De la croyance & foy des Sauvages, du Createur, & comme ils avoient recours à nos prieres en leurs necessitez. CHAPITRE XVIII.

CICERON a dict, parlant de la nature des Dieux, qu'il n'y a gent si sauvage, si brutale ny si barbare, qui ne soit imbue de quelque opinion d'iceux. Or comme il y a diverses Nations & Provinces barbares, aussi y a-il diversité d'opinions & de croyance, pour ce que chacune se forge un Dieu à sa poste. Ceux qui habitent vers Miskou & le port Royal, croyent en un certain esprit, qu'ils appellent Cudoüagni, & disent qu'il parle souvent à eux; & leur dict le temps qu'il doit faire. Ils disent que quand il se courrouce contr'eux, il leur jette de la terre aux yeux. Ils croyent aussi quant ils trespassent, qu'ils vont és Estoilles, puis vont en de beaux champs verts, pleins de beaux arbres, fleurs & fruicts tres somptueux.

Les Souriquois (à ce que j'ay appris) croyent veritablement qu'il y a un Dieu qui a tout creé, & disent qu'apres qu'il eut faict toutes choses, qu'il prit quantité de flesches, & les mit en terre d'où sortirent hommes & femmes, qui ont multiplié au monde jusqu'à present. En suitte de quoy, un François demanda à un Sagamo, s'il ne croyoit point qu'il y eust un autre qu'un seul Dieu: il respondit, que leur croyance estoit, qu'il y avoit un seul Dieu, un Fils une Mere, & le Soleil, qui estoient quatre; neantmoins que Dieu estoit par dessus tous: mais que le Fils estoit bon, & le Soleil, à cause du bien qu'ils en recevoient: mais la Mere ne valoit rien, & les mangeoit, & que le Pere n'estoit pas trop bon.

Puis dict: Anciennement, il y eut cinq hommes qui s'en allerent vers le Soleil couchant, lesquels rencontrent Dieu, qui leur demanda: Où allez-vous? Ils respondirent: Nous allons chercher nostre vie: Dieu leur dit, vous la trouverez icy. Ils passerent plus outre, sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dit, lequel prit une pierre et en toucha deux, qui furent transformez en pierre. Et il demanda derechef aux trois autres: Où allez-vous? & ils respondirent comme à la premiere fois: & Dieu leur dit derechef: Ne passez plus outre vous la trouverez icy: & voyant qu'il ne leur venoit rien, ils passerent outre, & Dieu prit deux bastons, & il en toucha les deux premiers qui furent transmuez en bastons, & le cinquiesme s'arresta, ne voulant passer plus outre. Et Dieu luy demanda derechef: Où vas-tu? Je vay chercher ma vie, demeure, & tu la trouveras: Il s'arresta, sans passer plus outre, & Dieu luy donna de la viande, & en mangea. Apres avoir faict bonne chere, il retourna avec les autres Sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.

Ce Sagamo dit & raconta encore à ce François cet autre plaisant discours. Qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantité de Tabac, & que Dieu dist à cet homme, & luy demanda où estoit son petunoir, l'homme le prit, & le donna à Dieu, qui petuna beaucoup, & apres avoit bien petuné, il rompit en plusieurs pieces: & l'homme luy demanda; pourquoy as-tu rompu mon petunoir, & tu vois bien que je n'en ay point d'autre. Et Dieu en prit un qu'il avoit & le luy donna, luy disant: En voilà un que je te conne, porte-le à ton grand Sagamo, qu'il le garde, & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose quelconque, ny tous ses compagnons: cet homme prit le petunoir qu'il donna à son grand Sagamo & durant tout le temps qu'il l'eut, les Sauvages ne manquerent de rien du monde: mais que du depuis ledit Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelques-fois parmy eux. Voyla pour quoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon, & ils ont raison, puis que ce Demon qui leur apparoist en guise d'un Dieu, est un esprit de malice, qui ne s'estudie qu'à leur ruyne & perdition.

La croyance en general, de nos Hurons (bien que tres-mal entendue par eux-mesmes, & en parlent fort diversement); C'est que le Createur qui a faict tout ce mon monde, s'appelle Yoscaha, & en Canadien Ataouacan, lequel a encore la Mere-grand, nommee Ataensiq: leur dire qu'il n'y a point d'apparence qu'un Dieu aye une Mere-grand, & que cela se contrarie, ils demeurent sans replique, comme à tout le reste. Ils disent qu'ils demeurent fort loin, n'en ayans neantmoins autre marque ou preuve, que le recit qu'ils alleguent leur en avoir esté fait par un Attinoindaron, qui leur a faict croire l'avoir veu, & la marque de ses pieds imprimee sur une roche au bord d'une riviere, & que sa maison ou cabane est faicte comme les leurs, y ayant abondance de bled, & de toute autre chose necessaire, à l'entretien de la vie humaine. Qu'il seme du bled, travaille, boit, mange & dort comme les autres. Que tous les animaux de la terre sont à luy & comme ses domestiques. Que de sa nature il est tres-bon, & donne accroissement à tout, & que tout ce qu'il faict est bien fait, & nous donne le beau temps, & toute autre chose bonne & prospere. Mais à l'opposite, que sa Mere-Grand est meschante, & qu'elle gaste souvent tout ce que son petit Fils a faict de bien. Que quand Yoscaha est vieil, qu'il rajeunit tout à un instant, & devient comme un jeune homme de vingt-cinq à trente ans, & par ainsi qu'il ne meurt jamais, & demeure immortel, bien qu'il soit un peu suject aux necessitez corporelles, comme nous autres.

Or il faut noter, que quand on vient à leur contredire ou contester là-dessus, les uns s'excusent d'ignorance, & les autres s'enfuyent de honte, & d'autres qui pensent tenir bon s'embrouillent incontinent, & n'y a aucun accord ny apparence à ce qu'ils disent, comme nous avons souvent veu & sceu par experience, qui faict cognoistre en effect qu'ils ne recognoissent & n'adorent vrayement aucune Divinité ny Dieu, duquel ils puissent rendre quelque raison, & que nous puissions sçavoir: car encore que plusieurs parlent en la louange de leur Yoscaha: nous en avons ouy d'autres en parler avec mespris & irreverence.

Ils ont bien quelque respect à ces esprits, qu'ils appellent Oki; mais ce mot Oki, signifie aussi bien un grand Diable, comme un grand Ange, un esprit furieux & demoniacle, comme un grand esprit, sage, sçavant ou inventif, qui faict ou sçait quelque chose par-dessus le commun; ainsi nous y appelloient-ils souvent, pour ce que nous sçavions & leur enseignions des choses qui surpassoient leurs esprit, à ce qu'ils disoient. Ils appellent aussi Oki leurs Medecins & Magiciens, voire mesmes leurs fols, furieux & endiablez. Nos Canadiens & Montagnets appellent aussi les leurs Pilotois & Manitou, qui signifie la mesme chose que Oki en Huron.

Ils croyent aussi qu'il y a de certains esprits que dominent en u lieu, & d'autres en un autre: les uns aux rivieres, les autres aux voyages, au traites, aux guerres, aux festins, & maladies, & en plusieurs autres choses, ausquelles ils offrent du petun, & font quelque sortes de prieres & ceremonies, pour obtenir d'eux ce qu'ils desirent. Ils m'ont aussi monstré plusieurs puissans rochers sur le chemin de Kebec, auquel ils croyoient resider & presider un esprit, & entre les autres ils m'en monstrerent un à quelque cent cinquante lieuës un à quelque cent cinquante lieuës de là, qui avoit comme une teste, & les deux bras eslevez en l'air, & au ventre ou milieu de ce puissant rocher, il y avoit une profonde caverne de tres-difficile accez. Ils me vouloient persuader & faire croire à toute force, avec eux, que ce rocher avoit esté un homme mortel comme nous, & qu'eslevant les & les mains en haut, il s'estoit metamorphosé en cette pierre, & devenu à succession de temps, un si puissant rocher, lequel ils ont en veneration, & lui offrent du petun en passant par devant avec leurs Canots, non toutes les fois, mais quand ils doutent que leur voyage doive reussir, & luy offrant ce petun, qu'ils jettent dans l'eau contre la roche mesme, ils luy disent: Tien, prend courage & fay que nous fassions bon voyage, avec quelqu'autre parole que je n'entends point: & le Truchement, duquel nous avons parlé au chapitre precedent, nous a asseuré d'avoir fait une fois une pareille offrande avec eux (dequoy nous le tançames fort) & que son voyage luy fut plus profitable qu'aucun autre qu'il ait jamais faict en ces pays-là. C'est ainsi que le Diable les amuse, les maintient & conserve dans ses filets, & en des suprestitions estranges, en leur prestans ayde & faveur, selon la croyance qu'ils luy ont en cecy, comme aux autres ceremonies & sorceleries que leur Oki observe, & leur faict observer, pour la guerison de leurs maladies, & autres necessitez, n'offrans neantmoins aucune priere ny offrande à leur Yoscaha, (au moins que nous ayons sceu) ains seulement à ces esprits particuliers, que je viens de dire, selon les occasions.

Ils croyent les ames immortelles: & partans de ce corps, qu'elles s'en vont aussi-tost dancer & se resjouyr en la presence d'Yoscaha, & de sa Mere-grand Ataensiq, tenans la route & le chemin des Estoilles, qu'ils appellent Atiskeia andahatey, le chemin des ames, que nous appellons la voye lactee, ou l'escharpe estoilee, & les simples gens le chemin de sainct Jacques. Ils disent que les ames des chiens y vont aussi, tenans la route de certaines estoilles, qui sont proches voysines du chemin des ames, qu'ils appellent Gagnenon andahatey, c'est à dire, le chemin des chiens, & nous disoient que ces ames, bien qu'immortelles, ont encore en l'autre vie, les mesmes necessitez du boire & du manger, de se vestir & labourer les terres, qu'elles avoient lors qu'elles estoient encore revestues de ce corps mortel. C'est pourquoy ils enterrent ou enferment avec les corps des deffuncts, de la galette, de l'huile, des peaux, haches, chaudieres & autres outils; pour à cette fin que les ames de leurs parens, à faute de tels instrumens, ne demeurent pauvres & necessiteuses en l'autre vie: car ils s'imaginent & croyent que les ames de ces chaudieres, haches, cousteaux, & tout ce qu'ils leur dedient, particulierement à la grande feste des Morts, s'en vont en l'autre vie servir les ames des deffuncts, bien que le corps de ces peaux, haches, chaudieres, & de toutes les autres choses dediees & offertes, demeurent & restent dans les fosses & les bieres, avec les os des trespassez, c'estoit leur ordinaire response, lors que nous leur disions que les souris mangeoient l'huile & la galette & la rouille & pourriture les peaux, haches & autres instrumens qu'ils ensevelissoient & mettoient avec les corps de leurs parens & amis dans le tombeau.

Entre les choses que nos Hurons ont le plus admiré, en les instruisant, estoit qu'il y eust un Paradis au dessus de nous, où fussent tous les bien-hereux avec Dieu, & un Enfer sousterrain, où estoient tourmentees avec les Diables en un abysme de feu, toutes les ames des meschants, & celles de leurs parens & amis deffuncts, ensemblement avec celles de leurs ennemis, pour n'avoir congneu ny adoré Dieu nostre Createur, & pour avoir meiné une vie si mauvaise, & vescu avec tant de dissolution & de vices. Ils admiroient aussi grandement l'Escriture, par laquelle, absent, on se faict entendre où l'on veut; & tenans volontiers nos livres, apres les avoir bien contemplez, & admiré les images & les lettres, ils s'amusoient à en compter les feuillets.

Ces pauvres gens ayans par plusieurs fois experimenté le secours & l'assistance que nous leur promettions de la part de Dieu, lors qu'ils vivroient en gens de bien, & dans les termes que leur prescrivions: Ils avoient souvent recours à nos prieres, soit, ou pour les malades, ou pour les injures du temps, & advouaient franchement qu'elles avoient plus d'efficace que leurs ceremonies, conjurations & tous les tintamarres de leurs Medecins, & se resjouysoient de nous ouir chanter des Hymnes & Pseaumes à leur intention, pendant lesquels (s'ils s'y trouvoient presens) ils gardoient estroictement le silence & se rendoient attentifs, pour le moins au son & à la voix, qui les contentoit fort. S'ils se presentoient à la porte de nostre Cabane, nos prieres commencees, ils avoient patience, où s'en retournoient en pais, sçachans desja que nous ne devions pas estre divertis d'une si bonne action, & qu d'entrer pas importunité estoit chose estimee incivile, mesme entr'eux; & un obstacle aux bons effects de la priere, tellement qu'ils nous donnoient du temps pour prier Dieu, & pour vacquer en paix à nos offices divins. Nous aydant en cela la coustume qu'ils ont de n'admettre aucun dans leurs Cabanes lors qu'ils chantent les malades, ou que les mots d'un festin ont esté prononcez.

Auoindaon, grand Capitaine de Quiennonascaran, avoit tant d'affection pour nous, qu'il servoit comme de Pere Syndiq dans le pays, & nous voyoit aussi souvent qu'il croyoit ne nous estre point importun, & nous trouvans parfois à genouils prians Dieu, sans dire mot, il s'agenouilloit aupres de nous, joignoit les mains, & ne pouvant d'avantage, il taschoit serieusement de contrefaire nos gestes & postures; remuant les levres, & eslevant les mains & les yeux au Ciel, & y perseveroit jusques à la fin de nos Offices, qui estoient assez longues, & luy aagé d'environ soixante & quinze ans. O mon Dieu, que cet exemple devroit confondre de Chrestiens! & que nous dira ce bon vieillard Sauvage, non encore baptisé, au jour du jugement, de nous voir plus negligens d'aymer & servir un Dieu, que nous cognoissons, & duquel nous recevons tant de graces tous les jours, que luy, qui n'avoit jamais esté instruit que dans l'escole de la Gentilité, & ne le cognoissoit encore qu'au travers les espaisses tenebres de son ignorance! Mon Dieu, resveillez nos tiedeurs, & nous eschauffez de vostre divin amour. Ce bon vieillard, plein d'amitié & de bonne volonté s'offrit encores de venir coucher avec moy dans nostre Cabane, lors qu'en l'absence de mes Confreres j'y restois seul la nuict. Je luy demandois la raison, & s'il croyoit m'obliger en cela, il me disoit qu'il apprehendoit quelque accident pour moy, particulierement en ce temps que les Yroquois estoient entrez dans leurs pays, & qu'ils me pourroient aysement prendre, ou me tuer dans nostre Cabane, sans pouvoir estre secondé de personne, & que de plus les esprits malins qui les inquietoient, me pourroient aussi donner de la frayeur, s'ils venoient à s'apparoistre à moy, ou à me faire entendre de leurs voix. Je le remerciois de sa bonne volonté, & l'asseurois que je n'avois aucune apprehension, ny des Yroquois, ni des esprits malins, & que je voulois demeurer seul la nuict dans nostre Cabane, en silence, prieres & oraisons. Il me repliquoit: Mon Nepveu, je ne parleray point, & prieray JESUS avec toy, laisse-moi seulement en ta compagnie pour cette nuict, car tu nous es cher, & crains qu'il ne t'arrive du mal, ou en effect, ou d'apprehension: Je le remerciois derechef, & le renvoyois au bourg, & moy je demeurois seul en paix & tranquillité.

Nous baptizasmes une femme malade en nostre bourg, qui ressentit & tesmoigna sensiblement de grands effects du sainct Baptesme: il y avoit plusieurs jours qu'elle n'avoit mangé, estant baptizee aussi-tost l'appetit luy revint, comme en pleine santé, par l'espace de plusieurs jours, apres lesquels elle rendit son ame à Dieu, comme pieusement nous pouvons croire; elle repetoit souvent à son mary, que lors qu'on la baptisoit, qu'elle ressentoit en son ame une si douce & suave consolation, qu'elle ne pouvoit s'empescher d'avoir continuellement les yeux eslevez au Ciel, & eust bien voulu qu'on eust peu luy reiterer encore une autre fois le sainct Baptesme, pour pouvoir ressentir derechef cette consolation interieure, & la grande grace & faveur que ce Sacrement luy avoit communiquée. Son mary, nommé Ongyata, tres-content & joyeux, nous en a tousjours esté de depuis fort affectionné, & desiroit encore estre faict Chrestien, avec beaucoup d'autres; mais il falloit encore un peu temporiser, & attendre qu'ils fussent mieux fondez en la cognoissance & croyante d'un Jesus-Christ crucifié pour nous, & à une vraye resignation, renonciation, abandonnement & mespris de toutes leurs folles ceremonies, & en la hayne de tous les vices & mauvaises habitudes: pour ce que ce n'est pas assez d'estre baptizé pour aller en Paradis; mais il de plus, vivre Chrestiennement, & dans les termes & les loix que Dieu & son Eglise nous ont prescrites: autrement il n'y a qu'un Enfer pour les mauvais, & non point un Paradis. Et puis je diray avec verité, que si on n'establit des Colonies de bons & vertueux Catholiques dans tous ces pays Sauvages, que jamais le Christianisme n'y sera bien affermy, encore que des Religieux s'y donnassent toutes les peines du mont: car autre chose est d'avoir affaire à des peuples policez, & autres chose est de traiter avec des peuples Sauvages, qui ont plus besoin d'exemple d'une bonne vie, pour s'y mirer, que de grand Theologie pour s'instruire, quoy que l'un & l'autre soit necessaire. Et par ainsi nos Peres ont faict beaucoup d'en avoir baptizé plusieurs & d'en avoir disposé un grand nombre à la foy & au Christianisme.

Et puis que nous sommes sur le sujet du sainct Baptesme, je ne passeray sous silence, qu'entre plusieurs Sauvages Canadiens, que nos Peres y ont baptizez, soit de ceux qu'ils ont faict conduire en France, ou d'autres qu'ils ont baptizez & retenus sur les lieux, les deux derniers meritent de vous en dire quelque chose. Le pere Joseph le Caron, Supérieur de nostre Couvent de sainct charles, nourrissoit & eslevoit pour Dieu, deux petits Sauvages Canadiens, l'un desquels, fis du Canadien que nous sur-nommons le Cadet, apres avoir est bien instruit en la foy & doctrine Chrestienne, se resolut de vivre à l'advenir, suyvant la loy que nos Peres luy avoient enseignee, & avec instance demanda le sainct Baptesme, mais à mesme temps qu'il eut consenty & resolu de se faire baptizer, le Diable commença de le tourmenter, & s'apparoistre à luy en diverses rencontres: de sorte qu'il le pensa une fois estouffer, si par prieres à Dieu, Reliquaires & par eau beniste on ne luy eust bridé son pouvoir: & comme on luy jettoit de cette eau, ce pauvre petit garçon voyoit ce malin esprit s'enfuyr d'un autre costé & monstroit à nos Peres l'endroict & le lieu où il estoit, & disoit asseurement que ce malin avoit bien peur de cette eau: tant y a, que depuis le jours de Pasques, que le Diable l'assaillit pour la premiere fois, jusques à la Pentecoste qu'il fut baptizé, ce pauvre petit Sauvage fut en continuelle peine & apprehension & avec larmes supplioit tousjours nos Peres de le vouloir baptizer, & le faire quitte de ce meschant ennemy, duquel il recevoit tant d'ennuys & d'effrois.

Le jour de son Baptesme, nos Religieux firent un festin à tous les parens du petit garçon de quantité de pois, de prunes, & de quelqu'autre menestre, bouillies & cuites ensemble dans une grande chaudiere. Et comme le Pere Joseph leur eut fait une harangue sur la ceremonie, vertu & necessité du sainct Baptesme, il arriva à quelques jours de là, qu'un d'eux venant à tomber malade, il eut si peur de mourir sans estre baptize, qu'il demanda maintes fois' avec tres grande instance: si que se voyant pressé du mal, il disoit que s'il n'estoit baptize, qu'il en imputeroit la faute à ceux qui luy refusoient, tellement qu'un de nos Religieux, nommé Frere Gervais, avec l'advis de tous les François qui se trouverent là presens, luy confera le sainct Baptesme, & le mit en repos. Il s'est monstré du depuis si fervent observateur de ce qui luy a esté enseigné, qu'il s'est librement faict quitte de toutes les bagatelles & superstitions dont le Diable les amuse, & mesme n'a permis qu'aucun de leurs Pilotois fist plus aucune diablerie autour de luy comme ils avoient accoustumé.

Environ les mois d'Avril & de May, les pluyes furent tres grandes, & presque continuelles (au contraire de la France qui fut fort seiche cette année là) de sorte que les Sauvages croyoient asseurement que tous leurs bleds deussent estre perdus & pourris, & dans cette affliction ne sçavoient plus à qui avoir recours, sinon à nous: car desja toutes leurs ceremonies & superstitions avoient esté faictes & observees sans aucun profit. Ils tindrent donc conseil entre tous les plus anciens, pour adviser à un dernier & salutaire remede, qui n'estoit pas vrayement sauvage, mais digne d'un tres-grand esprit, & esclairé d'une nouvelle lumiere du Ciel, qui estoit de faire apporter un tonneau d'escorce de mediocre grandeur, au milieu de la Cabane du grand Capitaine où se tenoit le conseil, & d'arrester entr'eux que tous ceux du bourg, qui avoient un champ de bled ensemencé, en apporteroient là une escuelle de leur Cabane, & ceux qui auroient deux champs, en apporteroient deux escueelles, & ainsi des autres, puis l'offriroient & dedieroient à l'un de nous trois, pour l'obliger avec les deux autres Confreres, de prier Dieu pour eux. Cela estant faict, ils me choisissent, & m'envoyent prier par un nommé Grenole, d'aller au conseil, pour me communiquer quelque affaire d'importance, & aussi pour recevoir un tonneau de bled qu'ils m'avoient dedié. Avec l'advis de mes confreres, je m'y en allay, & m'assis au conseil aupres du grand Capitaine, lequel me dit: Non Nepveu, nous t'avons envoyé querir, pour t'adviser que si les pluyes ne cessent bientost, nos bleds seront tous perdus, & toy & tes Confreres avec nous, mourrons tous de faim; mais comme vous estes gens de grand esprit, nous avons eu recours à vous & esperons que vous obtiendrez de vostre pere qui est au Ciel, quel que remede & assistance à la necessité qui nous menace. Vous nous avez tousjours annoncé qu'il estoit tres-bon, & qu'il estoit le Createur, & avoit tout pourvoir au Ciel & en la terre, si ainsi est qu'il soit tout-puissant & tres bon, & qu'il peut ce qu'il veut; Il peut donc nous retirer de nos miseres, & nous donner un temps propre & bon, prie-le donc, avec tes deux autres Confreres, de faire cesser les pluyes, & le mauvais temps, qui nous conduit infailliblement dans la famine, s'il continue encore quelque temps, & nous ne te serons pas ingrats: car voyla desja un tonneau de bled que nous t'avons dédié, en attendant mieux. Son discours finy, & les raisons deduites, je luy remonstray que tout ce que nous leur avions dit & enseigné estoit tres-veritable, mais qu'il à la liberté d'un pere d'exaucer ou rejetter les prieres de son enfant, & que pour chastier, ou faire grace & misericorde, il estoit toujours la mesme bonté, y ayant autant d'amour au refus qu'à l'octroy; Y luy dis pour exemple. Voyla deux de tes petits enfans, Andaracouy & Aroussen, quelques fois tu leur donnes ce qu'ils te demandent, & d'autres fois non; que si tu les refuses & les laisse contristez, ce n'est pas pour hayne que tu leur portes, ny pour mal que tu leur vueilles; ains pource que tu juges mieux qu'eux que cela ne leur est pas propre, ou que ce chastiment leurs est necessaire. Ainsi en use Dieu nostre Pere tres sage, envers nous ses petits-enfans & serviteurs. Ce Capitaine un peu grossier, en matiere spirituelle, me repliqua, & dist: Mon Nepveu, il n'y a point de comparaison de vous à ces petits enfans car n'ayans point d'esprit, ils font souvent de folles demandes, & moy qui suis pere sage, & de beaucoup d'esprit, je les exauce ou refuse avec raison. Mais pour vous, qui estes grandement sages, & ne demandez rien inconsiderement, qui ne soit tres-bon & equitable, vostre Pere qui est au Ciel, n'a garde de vous esconduire: que s'il ne vous exauce, & que nos bleds viennent à pourrir, nous croyrons que vous n'estes pas veritables, & que JESUS n'est point si bon ny si puissant que vous dites. Je luy repliquay tout ce qui estoit necessaire là dessus, & luy remis en memoire que desja en plusieurs occasion ils avoient experimenté le secours d'un Dieu & d'un Createur, si bon & pitoyable, & qu'il les assisteroit encore à cette presente & pressante necessité, & leur donneroit du bled plus que suffisamment, pourvu qu'ils nous voulussent croire, & quittassent leurs vices & que si Dieu les chastioit par-fois, c'estoit pource qu'ils estoient tousjours vicieux, & ne sortoient point de leurs mauvaises habitudes, & que s'ils se corrigeaient, ils luy seroient agreables, & les traiteroit apres comme ses enfans.

Ce bon homme prenant goust à tout ce que je luy disois, me dist: O mon Nepveu! je veux donc estre enfant de Dieu, comme toy; Je luy respondis, tu n'en es point encore capable. O mon Oncle! il faut encore un peu attendre que tu te sois corrigé: car Dieu ne veut point d'enfant s'il ne renonce aux superstition, & qu'il ne se contente de sa propre femme sans aller aux autres, & si tu le fais nous te baptizerons, & apres ta mort ton ame s'en ira bien-heureuse avec luy. Le conseil Achevé, le bled fut porté en nostre Cabane, & m'y en retournay, où j'advertis mes confreres de tout ce qui s'estoit passé, & qu'il falloit serieusement & instamment prier Dieu pour ce pauvre peuple, à ce qu'il daignast les regarder de son oeil de misericorde, & leur donnast un temps propre & necessaire à leurs bleds, pour de là les faire admirer ses merveilles. Mais à peine eusmes-nous commencé nos petites prieres, & esté processionnellement à l'entour de nostre petite Cabane, en disans les Litanies & autres prieres & devotions, que nostre Seigneur tres bon & misericordieux fist à mesme temps cesser les pluyes: tellement que le Ciel, qui auparavant estoit par tout couvert de nuees obscures, se fist serain, & toutes ces nuees se ramasserent comme en un globe au dessus de la ville, puis tout à coup cela se fondit derriere les bois, sans qu'on en apperceust jamais tomber une seule goutte d'eau; & ce beau temps dura environ trois sepmaines, au grand contentement, estonnement & admiration des Sauvages, qui satisfaicts d'une telle faveur celeste, nous en resterent fort affectionnez, avec deliberation de faire passer en conseil: que de là en avant ils nous appelleroient leurs Peres sirituels, qui estoit beaucoup gaigné sur eux, sujet à nous de rendre infinies graces à Dieu, qui daigne faire voir ses merveilles quand il ly plaist, & est expedient à sa gloire.

Du depuis les Sauvages nous eurent une telle croyance; & avoient tant d'opinions de nous que cela nous estoit à peine, pour ce qu'ils inferoient de là & s'imaginoient que Dieu ne nous esconduiroit jamais d'aucune chose que luy demandassions, & que nous pouvions tourner le Ciel & la terre à nostre volonté (par maniere de dire); c'est pourquoy qu'il leur en falloit faire rabattre de beaucoup, & les adviser que Dieu ne fait pas tousjours miracle, & que nous n'estions pas dignes d'estre tousjours exaucez.

Il m'arriva un jour qu'estant allé visiter un Sauvage de nos meilleurs amis, grandement bon homme, & d'un naturel qui sentoit plustost son bon Chrestien; que non pas son Sauvage: Comme je discourois avec luy, & pensois monstrer nostre cachet, pour luy en faire admirer l'image, qui estoit de ls saincte Vierge, une fille subtilement s'en saisit, & le jetta de costé dans les cendres, pensant par apres le ramasser pour elle. J'estois marry que ce cachet m'avoit esté ainsi pris & desrobé, & dis à cette fille que je soupçonnois, tu te ris & te mocques à present de mon cachet que tu as desrobé; mais sçache, que s'il ne m'est rendu, que tu pleureras demain, & mourrais bien-tost: car Dieu n'ayme point les larrons; & les chastie; ce que je disois simplement, & pour l'intimider & faire rendre son larrecin, comme elle fist à la fin, l'ayant moy-mesme ramassé du lieu où elle l'avoit jetté. Le lendemain à heure de diz heures, estant retourné voir mon Sauvage, je trouvay cette fille toute esploree & malade, avec de grands vomissemens, qui la tourmentoient: estonné & marry de la voir en cet estat, je m'informay de la cause de son mal, & de ses pleurs, l'homme dist que c'estoit sur le mal que je loy avoit predit, & qu'elle estoit sur le poinct de se faire reconduire à la Nation du Petun, d'où elle estoit, pour ne point mourir hors de son pays: je la consolay alors, & luy dis qu'elle n'eust plus de peur, & qu'elle ne mourroit point pour ce coup, ny n'en seroit d'avantage malade, puisque ce cachet avoit esté retrouvé, mais qu'elle advisast une autre fois de n'estre plus meschante, & de ne plus desrober, puis que cela desplaisoit au bon JESUS, & alors elle me demanda derechef si elle n'en mourroit point, & apres que je l'en eus asseuree, elle resta entierement guerie & consolee, & ne parla plus de s'en retourner en son pays, comme elle faisoit auparavant, & vescut plus sagement à l'advenir.

Comme ils estimoient que les plus grands Capitaines de France estoient douez d'un plus grand esprit, & qu'ayans un si grand esprit, eux seuls pouvoient faire les choses plus difficiles: comme haches, cousteaux, chaudieres, &c. Ils inferoient de là, que le Roy (comme le plus grand Capitaine & le chef de nous) faisoit les plus grandes chaudieres, & nous tenans en cette qualité de Capitaines, ils nous en presentoient quelque-fois à raccommoder, & nous supplioient aussi de faire faire pancher en bas les oreilles droictes de leurs chiens, & de les rendre comme celles de ceux de France qu'ils avoient veus à Kebec: mais ils se mesprenoient, & nous supplioient en vain, comme de nous estre importuns d'aller tuer le Tonnerre, qu'ils pensoient estre un oyseau, nous demandans si les François en mangeoient, & s'il avoit bien de la graisse, & pourquoy il faisoit tant de bruit: mais je leur donnay à entendre (selon ma petite capacité) comme & en quoy ils se trompoient, & qu'ils ne devoient penser si bassement des choses; dequoy ils resterent fort contents & advouerent avec un peu de honte leur trop grande simplicité & ignorance.

Les Sauvages, non plus que beaucoup de simples gens, en s'estoient jamais imaginé que la terre fust ronde & suspendue & que l'on voyageast à l'entour du monde, & qu'il y eust des Nations au dessous de nous, ny mesme que le soleil fist son cours à l'entour: mais pensoient que la terre fust percee, & que le Soleil entroit par ce trou quand il se couchoit, & y demeuroit caché jusqu'au lendemain matin qu'il sortoit par l'autre extremité, & neantmoins ils comprenoient bien qu'il estoit plustost nuict en quelques pays, & plustost jour en d'autres: car un Huron venant d'un long voyage, nous dist en nostre Cabane, qu'il estoit desja nuict en la contree d'où il venoit, & neantmoins il estoit plein Esté aux Hurons, & pour lors environ les quatre ou cinq heures apres midy seulement.

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