nostre, sans que j'aye peu sçavoir qui leur en a donné l'invention autre que la necessité, mere des inventions, après qu'ils est accommodé, elles le filent sur leur cuisse, comme j'ay dict, puis les hommes en font des lassis & filets à pescher. Ils s'en servent aussi en diverses autres choses, & non à faire de la toile: car ils n'en ont l'usage ny la cognoissance.

Le Muguet qu'ils ont en leurs pays, a bien la fueille du tout semblable au nostre, mais la fleur en est toute autre: car outre qu'elle est de couleur tirant sur le violet, elle est faicte en façon d'Estoille grande & large, comme petit Narcis; mais la plus belle plante que j'aye veue aux Hurons (à mon advis) est celle qu'ils appellent Angyahouiche Orichya, c'est à dire, Chausse de Tortue: car sa fueille est comme le gros de la cuisse d'un Houmard, ou Escrevice de mer, & est ferme & creuse au dedans comme un gobelet, duquel on se pourroit servir à un besoin pour en boire la rosee qu'on y trouve dans les matins en esté, sa fleur en est aussi assez belle.

J'ay veu en quelque endroict sur le chemin des Hurons de beaux Lys incarnats, qui ne portent sur la tige qu'une ou deux fleurs, & comme je n'ay point veu en tut le pays Huron aucuns Martagons ou Lys orangez comme ceux de Canada, ny de Cardinales, aussi n'ay je point veu en tut le Canada aucuns Lys incarnats, ny Chausses de Tortues, ny plusieurs autres especes de plantes que j'ay veues au Hurons (il y en pourroit neantmoins bien avoir sans que je le sceusse). Pour les Roses, qu'ils appellent Eindauhatayon, nos Hurons en ont de fort simples, mais ils n'en font aucun estat, non plus que d'aucunes autres fleurs qu'ils ayent dans le pays: car tout leur deduict est d'avoir des parures & calfiquets qui soient de duree.

De passer outra à descrire des autres plantes qui nous ont esté monstree & enseignees par les Sauvages: ce seroit chose superflue, & non necessaire, comme de parler de la richesse & profit qui provenoit des cendres qui se faisoient dans le pays, & se menoient en France, puis qu'elles ont esté delaissees, comme de peu de rapport, en comparaison des fraiz qu'il y convenoit faire, bien qu'elles fussent meilleurs & plus fortes de beaucoup, que celles qui se font en nos foyers.

La misere de l'homme est telle, & particulierement de ceux qui n'ont pas la gloire de Dieu pour but & regle de leurs actions, qu'ils n'aspirent toujours qu'aux choses de la terre qui peuvent seulement donner quelque assouvissement au corps & non en l'esprit, que Dieu seul peut contenter.

Au retour de mon voyage, lors que je m'efforçois de faire entendre la necessité que nos pauvres Sauvages avoient d'un secours puissant, que favorizast leur conversion, & qu'il y avoit cent mille ames à gaigner à Jesus-Christ. Plusieurs mal-devots me demandoient s'il y avoit cent mille escus à gaigner aupres: voulans dire par là, que la conversion & le salut des ames ne leur estoit de rien, & qu'il n'y avoit que le seul temporel qui les peust esmouvoir à l'ayde & secours dudict pays. Voicy donc, ô mal-devots, les thresors & richesses ausquelles seules vous aspirez avec tant d'inquietudes. Elles consistent principalement en quantité de Pelleteries, de diverses especes d'Animaux terrestres & amphibies. Il y a encore des mines de Cuivre qui ne devroient pas estre mesprisees, & desquelles on pourroit tirer du profit, s'il y avoit du monde & des ouvriers qui y voulussent travailler fidellement, ce qui se pourroit faire, si on avoit estably des Colonies: car environ quatre-vingts ou cent lieuës des Hurons, il y a une mine de Cuivre rouge, de laquelle le Truchement me monstra un lingot au retour d'un voyage qu'il fit dans le pays.

On tient qu'il y en a encore vers le Saguenay, & mesme qu'on y trouvoit de l'or, des rubis & autres richesses. De plus quelques-uns asseurent qu'au pays des Souriquois, il y a non seulement des mines de Cuivre rouge, mais aussi de l'Acier, parmi les rochers, lequel estant fondu on en pourroit faire de tres-bons trenchans. Puis de certaines pierres bleuës transparentes, lesquelles ne vallent moins que les Turquoises. Parmy ces rochers de Cuyvre se trouvent aussi quelques fois des petits rochers couverts de Diamans y attachez: & peux dire en avoir amassé & recueilly moy-mesme vers nostre Couvent de Canada, qui sembloient sortir de la main du Lapidaire, tant ils estoient beaux, luisant & bien taillez. Je ne veux asseurer qu'ils soient fins, mais ils sont agréables, & escrivent sur le verre.

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