LINE, en une Epistre qu'il escrit à Fabare, dict que Pyrrhe, Roy des Epirotes, demanda à un Philosophe qu'il menoit avec luy, quelle estoit la meilleure Cité du monde. Le Philosophe respondit, la meilleure Cité du monde, c'est Maserde, un lieu de deux cens feux en Achaye, pour ce que tous les murs sont de pierres noires, & tous ceux qui la gouvernent ont les testes blanches. Ce Philosophe n'a rien dit (en cela) de luy-mesme: car tous les anciens, apres le Sage Salomon, ont dit qu'aux vieillards se trouve la sagesse: & en effect, on voit souvent la jeunesse d'ans, estre accompagnee de celle de l'esprit.
Les Capitaines entre nos Sauvages, sont ordinairement plustost vieux que jeunes & viennent par succession, ainsi que la royauté par deçà, ce qui s'entend, si le fils d'un Capitaine ensuit la vertu du pere, car autrement ils font comme aux vieux siecles, lors que premierement ces peuples esleurent des Roys, mais ce Capitaine n'a point entr'eux authorité absolue, bien qu'on luy ait quelque respect, & conduisent le peuple plustost par prieres, exhortations, & par exemple, que par commandement.
Le gouvernement qui est entr'eux est tel: que les anciens & principaux de la ville ou du bourg s'assemblent en un conseil avec le Capitaine, où ils decident & proposent tout ce qui est des affaires de leur Republique, non par un commandement absolu, comme j'ay dict, ais par supplications & remonstrances, & par la pluralité des voix qu'ils colligent, avec de petits fetus de joncs. Il y avoit à Quieunonascaran, le grand Capitaine & chef de la Province des Ours, qu'il appelloient Garyhoüa anaionxra, pour le distinguer des ordinaires de guerre, qu'ils appellent Garihoüa outaguéta. Iceluy grand Capitaine de Province avoit encore d'autres Capitaines sous luy, tant de guerre que de police, par tous les autres bourgs & villages de sa jurisdiction, lesquels en chose de consequence le mandoient & advertissoient pour le bien du public, ou de la Province: & en nostre bourg, qui estoit le lieu de sa residence ordinaire, il y avoit encore trois Capitaines, qui assistoient tousjours aux conseils avec les anciens du lieu, outre son Assesseur & Lieutenant qui en son absence, ou quand il n'y pouvoit vacquer, faisoit les cris & publications par la ville des choses necessaires & ordonnees. Et ce Garihoüa anaionxra n'avoit pas si petite estime de soy-mesme, qu'il ne se voulust dire frere & cousin du Roy, & de mesme egalité: comme les deux doigts demonstratifs des mains qu'il nous monstroit joints ensemble, en nous faisant cette ridicule & inepte comparaison.
Or quand ils veulent tenir conseil, c'est ordinairement dans la Cabane du Capitaine, chef & principal du lieu sinon que pour quelque raison particuliere il soit trouvé autrement expedient. Le cry & la publication du conseil ayant esté faicte, on dispose dans la Cabane ou au lieu ordonné, un grand feu, à l'entour duquel s'assizent sur les nattes tous les Conseillers, en suitte du grand Capitaine qui tient le premier rang, assis en tel endroict, que de sa place il peut voir tous ses Conseillers & assistans en face. Les femmes, filles & jeunes hommes n'y assistent point, si ce n'est en un conseil general; où les jeunes hommes de vingt-cinq à trente ans peuvent assister: ce qu'ils cognoissent par un cry particulier qui en est faict. Que si c'est un conseil secret, ou pour machiner quelque trahison ou surprise en guerre, ils le tiennent seulement la nuict entre les principaux Conseillers, & n'en descouvrent rien que la chose projettee ne soit mise en effect, s'ils peuvent.
Estans donc tous assemblez, & la Cabane fermee, ils font tous une longue pose avant que de parler, pour ne se precipiter point, tenans cependant tousjours leur Calumet en bouche; puis le Capitaine commence à haranguer en terme & parole haute & intelligible un assez longtemps, sur la matiere qu'ils ont à traiter en conseil: ayant finy son discours, ceux qui ont à dire quelque chose, les uns apres les autres sans s'interrompre & en peu de mots, opinent & disent leurs raisons & advis, qui sont par apres colligez avec des pailles ou petits joncs, & là dessus est conclud ce qui est jugé expedient.
Plus, ils font des assemblees generales, sçavoir des regions loingtaines, d'où il vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, ou lieu destiné pour l'assemblee, où il se faict de grands festins & dances, & des presens mutuels qu'ils se font les uns aux autres, & parmy toutes ces caresses, ces resjouyssances & ces accolades ils contractent amitié de nouveau, & advisent entr'eux du moyen de leur conservation, & par quelle maniere ils pourront perdre & ruyner tous leurs ennemis communs; tout estant faict, & les conclusions prises, ils prennent congé, & chacun se retire en son quartier avec tout son train & equipage, qui est à la Lacedemonienne, une à un, deux à deux, trois à trois, ou gueres d'avantage.
Quant aux guerres qu'ils entreprennent, ou pour aller dans le pays des ennemis, ce seront deux ou trois des anciens, ou vaillants Capitaines, qui entreprendront cette conduite pour cette fois, & vont de village en village faire entendre leur volonté, donnant des presens à ceux des dicts villages, pour les induire & tirer d'eux de l'ayde & du secours en leurs guerres, & par ainsi sont comme Generaux d'armées. Il en vint un en nostre bourg, qui estoit un grand vieillard, fort dispos, qui incitoit & encourageoit les jeunes hommes & les Capitaines de s'armer, & d'entreprendre la guerre contre la Nation des Arrinoiindarons; mais nous l'en blasmasmes fort, & dissuadasmes le peuple d'y entendre, pour le desastre & mal-heur inévitable que cette guerre eust pue apporter en nos quartiers, & à l'advancement de la gloire de Dieu.
Ces Capitaines ou Generaux d'armees ont le pouvoir, non seulement de designer les lieux, de donner quartier, & de ranger les bataillons; mais aussi de disposer des prisonniers en guerre, & de toute autre chose de plus grande consequence: il est vray qu'ils ne sont pas tousjours bien obeys de leurs soldats, entant qu'eux-mesmes manquent souvent dans la bonne conduite, & celuy qui conduit mal, est souvent mal suivy. Car la fidele obeyssance des sujects depend de la suffisance de bien commander, du bon Prince, disoit Theopompus Roy de Sparte.
Pendant que nous estions là, le temps d'aller en guerre arrivant, un jeune homme de nostre bourg, desireux d'honneur, voulut luy seul, faire le festin de guerre, & d'effrayer tous ses compagnons au jour de l'assemblee generale, ce qui luy fut de grand coust & despense, aussi en fut-il grandement loué & estimé: car le festin estoit de six grandes chaudieres, avec quantité de grands poissons boucanez, sans les farines & les huiles pour les gresser.
On les mit sur le feu avant jour, en l'une des plus grande Cabanes du lieu, puis le conseil estant achevé, & les resolutions de guerre prises, ils entrerent tous au festin, commencerent à festiner, & firent les mesmes exercices militaires, les uns apres les autres, comme ils ont accoustumé, pendant le festin, & apres avoir vuidé els chaudieres, & les complimens & remerciemens rendus, ils partirent, & s'en allerent au rendez-vous sur la frontiere, pour entrer és terres ennemies, sur lesquelles ils prindrent environ soixante de leurs ennemis, la pluspart desquels furent tuez sur les lieux, & les autres amenez en vie, & faits mourir aux Hurons, puis mangez en festin.
Leurs guerres ne sont proprement que des surprises & deceptions; car tous les ans au renouveau, & pendant tout l'esté, cinq ou six cens jeunes hommes Hurons, ou plus, s'en vont s'espandre dans une contree des Yroquois, se departent en cinq ou six en un endroict, cinq ou six en un autre & autant en un autre, & se couchent sur le ventre par les champs & forests, & à costé des grands chemins & sentiers, & la nuict venue ils rodent partout, & entrent jusques dans les bourgs & villages, pour tascher d'attraper quelqu'un, soit homme, femme ou enfant, & s'ils en prennent en vie, les emmenent en leur pays pour les faire mourir à petit feu, sinon apres leur avoir donné un coup de massue, ou tué à coup de flesches, ils en emportent la teste, que s'ils en estoient trop chargez, ils se contentent d'en emporter la peau avec sa chevelure, qu'ils appellent Onantsira, les passent & les serrent pour en faire des trophees, & mettre en temps de guerre sur les pallissades ou murailles de leur villes, attachees au bout d'une longue perche.
Quand ils vont ainsi en guerre & en pays ennemis, pour leur vivre ordinaire ils portent quant & eux, chacun derriere son dos, un sac plein de farine, de bled rosty & grillé dans les cendres, qu'ils mangent crue, & sans estre trempee, ou bien destrempee avec un peu d'eau chaude ou froide, & n'ont par ce moyen affaire de feu pour apprester leur manger, quoy qu'ils en fassent par-fois la nuict au fonds des bois pour n'estre apperceus, & font durer cette farine jusqu'à leur leur retour, qui est environ de six sepmaines ou deux mois de temps: car aptes ils viennent se rafraischir au pays, finissent la guerre pour ce cour, ou s'y en retournent encore avec d'autres provisions. Que si les Chrestiens usoient de telle sobrieté, ils pourroient entretenir de tres puissantes armees avec peu de fraiz, & faire la guerre aux ennemis de l'Eglise' & du nom Chrestien, sans la foule du peuple, ny la ruyne du pays, & Dieu n'y seroit point tant offencé, comme il est grandement, par la pluspart de nos soldats, qui semblent plustost (chez le bon homme) gens sans Dieu, que Chrestien naiz pour le Ciel. Ces pauvres Sauvages (à nostre confusion) se comportent ainsi modestement en guerre, sans incommoder personne, & s'entretiennent de leur propre & particulier moyen, sans autre gage ou esperance de recompense, que de l'honneur & louange qu'ils estiment plus que tout l'or du monde. Il seroit aussi bien à desirer que l'on semast de ce bled d'inde par toutes les Provinces de la France, pour l'entretien & nourriture des pauvres qui y sont en abondance: car avec un peu de ce bled ils se pourroient aussi facilement nourrir & entretenir que les Sauvages, qui sont de mesme nature que nous, & par ainsi ils ne souffriroient de disette, & ne seroient non plus contrains de courir mendians par les villes, bourgs & villages, comme ils font journellement pource qu'outre que ce bled nourrist & rassasie grandement, il porte presque toute sa sauce quant & soy, sans qu'il y soit besoin de viande, poisson, beurre, sel ou espice, si on ne veut.
Pour leurs armes, ils ont la Massue & l'Arc, avec la Flesche empannee de plumes d'aigles, comme les meilleures de toutes, & à faute d'icelles ils en prennent d'autres. Ils y appliquent aussi fort proprement des pierres trenchantes collees au bois, avec une colle de poisson tres forte, & de ces Flesches ils en emplissent leur Carquois, qui est faict d'une peau de chien passee, qu'ils portent en escharpe. Ils portent aussi de certaines armures & cuirasses, qu'ils appellent Aquientoy, sur leur dos, & contre les jambes, & autres parties du corps pour se pouvoir defendre des coups de Flesches: car elles sont faictes à l'espreuve de ces pierres aiguës, & non toutefois de nos fers de Kebec, quant la Flesche qui en est accommodée fort d'un bras roide & puissant, comme est celuy d'un Sauvage: ces cuirasses sont faictes avec des baquettes blanches, couppees de mesuree & serrees l'une contre l'autre, tissues & entrelassees de cordelettes: fort durement & proprement, puis la rondache ou pavois & l'enseigne ou drappeau, qui est (pour le moins ceux que j'ay veus) un morceau d'escorce rond, sur lequel les armoiries de leur ville ou province sont depeintes & atachees au bout d'une longue baguette, comme une Cornette de cavalerie. Nostre Chasuble à dire la saincte Messe, leur agreoit fort, & l'eusse bien desiré traiter de nous, pour la porter en guerre en guise d'enseigne, ou pour mettre au haut de leurs murailles, attachee à une longue perche, afin d'espouventer leurs ennemis disoient-ils.
Les Sauvages de l'Isle l'eussent encore bien voulu traiter au Cap de Massacre, ayans desja à cet effect, amassé sur le commun, environ quatre-vingt Castors: car ils le trouvoient non seulement tres beau, pour estre d'un excellent Damas incarnat, enrichy d'un passement d'or (digne present de la Royne) mais aussi pour la croyance qu'ils avoient qu'il leur causeroit du bon-heur & de la prosperité en toutes leurs entreprises & machines de guerre.
Comme l'on a de coustume sur mer, pour signe de guerre, ou de chastiment, mettre dehors en evidence le Pavillon rouge: Aussi nos Sauvages, non seulement és jours solennels, & de resjouyssance, pais principalement quand ils vont à la guerre, ils portent pour la plus-part à l'entour de la teste de certains pennaches en couronnes, & d'autres en moustaches, faicts de longs poils d'eslan, peints en rouge comme escarlatte, & collez, ou autrement attachez à une bande de cuir large de trois doigts. Depuis que nos François ont porté des lames d'espées en Canada, les Montagnets & Canadiens s'en servent, tant à la chasse de l'Eslan, qu'aux guerres contre leurs ennemis, qu'ils sçavent droictement & roidement darder, emmanchées en de longs bois, comme demyes-picques.
Quand la guerre est declarée en un pays on destruit tous les bourgs, hameaux, villes & villages frontieres, incapables d'arrester l'ennemy, si on ne les fortifie; & chacun se range dans les villes & lieux fortifiez de sa jurisdiction, où ils bastissent de nouvelles Cabanes pour leur demeure, à ce aydés par les habitants du lieu. Les Capitaines assistés de leurs Conseillers, travaillent continuellement à ce qui est de leur conservation, regardent s'il y a rien à adjouter à leurs fortifications pour s'y employer, font balayer & nettoyer les suyes & araignées de toutes les Cabanes, de peur du feu quel'ennemy y pourroit jette par certains artifices qu'ils ont appris de je ne sçay quelle autre Nation que l'on m'a autresfois nommée. Ils font porter sur les guerites des pierres & de l'eau pour s'en servir dans l'occasion. Plusieurs font des trous, dans lesquels ils enferment ce qu'ils ont de meilleur, & peur de surprise, les Capitaines envoyent des soldats pour descouvrir l'ennemy, pendant qu'ils encouragent les autres de faire des armes, de se tenir prets, & d'enfler leur courage, pour vaillamment & genéreusement combattre, resister & se deffendre, si l'ennemy vient à paroitre. Le mesme ordre s'observe en toutes les autres villes & bourgs, jusqu'à ce qu'ils voyent l'ennemy s'estre attaché à quelques uns, & alors la nuict à petit bruit une quantité de soldats de toutes les villes voysines, s'il n'y a necessité d'une plus grande armee, vont au secours, & s'enferment au dedans de celle qui est asiegee, la deffendent, font des sorties, dressent des embusches, s'atttachent aux escarmouches, & combattent de toute leur puissance, pour le salut de la patrie, surmonter l'ennemy, & le deffaire du tout s'ils peuvent.
Pendant que nous estions à Quieunonascaran, nous vismes faire toutes les diligences susdites, tant en la fortification des places, apprests des armes, assemblees des gens de guerre, provision de vivres, qu'en toute autre chose necessaire pour soustenir une grande guerre qui leur alloit tomber sur les bras de la part des Neutres, si le bon Dieu n'eust diverty cet orage, & empesché ce mal-heur qui alloit menaçant nostre bourg d'un premier choc, & pour n'y estre pas pris des premiers, toutes les nuicts nous barricadions nostre porte avec des grosses busches de bois de travers, arrestees les unes sur les autres, par le moyen de deux peaux fichez en terre.
Or pour ce qu'une telle guerre pouvoit grandement nuyre & empescher la conversion & le salut de ce pauvre peuple, & que les Neutres sont plus forts & en plus grand nombre que nos Hurons, qui ne peuvent faire qu'environ deux mille hommes de guerre, ou quelque peu d'avantage, & les autres cinq à six mille combattans, nous fismes nostre possible, & contribuasmes tout ce qui estoit de nostre pouvoir pour les mettre d'accord, & empescher que nos gens desja tous prests de se mettre en campagne, n'entreprissent (trop legerement) une guerre à l'encontre d'une Nation plus puissante que la leur. A la fin, assistés de la garde de nostre Seigneur, nous gaignasmes quelque chose sur leur esprit: car approuvans nos raisons, ils nous dirent qu'ils se tiendroient en paix, & que ce enquoy ils avoient auparavant fondé l'esperance de leur salue, estoit en nostre grand esprit, & au secours que quelques François (mal advisez) leur avoient promis: Outre une tres bonne invention qu'ils avoient conceue en leur esprit, par le moyen de laquelle ils esperoient tirer un grand secours de Nation du Feu, ennemis jurez des Neutres. L'invention estoit telle; qu'au plustost ils s'efforceroient de prendre quelqu'un de leurs ennemis, & que du sang de cet ennemy, ils en barbouilleroient la face & tout le corps de trois ou quatre d'entr'eux lesquels ainsi ensanglantez seroient par apres envoyez en Ambassade à cette Nation de Feu, pour obtenir d'eux quelque secours & assistance à l'encontre de si puissans ennemis, & que pour plus facilement les esmouvoir à leur donner ce secours, ils leur monstroient leur face & tout leur corps desja teinct & ensanglanté du sang propre de leurs ennemis communs.
Puis que nous avons parlé de la Nation Neutre, contre lesquels nos Hurons ont pensé entrer en guerre, je vous diray aussi un petit mot de leur pays. Il est à quatre ou cinq journees de nos Hurons tirant au Su, au delà de la Nation des Quieunontareronons. Cette Province contient prez de cent lieuës d'estendue, où il se fait grande quantité de tres-bon petun, qu'ils traittent à leurs voysins. Ils assistent les Cheveux Relevez contre la Nation de Feu, desquels ils sont ennemis mortels: mais entre les Yroquois & les nostres, avant cette esmeute, ils avoient paix & demeuroient neutres entre les deux, & chacune des deux Nations y estoit la bien venue, & n'osoient s'entre-dire ny faire aucun desplaisir, & mesmes y mangeoient souvent ensemble, comme s'ils eussent esté amis; mais hors du pays s'ils se rencontroient, il n'y avoit plus d'amitié, & s'entre-faisoient cruellement la guerre, & la continuent à toute outrance: l'on n'a sceu encor trouver moyen de les reconciller & remettre en paix, leur inimitié estant de trop longue main enracinee, & fomentee entre les jeunes hommes de l'une & l'autre Nation, qui ne demandent autre exercice, que celuy des armes & de la guerre.
Quand nos Hurons ont pris en guerre quelqu'un de leurs ennemis, ils luy font une harangue des cruautez que luy & les siens exercent à leur endroict, & qu'au semblable il devoit se resoudre d'en endurer autant, & luy commandent (s'il a du courage assez) de chanter tout le long du chemin, ce qu'il faict; mais souvent avec un chant fort triste & lugubre, & ainsi l'emmenent en leur pays pour le faire mourir, & en attendant l'heure de sa mort, ils luy font continuellement festin de ce qu'ils peuvent pour l'engraisser, & le rendre plus fort & robuste à supporter les plus griefs & longs tourmens, & non par charité & compassion, excepté aux femmes; filles & enfans, lesquels ils font rarement mourir; ains les conservent & retiennent pour eux, ou pour en faire des presens à d'autres qui en auroient auparavant perdu des leurs en guerre, & font estat de ces subrogez, autant que s'ils estoient de leurs propres enfans, lesquels estans parvenus en aage, vont aussi courageusement en guerre contre leurs propres parens, & ceux de leur Nation, que s'ils estoient naiz ennemis de leur propre patrie, ce qui tesmoigne le peu d'amour des enfans envers leurs parens, & qu'ils ne font estat que des bien faicts presens, & non des passez, qui est un signe de mauvais naturel: & de cecy j'en ay veu l'experience en plusieurs. Que s'ils ne peuvent emmener les femmes & enfans qu'ils prennent sur les ennemis, il les assomment, & font mourir sur les lieux mesmes, & emportent les reste ou la peau avec la chevelure, & encores s'est-il veu, (mais peu souvent) qu'ayans amené de ces femmes & filles dans leurs pays, ils en ont faict mourir quelques-unes par les tourmens, sans que les larmes de ce pauvre sexe, qu'i a pour toute deffence, les aye pû esmouvoir à compassion: car elles seules pleurent, & non les hommes, pour aucun tourment qu'on leur fasse endurer, de peur d'estre estimez effeminez, & de peu de courage, bien qu'ils soient souvent contraincts de jette de hauts cris, que la force des tourments arrache du profond de leur estomach.
Il est quelques-fois arrivé qu'aucuns de leurs ennemis estans poursuyvis de prés, se sont neantmoins eschappez: car pour amuser celuy qui les poursuit, & se donner du temps pour fuyr & les devancer, ils jettent leurs coliers de Pourceleines bien loin arriere d'eux, afin que si l'avarice commande à ses poursuyvans de les aller ramasser, ils peussent tousjours gaigner le devant, & se mettre en sauveté, ce qui a reussi à plusieurs: je me persuades & crois que c'est en partie pourquoy ils portent ordinairement tous leurs plus beaux coliers & matachias en guerre.
Lors qu'ils joignent un ennemy, & qu'ils n'ont qu'à mettre la main dessus, comme nous disons entre nous: Rends-toi, eux disent Sakien, c'est à dire, assied-toy, ce qu'il faict, s'il n'ayme mieux se faire assommer sur place, ou se deffendre jusqu'à la mort, ce qu'ils ne font pas souvent en ces extremitez, sous esperance de se sauver, & d'eschapper avec le temps par quelque ruze. Or comme il y a de l'ambition à qui aura des prisonniers, cette mesme ambition ou l'envie est aussi cause quelques-fois que ces prisonniers se mettent en liberté & se sauvent, comme l'exemple suyvant le monstre.
Deux ou trois Hurons se voulans chacun attribuer un prisonnier Yroquois, & ne se pouvans accorder, ils en firent juge leur propre prisonnier, lequel bien advisé se servit de l'occasion & dit. Un tel m'a pris, & suis son prisonnier, ce qu'il disoit contre la verité & exprez, pour donner un juste mescontentement à celuy de qui il estoit vray prisonnier: & de faict, indigné qu'un autre auroit injustement l'honneur qui luy estoit deu, parla en secret la nuict suyvante au prisonnier, & luy dit: Tu t'es donné & adjugé à un autre qu'à moy, qui t'avois pris, c'est pourquoy j'ayme mieux te donner liberté, qu'il aye l'honneur qui m'est deu, & ainsi le deslians le fit evader & fuyr secrettement.
Arrivez que sont les prisonniers en leur ville ou village, ils leur font endurer plusieurs & divers tourmens, aux uns plus, & aux autres moins, selon qu'il leur plaist: & tous ces genres de tourments & de morts sont si cruels, qu'il ne se trouve rien de plus inhumain: car premierement ils leur arrachent les ongles, & leur coupent les trois principaux doigts, qui servent à tirer de l'arc, & puis leur levent toute la peau de la teste avec la chevelure, & apres y mettent du feu & des cendres chaudes, ou y font degouter d'une certaine gomme fondue, ou bien se contentent de les faire marcher tous nuds de corps & des pieds, au travers d'un grand nombre de feux faicts exprez, d'un bout à l'autre d'une grande Cabane, où tout le monde qui est bordé des deux costez, tenans en main chacun un tison allumé, luy en donnent dessus le corps en passant, puis apres avec des fers-chauds, luy donnent encore des jartieres à l'entour des jambes, & avec des hoches rouges ils luy frottent les cuisses de haut-en-bas, & ainsi peu à peu bruslent ce pauvre miserable: & pour luy augmenter ses tres cuisantes douleurs, luy jettent par-fois de l'eau sur le dos, & luy mettent du feu sur les extremitez des doigts, & de sa partie naturelle, puis leurs percent les brans pres des poignets, & avec des bastons en tirent les nerfs, & les arrachent à force, & ne les pouvans avoir les couppent, ce qu'ils endurent avec une constance incroyable, chantans cependant avec un chant neantmoins fort triste & lugubre, comme j'ay dict: mille menaces contre ces Bourreaux & contre toute cette Nation, & estant prest de rendre l'ame, ils le menent hors de la Cabane finir sa vie, sur un eschauffaut dressé exprez, là où on lui couppe la teste, puis on luy ouvre le ventre, & là tous les enfans se trouvent pour avoir quelque petit bout de boyau qu'ils pendent au bout d'une baguette, & le portent ainsi en triomphe par toute la ville ou village en signe de victoire. Le corps ainsi esventré & accommodé, on le faict cuire dans une grande chaudiere, puis on le mange en festin, avec liesse & resjouyssance, comme j'ay dict cy-devant.
Quand les Yroquois, ou autres ennemis, peuvent attrapper de nos gens, ils leur en font de mesme, & c'est à qui fera du pis à son ennemy: & tel va pour prendre, que est souvent pris luy-mesme. Les Yroquois ne viennent pas pour l'ordinaire guerroyer nos Hurons, que fueilles ne couvrent les arbres, pour pouvoir plus facilement se cacher, & n'estre descouverts quand ils veulent prendre quelqu'un au despourveu: ce qu'ils font aysement, entant qu'il y a quantité de bois dans le pays, & proche la pluspart des villages: que s'ils nous eussent pris nous autres Religieux, les mesmes tourments nous eussent esté appliquez, sinon que de plus ils nous eussent arrache la barbe la premiere, comme ils firent à Bruslé, le Truchement qu'ils pensoient faire mourir, & lequel fut miraculeusement delivrés par la vertu de l'Agnus Dei, qu'il portoit pendu à son col: car comme ils luy pensoient arracher, le tonnerre commença à donner avec tant de furies, d'esclairs & de bruits, qu'ils en creurent estre à leur derniere journee, & tous espouventez le laisserent aller, craignans eux-mesmes de perir, pour avoir voulu faire mourir ce Chrestien & luy oster son Reliquaire.
Il arrive aussi que ces prisonnier s'eschappent aucune fois, specialement la nuict, ou temps qu'on les faict promener par-dessus les feux; car en courans sur ces cuisans & tres-rigoureux braisiers de leurs pieds ils escartent & jettent les tisons, cendres & charbons par la Cabane, qui rendent apres une telle obscurité de poudre et de fumee, qu'on ne s'entre-congnoist point: de sorte que tous sont contraincts de gaigner la porte, & de sortir dehors, & lui aussi parmy la foule, & de là prend l'essor, et s'en va: & s'il ne peut encores pour lors, il se cache en quelque coin à l'escart, attendant l'occasion & l'opportunité de s'enfuyr, & de gaigner pays. J'en ay veu plusieurs ainsi échappez des mains de leurs ennemis, qui pour preuve nous faisoient voir les trois doigts principaux de la main droicte couppez.
Il n'y a presque aucune Nation qui n'ait guerre & debat avec quelqu'autre, non en intention d'en posseder les terres & conquerir leur pays: ains seulement pour les exterminer s'ils pouvoient, & pour se vanger de quelque petit tort ou desplaisir, qui n'est pas souvent grand chose; mais leur mauvais ordre, & le peu de police qui souffre es mauvais Concitoyens impunis, est cause de tout ce mal: car si l'un d'entr'eux a offencé, tué ou blessé un autre de leur mesme Nation, il en est quitte pour un present, & n'y a point de chastiment corporel (pour ce qu'ils ne les ont pont en usage envers ceux de leur Nation) si les parens du blessé ou decedé n'en prennent eux-mesmes la vengeance, ce qui arrive peu souvent: car ils ne se font, que fort rarement, tore les uns aux autres. Mais si l'offensé est d'une autre Nation, alors il y a indubitablement guerre declaree entre les deux Nations, si celle de l'homme coulpable ne se rachete par de grands presens, qu'elle tire & exige du peuple pour la patrie offencée: & ainsi il arrive le plus souvent que la faute d'un seul, deux peuples entiers se font une tres cruelle guerre, & qu'ils sont tousjours dans une continuelle crainte d'estre surpris l'un de l'autre, particulierement sur les frontieres, où les femmes mesmes ne peuvent cultiver les terres & faire les bleds, qu'elles n'ayent tousjours avec elles un homme ayant les armes au poing, pour les conserver & deffendre de quelques mauvaise advenue.
A ce propos des offences & querelles, & avant finir ce discours, pour monstrer qu'ils sçavent assez bien proceder en conseil, & user de quelque maniere de satisfaction envers la partie plaignante & lesee, je diray ce qui nous arriva un jour sur ce sujet. Beaucoup de Sauvages nos estans venus voir en nostre Cabane (selon leur coustume journaliere) un d'entr'eux, sans aucun sujet, voulut donner d'un gros baston au Pere Joseph. Je fus m'en plaindre au grand Capitaine, & luy remonstray, afin que la chose n'allast plus avent, qu'il falloit necessairement assembler un conseil general, & remonstrer à ses gens, & particulierement à tous les jeunes hommes, que nous ne leur faisions aucun tort ny desplaisir, & qu'ils ne devoient pas aussi nous en faire, puis que nous estions dans leur pays que pour leur propre bien & salut, & non pour aucune envie de leurs Castors & Pelleteries, comme ils ne pouvoient ignorer. Il fit donc assembler un conseil general auquel tous assisterent, excepté celuy qui avoit voulu donner le coup: j'y fus aussi appellé, avec le Pere Nicolas, pendant que le Pere Joseph gardoit nostre Cabane.
Le grand Capitaine nous fit seoir aupres de luy, puis ayant imposé silence, il s'addressa à nous, & nous dit, en sorte que toute l'assemblee le pouvoit entendre. Mes Nepveux, à vostre priere & requeste j'ai faict assembler ce conseil general, afin de vous estre faict droict sur les plaintes que vous m'avez proposees; mais d'autant que ces gens-cy sont ignorans du fait, proposez vous mesme, & declarez hautement en leur presence ce qui est de vos griefs & en quoy & comment vous avez esté offencés, & sur ce je feray & bastiray ma harangue, & puis nous vous ferons justice. Nous ne fusmes pas peu estonnés des le commencement, de la prudence & sagesse de ce Capitaine, & comme il proceda en tout sagement, jusqu'à la fin de sa conclusion, qui fut fort à nostre contentement & edification.
Nous proposasmes donc nos plaintes, & comme nous avions quitté un tres-bon pays, & traversé tant de vers & de terres avec infinis dangers & mes-aises, pour les venir enseigner le chemin du Paradis, & retirer leurs ames de la domination de Sathan, qui les entraisnoit tous apres leur mort dans une abysme de feu sousterrain, puis pour les rendre amis & comme parens des François, & neantmoins qu'il y en avoit plusieurs d'entr'eux qui nous traictoient mal, & particulierement un tel (que je nommay) qui a voulu tuer nostre frere Joseph. Ayant finy, le Capitaine harangua un long temps sur ces plaintes, leurs remonstrant le tort qu'en auroit de nous offencer, puis que nous ne leur rendions aucun desplaisir, & qu'au contraire nous leur procurions & desirions du bien, non seulement pour cette vie; mais aussi pour l'advenir. Nous fusmes priez à la fin d'excuser la faute d'un particulier, lequel nous devions tenir seul avec eux, pour un chien, à la faute duquel les autres ne trempoient point, & nous dirent, pour exemple, que desja depuis peu, un des leurs avoit griefvement blessé un Algoumequin, en jouant avec luy, par le moyen de quelque present, & celui-là seul tenu pour chien & meschant qui avoit faict le mal, & non les autres, qui sont bien marris de cet inconvenient.
Ils nous firent aussi present de quelques sacs de bled, que nous acceptasme, & fusmes au reste festoyez de toute la compagnie, avec mille prieres d'oublier tout le passé, & demeurer bons amys comme auparavant, & nous convierent encore fort instamment d'assister tous les jours à leurs festins & banquets, ausquels ils nous feroient manger de bonnes Sagamités diversement preparees, & que par ce moyen nous nous entretiendrions mieux par ensemble dans une bonne intelligence de parens & bons amys, & que de verité ils nous trouvoient assez pauvrement accommodez, & nourris dans nostre Cabane, de laquelle ils eussent bien desiré nous retirer pour nous mettre mieux avec eux dans leur ville, où nous n'aurions autre soucy que de prier Dieu, les instruire & nous resjouys, honnestement par ensemble: & apres les avoir remerciés, chacun prit congé, & se retira.