LEUR coustume est, que chaque mesnage vit de ce qu'il pesche, chasse & seme, ayans autant de terre comme il leur est necessaire: car toutes les forests, prairies & terres non défrichées sont en commun, & est permis à un chacun d'en désfrischer & ensemencer autant qu'il veut, qu'il peut, & qu'il luy est necessaire; & cette terre ainsi défrichee demeure à la personne autant d'annees qu'il continue de la cultiver & s'en servir, & estant entierement abandonnee du maistre, s'en sert par apres qui veut, & non autrement. Ils les défrichent avec grand peine, pour n'avoir des instrument propres: ils coupent les arbres à la hauteur de deux ou trois pieds de terre, puis ils esmondent toutes les branches, qu'ils font brusler au pied d'iceux arbres pour les faire mourir, & par succession de temps en ostent les racines; puis les femmes nettoyent bien la terre entre les arbres & beschent de pas en pas une place ou fossé en rond, où ils sement à chacune 9 ou 10 grains de Maiz, qu'ils ont premierement choisi, trié & fait tremper quelques jours en l'eau, & continuent ainsi, jusques à ce qu'ils en ayent pour deux ou trois ans de provisions: soit par la crainte qu'il ne leur succede quelque mauvaise annee, ou bien pour l'aller traicter en d'autres Nations pour des pelleteries, ou autres choses qui leur font besoin, & tous les ans sement ainsi leur bled aux mesmes places & endroits, qu'ils rafraischissent avec leur petite pelle de bois, faicte en la forme d'une oreille, qui a un manche au bout; le reste de la terre n'est point labouré, ains seulement nettoyé des meschantes herbes: de sorte qu'il semble que ce soient tous chemins, tant ils sont soigneux de tenir tout net, ce qui estoit cause qu'allant par-fois seul de village à autre, je m'esgarois ordinairement dans ces champs de bled, plustost que dans les prairies & forests.
Le bled estant donc ainsi semé, à la façon que nous faisons les febves, d'un grain sort seulement un tuyau ou canne, & la canne rapporte deux ou trois espics, & chaque espic rend cent, deux cents, quelques fois 400 grains & y en a tel qui en rend plus. La canne croist à la hauteur de l'homme, & plus, & est fort grosse (il ne vient pas si bien & si haut, ny l'espic si gros, & le grain si bon en Canada ny en France que là.) Le grain meurit en quatre mois, & en de certains lieux en trois: apres ils le cueillent, & le lient par les fueilles retroussées en haut, & l'accomodent par pacquets, qu'ils pendent tous arrangez le long des Cabanes, de haut-en-bas, en des perches qu'ils accommodent en forme de ratelier, descendant jusqu'au bord devant l'establie, & tout cela est si proprement ajancé, qu'il semble que ce soient tapisseries rendues le long des Cabanes, & le grain estant bien sec & bon à serrer, les femmes & filles l'estrenent nettoyent & mettent dans leurs grandes cuves ou tonnes à ce destinees, & posees en leur porche, ou en quelque coin de leurs Cabanes.
Pour le manger en pain, ils font premierement un peu bouillir le grain en l'eau, puis l'essuyent, & le font un peu seigner: en apres ils le broyent, le paistrissent avec de l'eau tiede, & le font cuire sous la cendre chaude, enveloppé de fueilles de bled, & à faute de fueilles le lavent apres qu'il est cuit: s'ils ont des Fezole ils en font cuire dans un petit pot, & en meslent parmy la paste sans les escacher, ou bien des fraizes, des bluës, framboises, meures champestres, & autres petits fruicts secs & verts, pour luy donner goust & le rendre meilleur, car il est fort fade de soy, si on n'y mesle de ces petits ragousts. Ce pain, & toute autre sorte de biscuit que nous usons, ils l'appellent Andatayoni, excepté le pain mis & accommodé comme deux balles jointes ensembles, enveloppé entre des fueilles de bled d'Inde, puis bouilly & cuit en l'eau, & non sous la cendre, lequel ils appellent d'un nom particulier Coinkia. Ils font encore du pain d'une autre sorte, c'est qu'ils cueillent une quantité d'espics de bled, avant qu'il soit du tout sec et meur, puis les femmes, filles & enfans avec les dents en destachent les grains, qu'il rejettent par apres avec la bouche dans de grandes escuelles qu'elles tiennent aupres d'elles & puis on l'acheve de piler dans le grand Mortier: & pour ce que cette paste est fort molasse, il faut necessairement l'envelopper dans des fueilles pour la faire cuire sous les cendres à l'acccoustumée; ce pain masché est le plus estimé entr'eux, mais pour moy je n'en mangeois que par necessité & à contre-coeur, à cause que le bled avoit esté ainsi à demy masché, pilé & pestry avec les dents des femmes, filles & petits enfans.
Le pain de Maiz, & la Sagamité qui en est faicte, est de fort bonne substance, & m'estonnois de ce qu'elle nourrid si bien qu'elle faict: car pour ne boire que de l'eau en ce pays-là, & ne manger que fort peu souvent de ce pain, & encore plus rarement de la viande, n'usans presque que des seuls Sagamités, avec un bien peu de poisson, on ne laisse pas de se bien porter, & estre en bon poinct, pourveu qu'on en ais suffisamment, comme n'en manque point dans le pays; mais seulement en de longs voyages, où l'on souffre souvent de grandes necessitez.
Ils diversifient & accomodent en plusieurs façons leur bled pour le manger; car comme nous sommes curieux de diverses saulces pour contenter nostre appetit, aussi sont-ils soigneux de faire leur Menestre de diverses manieres, pour la trouver meilleure, & celle qui me sembloit la plus agreable, estoit la Neintahouy; puis l'Eschionque. La Neintahouy se faict en cette façon. Les femmes font rostir quantité d'espics de bled, avant qu'il soit entierement meur, les tenans appuyez contre un baston couché sur deux pierres devant le feu, & les retournant de costé & d'autre, jusqu'à ce qu'ils soient suffisamment rostis, ou pour avoir plustost faict, elles mettent & retirent de dedans un monceau de sable, pemierement bien eschauffé d'un bon feu qui aura esté faict dessus, puis en destachent les grains, & les font encore seicher au Soleil, & espandus sur des escorces, apres qu'i est assez sec ils les serrent dans un tonneau, avec le tiers ou le quart de leur Fezole, appelée Ogaressa, qu'ils meslent parmy; & quand ils en veulent manger ils le font bouillir ainsi entier en leur pot ou chaudiere, qu'ils appellent Anoc, avec un peu de viande ou de poisson, fraiz ou sec, s'ils en ont.
Pour faire de l'Eschionque, ils font griller dans les cendres de leur foyer, meslees de sable, quantité de bled sec, comme si c'estoient pois, puis ils pilent ce Maiz fort menu, & apres avec un petit vent d'escorce ils en tirent la fine fleur, & cela est l'Eschionque: cette farine se mange aussi bien seiche que cuite ne un pot, ou bien destrempee en eau, tiede ou froide. Quand on la veut faire cuire on la met dans le bouillon, où l'on aura premierement fait cuire quelque viande ou poisson qui y sera demincé, avec quantité de citrouille, si on veut, sinon dans le bouillon tout clair, & en telle quantité que la Sagamité en soit suffisamment espaisse, laquelle on remue continuellement avec une Espatule, par eux appellee Estoqua, de peur qu'elle ne se tienne par morceaux; & incontinent apres qu'elle a un peu bouilly on la dresse dans les escuelles, avec un peu d'huile ou de graisse fondue par dessus, si l'on en a, & cette Sagamité est fort bonne, & rassasie grandement. Pour le gros de cette farine, qu'ils appellent Acointa, c'est à dire pois (car ils luy donnent le mesme nom qu'à nos pois) ils le font bouillir à part dans l'eau, avec du poisson, s'il y en a, puis le mangent. Ils font de mesme du bled qui, n'est point pilé; mais il est fort dur à cuire.
Pour la Sagamité ordinaire, qu'ils appellent Orrer, c'est du Maiz cru, mis en farine, sans en separer ny la leur ny le pois, qu'ils font bouillir assez clair, avec un peu de viande ou poisson, s'ils en ont, & y meslent aussi par-fois des citrouilles decouppees par morceaux, s'il en est la saison, & assez souvent rien du tout: de peur que la farine ne se tienne au fond du pot, ils la remuent souvent avec l'Estoqua puis le mangent; c'est le potage, la viande & le mets quotidien, & n'y a rien plus à attendre pour le repas; car lors mesme qu'ils ont quelque peu de viande ou poisson à départir entr'eux (ce qui arrive rarement excepté au temps de la chasse ou de la pesche) il est partagé, & mangé le premier auparavant le potage ou Sagamité.
Pour le Leindohy ou bled puant, ce sont grande quantité d'espys de bled, non encore tout sec & meur, pour estre plus susceptible à prendre odeur, que les femmes mettent en quelque mare ou eau puante, par l'espace de deux ou trois mois, au bout desquels elles les en retirent, & cela sert à faire des festins de grande importance, cuit comme la Neintahouy, & ainsi en mangent de grillé sous les cendres chaudes, lechans leurs doigts au maniement de ces espys puants, de mesme que si c'estoient canne de sucre, quoy que le goust & l'odeur en soit tres-puante, & infecte plus que ne sont les esgouts mesmes, & ce bled ainsi pourry n'estoit point ma viande, quelque estime qu'ils en fissent, ny ne maniois pas volontiers des doigts ny de la main, pour la mauvaise odeur qu'il y imprimoit & laissoit par plusieurs jours: aussi ne m'en presenterent ils plus, lors qu'ils eurent recogneu le dégoust que j'en avois. Ils font aussi pitance de glands, qu'ils font bouillir en plusieurs eauës pour en oster l'amertume, & les trouvois assez bons: ils mangent aussi d'aucunes fois d'une certaine escorce de bois crue, semblable au saulx, de laquelle j'ay mangé à l'imitation des Sauvages; mais pour des herbes ils n'en mangent point du tout, ny cuites ny crues, sinon de certaines racines qu'ils appellent sondhyararre, & autres semblables.
Auparavant l'arrivee des François au pays des Canadiens, & des autres peuples errans, tout leur meuble n'estoit que de bois, d'escorces ou de pierres, de ces pierres, ils en faisoient les haches & cousteaux, & du bois & l'escorce ils en fabriquoient toutes les autres ustenciles & pieces de mesnage, & mesme les chaudieres, bacs ou auges à faire cuire leur viande, laquelle ils faisoient cuire, ou plustost mortifier en cette maniere.
Ils faisoient chauffer & rougir quantité de graiz & cailloux dans un bon feu, puis les jettoient dans la chaudiere pleine d'eau, en laquelle estoit la viande ou le poisson à cuire, & à mesme temps les en retiroient, & en remettoient d'autres en leur place, & à succession de temps l'eau s'eschauffoit, & cuisoit ainsi aucunement la viande. Mais pour nos Hurons, & autres peuples & nations Sedentaires, ils avoient (comme ils ont encore) l'usage & l'industrie de faire des pots de terre, qu'ils cuisent en leur foyer, & sont fort bons, & ne se casse point au feu, encore qu'il n'y ait point d'eau dedans; mais ils ne peuvent aussi souffrir long-temps d'humidité & l'eau froide, qu'ils ne s'attendrissent & cassent, ou moindre heurt qu'on leur donne, autrement ils durent fort long temps. Les Sauvages les font, prenans de la terre propre, laquelle ils nettoyent & pétrissent tres-bien, y meslans parmy un peu de graiz, puis la masse estant reduite comme une boule, elles y font un trou avec le poing, qu'ils agrandissent toujours, en frappant par dedans avec une petite palette de bois, tant & si longtemps qu'il est necessaire pour les parfaire: ces pots sont faits sans pieds & sans ances, & tous ronds comme une boule, excepté la gueule qui sort un peu en dehors.